Taiwan et son avenir sont au cœur des tensions entre la Chine continentale (communiste) et les Etats-Unis. Elles pourraient donner lieu à une véritable escalade. Le Monde (16 avril 2021) consacre tout un article à ce sujet alors que Washington multiplie l’envoi de signaux.
Taïwan peut-il devenir le principal point d’affrontement de la rivalité sino-américaine ? Au cours des derniers jours, Washington n’a cessé d’émettre des signaux qui plaident en faveur d’une ligne rouge à l’attention de Pékin, tracée à la hauteur du détroit qui sépare l’île du continent.
Vendredi 9 avril, le département d’Etat américain a assoupli les règles qui encadrent les interactions entre des responsables de l’administration et leurs homologues taïwanais. Deux jours plus tard, le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, s’est dit inquiet face à « des actions de plus en plus agressives de la part des autorités de Pékin en direction de Taïwan », faisant allusion à la multiplication des incursions chinoises dans l’espace aérien de l’île.
Mardi 13 avril, une délégation non officielle composée notamment de l’ancien sénateur démocrate Chris Dodd et de deux anciens secrétaires d’Etat adjoints, Richard Armitage et James Steinberg, s’est rendue à Taïwan. « Je peux dire avec assurance que le partenariat entre les Etats-Unis et Taïwan est plus fort que jamais », a déclaré M. Dodd lors de sa rencontre avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, jeudi matin. Une visite qu’un haut responsable de l’administration démocrate a décrite comme un « signal personnel » du président Joe Biden à l’égard de l’île. Une nouvelle « provocation » aux yeux de Pékin. (…)
La déclassification des orientations stratégiques de la précédente administration, en janvier, a montré que Donald Trump avait sauté le pas, au moins au niveau de la réflexion. Dans une logique de confrontation avec Pékin, l’ancien président envisageait de « concevoir » et de « mettre en œuvre » une stratégie visant à « défendre les nations de la première chaîne d’îles » en référence au rideau insulaire qui fait face à la Chine continentale, du Japon aux Philippines, en y incluant Taïwan.
Le débat est vif dans les cercles de réflexion de Washington sur la légitimité d’une sortie de « l’ambiguïté stratégique » mise en place à une époque où les capacités militaires de la Chine étaient réduites. En septembre 2020, le président du Council on Foreign Relations, Richard Haas, a cosigné un article dans lequel il a estimé que « le moment est venu pour les Etats-Unis d’introduire une politique de clarté stratégique : une politique qui rend explicite que les Etats-Unis réagiraient à tout recours chinois à la force contre Taïwan », sans remettre en cause, en revanche, le concept d’« une seule Chine ».
Les ventes d’armes massives à Taïwan, qui se sont multipliées sous le mandat de Donald Trump, ont mis à l’épreuve leur caractère « défensif » précisé dans le Taiwan Relations Act. En se fondant sur l’approfondissement des liens militaires entre les Etats-Unis et l’île, le Cato Institute, une institution d’inspiration libertarienne, donc rétive à l’interventionnisme, a estimé, dans une note publiée en décembre 2020, que Washington risque de prendre un engagement qu’il ne sera pas capable de tenir face à la nouvelle puissance chinoise. La « vision stratégique intérimaire » publiée par la Maison Blanche en mars ne mentionne qu’une seule fois l’île. Elle indique que Washington « soutiendra » Taïwan, sans autre précision, « dans la continuité d’engagements américains de longue date ». (…)
Surtout, depuis 2020, la donne a changé. Jusque-là, malgré le statu quo, Taïwan ne cessait de perdre du terrain sur la scène internationale. Sous la pression de Pékin, la plupart de ses alliés diplomatiques la lâchaient, à l’exception du Vatican et d’une poignée de micro-Etats. Mais sa gestion jugée remarquable de la crise du Covid-19, autant que la crainte des Taïwanais que leur île subisse le même sort que Hongkong, ont incité Tsai Ing-wen à renforcer la coopération militaire et industrielle (semi-conducteurs) avec Washington et à mener, avec l’aide de l’administration Trump, une politique internationale plus ambitieuse.
Dans une note publiée ces derniers jours par la Fondation pour la recherche stratégique, le chercheur Antoine Bondaz montre que, forte de 110 postes diplomatiques (dans 75 pays) – même s’il ne s’agit pas officiellement d’ambassadeurs –, de sa puissance industrielle, des nombreux échanges avec des délégations étrangères et d’une forte présence sur les réseaux sociaux, Taïwan est « une puissance diplomatique à part entière ». En clair, sans franchir la ligne rouge que constituerait une déclaration d’indépendance, le pays n’entend plus faire profil bas. (…)
Désormais, Pékin qualifie les dirigeants taïwanais de « sécessionnistes », le terme employé pour les démocrates hongkongais. Cela signifie-t-il que Pékin est prêt à attaquer l’île ? Sa marine et son aviation multiplient les incursions dans les eaux et dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan à un rythme sans précédent et la rhétorique des dirigeants chinois est de plus en plus belliqueuse. Mais, même aux Etats-Unis, certains experts restent prudents : « La première priorité de la Chine, pour maintenant et pour un avenir proche, est de dissuader l’indépendance de Taïwan plutôt que d’imposer l’unification », écrivent Richard Bush (Brookings Institution), Bonnie Glaser (Center for Strategic and International Studies) et Ryan Hass (ancien conseiller d’Obama) trois experts réputés, dans une analyse commune.
Selon eux, sachant qu’un risque d’escalade militaire avec les Etats-Unis ne peut être écarté et qu’un conflit, quelle qu’en soit l’issue, nuirait trop à l’image de la Chine, Xi Jinping a su jusqu’à présent résister aux « faucons » chinois. Le terme « pacifique » figure d’ailleurs bel et bien dans le XIVe plan quinquennal (2021-2025), qui vient d’être adopté par Pékin. Malgré tout, la tension ne cesse de croître autour de l’île et un incident militaire est loin d’être exclu.