Au quotidien-n°23 (Revue de presse du confinement)

Publié le 21 Avr 2020
Au quotidien-n°23 (Revue de presse du confinement) L'Homme Nouveau

Dans Marianne (17 au 23 avril), le philosophe Dany-Robert Dufour met en cause la psychologisation de la vie sociale qui transforme les citoyens en petites entreprises » :

Nous sommes tous des petites entreprises. C’est du moins ce que dit la vision néolibérale de l’homme qui triomphe depuis quarante ans. Et qui est en train de se fracasser sous nos yeux avec la crise du coronavirus. Le bon individu, c’est celui qui est l’entrepreneur de sa propre vie, qui veut toujours plus, qui sait vendre à temps sa petite entreprise pour en acheter une plus grosse et élargir sans cesse sa gamme de produits. Dans la « start-up nation » que doit devenir la France, chacun est une start-up en puissance. Ou n’est pas. Au début de son quinquennat, le 2 juillet 2017, lors de son discours d’inauguration de la Station F, qui abrite un millier de start-up à Paris, notre cher président l’a clairement dit en évoquant « des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ». Faut donc être fort. L’idée vient de loin. De la psychanalyse américaine qui, dès les années 1950, recommandait d’adapter les individus à la réalité concurrentielle et hautement compétitive de la société capitaliste. Il fallait réformer les individus pour leur donner un moi fort, résilient, résistant aux traumatismes. Ce qui a réduit la psychanalyse américaine à ne plus être qu’une pratique de « gonflette du moi » – une conception qui a provoqué, entre autres, l’ire et la réaction de Lacan. (…) Et, si on ne sait pas s’occuper de soi-même en défendant à mort sa petite entreprise et son petit capital, on ne peut être qu’un mauvais individu. Quelqu’un qui court derrière les aides sociales, qui ne sait même pas traverser la rue pour trouver un job de survie. Bref, un pauvre qui coûte un pognon de dingue. Contrairement à ce qu’on croit, la stigmatisation moralisatrice n’a pas disparu de la culture néolibérale, mais au lieu de s’appliquer aux premiers de cordée et à leur train de vie aberrant qui détruit les rapports sociaux et l’environnement, elle cible désormais les premiers de corvée. Ceux qui, en période de danger, portent des gilets jaunes ou des blouses blanches de soignants pour assurer les fonctions vitales.

La Croix (20 avril) s’est entretenu avec Pierre-Cyrille Hautcœur, Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris. Ce dernier estime que l’économie a été mise en panne dans le but d’enrayer la pandémie et non d’abord à cause de celle-ci :

La crise actuelle est d’abord et avant tout une crise sanitaire. Elle est liée à un facteur exogène au fonctionnement de l’économie, un virus, et non à l’éclatement d’une bulle spéculative sur le marché boursier, immobilier, financier comme en 1929, en 1987 ou 2008. Elle ne peut pas non plus être comparée à la situation d’une économie de guerre, qui se caractérise par la destruction du capital physique.

Aujourd’hui, c’est différent. Face à un risque majeur de santé publique, plusieurs pays ont décidé de suspendre une grande partie de l’économie dans le but d’enrayer la pandémie. Mais, si elles l’ont choisi, il n’est pas clair qu’aujourd’hui il soit possible de faire machine arrière. Cette crise peut dès lors déboucher sur des changements économiques et politiques que l’on ne sait pas prévoir. (…) En réalité, elle ferme à certains égards une parenthèse, car pendant des siècles les épidémies ont pesé sur l’économie plus fortement que quoi que ce soit d’autre. On les a un peu oubliées dans le monde occidental, car elles ont été éradiquées par la médecine et les politiques publiques qui ont permis l’accès à l’eau potable, le ramassage des ordures… Ce furent des investissements massifs réalisés entre 1830 et 1950 en Occident, qu’il faut à présent soutenir dans les pays en développement pour éviter que les épidémies y fassent des millions de morts et reviennent vers nous renforcées.

Même Le Monde (21 avril) s’interroge sur un retour aux frontières, à travers un entretien avec Michel Foucher, géographe et ancien diplomate :

Ce virus rappelle que les frontières ont aussi une fonction prophylactique et que les Etats exercent le monopole des moyens légitimes de circulation, illustrés notamment par le passeport et, parfois, le carnet jaune de vaccination. L’annonce présidentielle procède du constat, partagé par toute l’Union européenne, que dans les régions d’interactions fortes pour les Européens – Amérique du Nord, Proche- Orient, Afrique, Russie – le Covid-19 est apparu ou a été traité plus tardivement. Toute circulation pandémique a sa temporalité et sa géographie. Le temps de la diffusion a été allongé par sa prise en compte décalée selon les pays. L’espace est connu : parti de Wuhan, mégapole industrielle et scientifique internationalisée de la Chine centrale, il a gagné le reste du pays puis des lieux connectés avec lui : Corée du Sud, Hongkong, Taïwan, Thaïlande et Singapour, Seattle et la baie de San Francisco, New York, l’Europe des hautes densités démographiques et industrielles – Lombardie, Rhénanie, Ile-de-France et bassin de Londres. Il paraît donc efficace de fermer les frontières afin de ralentir les risques de transmission. Mais le front de lutte était, d’emblée, intérieur à chaque pays, maîtrisé par le confinement. Les dispositifs de filtrage frontaliers sont comme des masques collectifs rassurants.

Chaque matin, la rédaction de L’Homme Nouveau vous propose une courte revue de presse, principalement axée sur la réflexion (sans dédaigner l’information pure). Nous ne cherchons pas d’abord à faire du clic, pour nourrir des statistiques et l’auto-satisfaction. Notre démarche est plus simple et repose sur une conviction presque simpliste : « demain se prépare aujourd’hui ». Dans ce sens, depuis des années, L’Homme Nouveau propose un regard différent, loin des clivages faciles dans le but d’offrir les outils conceptuels, les habitus de réflexion pour reconstruire une société humaine et chrétienne. cette Revue de presse ne se contente pas de proposer des informations éphémères, mais vous offre aussi de découvrir des réflexions. Elle est là pour nous inviter à réfléchir. En ce sens, elle ne perd (presque) rien de son actualité. Elle se lit et se relit.

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