Sous cette appellation qui fleure bon le louvetisme se cache en fait un mouvement turc qui infiltre l’Europe et sur lequel Le Point (24 juin) a mené l’enquête.
Deniz Poyraz avait 20 ans. Elle a été assassinée, le 17 juin, après une attaque armée contre les locaux du parti prokurde de Turquie (HDP) à Izmir, où elle travaillait. L’assaillant, Onur Gencer, a fait feu sur la jeune femme qui s’est trouvée sur son chemin parce qu’il « haïssait le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, auquel le HDP est accusé d’être lié, NDLR] depuis son enfance ».
Le terroriste, âgé de 27 ans, a ensuite essayé d’incendier le bâtiment, avant d’être maîtrisé par la police. Sur les réseaux sociaux, il se présentait comme un militant nationaliste turc, amateur de slogans patriotiques et de postures viriles, arme de guerre en main. L’an dernier, il s’affichait « en service » dans le nord de la Syrie, au côté des soldats turcs et de leurs supplétifs islamistes. Près de Manbij, dans la région d’Alep sous contrôle turc, il posait fièrement devant le drapeau rouge orné d’un croissant et d’une étoile, bras tendu et doigts joints pour former une tête de loup. Ce signe des Loups gris, version turque du salut fasciste, témoigne de l’appartenance au mouvement « idéaliste » (ülkücü), un courant d’extrême droite violent, militariste, nationaliste, antisémite, anti-kurde et antiarménien fondé dans les années 1960 par le colonel Alparslan Türkes, un admirateur des régimes fascistes européens. Ses militants sont appelés Loups gris par leurs adversaires mais eux se définissent comme « patriotes » et « idéalistes ». L’idéal en question est celui d’une grande Turquie, d’une union des peuples touraniens, les peuples de sang, de race et de langue turcs. En France, Ahmet Cetin, le provocateur de Décines (voir p. 46), se réclamait de ce courant idéologique. « En Turquie comme dans la diaspora en Europe, les “idéalistes” occupent un espace de plus en plus important, y compris parmi les étudiants de l’université de Strasbourg », juge un enseignant-chercheur spécialiste de la Turquie, sous couvert d’anonymat. (…) Actif depuis un demi-siècle et organisé autour d’une hiérarchie stricte, souvent camouflé derrière des associations à but culturel, le mouvement ultranationaliste possède des représentations à travers le continent. « Mais l’appartenance à cette mouvance est très difficile à caractériser, juge l’universitaire turco-logue. Ils sont très discrets et leurs idées sont insaisissables pour un observateur extérieur non averti. » (…) L’organisation quadrille tout le territoire européen. En France, le mouvement extrémiste s’est installé sans bruit, à pas de loup. « Je me suis intéressé aux organisations nationalistes il y a une trentaine d’années, se souvient l’historien Étienne Copeaux. J’ai assisté, dans une salle paroissiale de Colmar, à un meeting des Loups gris camouflé en fête de mariage. Les discours étaient enflammés mais ils arrivaient à dissimuler leurs idées politiques aux regards extérieurs. » Discrètement, les « foyers idéalistes » ont essaimé partout où se sont installées des communautés turques : à Strasbourg, mais aussi à Metz, Lyon, Bordeaux, Grenoble, Nantes… Ou encore dans de plus petites villes, Brive-la-Gaillarde, Annecy, Montereau-Fault-Yonne…