Au quotidien n°252 : l’avenir du catholicisme français sera-t-il urbain ?

Publié le 21 Sep 2021
Au quotidien n°252 : l'avenir du catholicisme français sera-t-il urbain ? L'Homme Nouveau

Gullaume Cuchet s’est fait connaître auprès du grand public par son livre Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Ce professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Est-Créteil vient de publier un nouvel essai, Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? et, dans le Figaro Magazine (17 septembre 2021), il a répondu aux questions de Jean Sévillia

Le catholicisme tend à se concentrer dans les villes, où il conserve souvent une belle vitalité, comme dans les premiers temps de l’Église. L’ancien catholicisme avait une base rurale très forte, avec des bastions géographiques qui lui permettaient d’équilibrer ses comptes en déversant sur les « mauvais » pays le surplus (en vocations, fidèles, argent, etc.) des « bons ». Les taux de pratique ruraux étaient toujours supérieurs aux taux urbains, mais les deux étaient liés, le niveau de ferveur des villes reflétant un cran au-dessous celui de leur arrière-pays rural. C’est ainsi que des petites villes comme Le Puy ou Cholet étaient les plus pieuses des années 1950. Mais déjà dans les diocèses les plus déchristianisés (dans le Limousin, par exemple), les taux urbains étaient supérieurs aux taux ruraux. Dans les villes, on ne descend jamais à zéro parce qu’il y a toujours assez de fidèles motivés pour faire vivre une communauté, mais dans les campagnes on peut. Cette situation, alors exceptionnelle, s’est généralisée. La crise des vocations sacerdotales n’a rien arrangé. Elle a empêché l’Église de maintenir l’ancien quadrillage très étroit du territoire (un prêtre par commune, en gros). L’unité de base du dispositif est devenue le chef-lieu de canton, voire d’arrondissement, ce qui a provoqué l’effondrement de la pratique rurale. L’Église va donc devoir trouver le moyen d’organiser une présence plus intermittente dans ces secteurs déshérités, peut-être sous forme de missions de l’intérieur d’un genre renouvelé associées à des pôles fédérateurs. (…)

Le pape François jouit d’une popularité enviable dans une large partie de l’opinion, ses encycliques, comme Laudato si sur l’écologie, ont reçu un grand écho, et son élection a été vécue comme une divine surprise par la vieille garde « conciliaire » du catholicisme français, plutôt vieillissante, mais on sent une certaine réserve, parfois même une franche hostilité, dans les courants plus conservateurs, a fortiori chez les traditionalistes qui viennent d’être très échaudés par le dernier motu proprio du pape sur la messe tridentine. Manifestement, les vieilles terres de la chrétienté européenne n’ont pas, pour le pape, la même priorité que pour Jean-Paul II et Benoît XVI. C’est tout un débat dans l’Église que de savoir si son avenir passe encore par ces territoires histo­riques ou s’il ne se situe pas plutôt en Afrique, en Asie, où les perspectives de développement paraissent plus favorables. Je n’en suis pas sûr, parce que j’ai tendance à penser que nos problèmes sont prototypiques et qu’ils ont vocation à se généraliser, de sorte que c’est encore ici, en dépit de certaines apparences, dans le cœur historique de l’ancienne chrétienté, que se joue en partie l’avenir du catholicisme. La « fille aînée de l’Église », dans cette hypothèse, pourrait n’avoir pas dit son dernier mot. (…)

Les « nones » étaient, au départ, ceux qui ne déclaraient aucune religion (« No religion ») dans les enquêtes d’opinion américaines : le terme paraissait moins désobligeant que celui de « désaffiliés » ou de « non-affiliés » (à une Église quelconque). Il est devenu une catégorie à part entière de la sociologie religieuse à mesure qu’ils se sont répandus et que la position s’est dépénalisée dans les esprits. En France, une enquête de 2018 a montré qu’ils étaient 64 % chez les jeunes. C’est une mutation majeure, plus importante à mon avis que la montée de l’islam. Ils introduisent dans notre histoire culturelle une inconnue formidable, inédite dans les annales anthropologiques de l’humanité, car qui peut dire ce qu’ils deviendront ? Vont-ils rester désaffiliés ou, au contraire, se réaffilier ? À qui et à quoi alors ? La particularité des « nones » français par rapport à leurs homologues états-uniens est que, chez nous, on en est souvent à la deuxième, voire troisième génération du décrochage. On a affaire à des décrochés, pas des décrocheurs, qui ont trouvé la rupture dans leur berceau, souvent parce qu’on a voulu préserver leur « liberté » en évitant soigneusement de les initier au catholicisme dans leur enfance. Pour l’Église, c’est un problème mais aussi une opportunité, qui ouvre la possibilité de parler du christianisme à nouveaux frais à toute une génération. (…)

Je suis frappé par le fait que, dans ce pays, s’il n’y a plus que 2 % de pratiquants, il y a encore 50 % de Français qui se considèrent comme catholiques dans les enquêtes et les trois quarts qui pensent que la France est « un pays de culture chrétienne ». Simple constat historique, en un sens, mais dont on sent bien qu’il recèle un attachement persistant au catholicisme. On l’a bien vu à l’émotion qui s’est emparée de l’opinion lors de l’incendie de Notre-Dame en 2019. Ces réserves de catholicisme diminuent rapidement, mais il serait dommage de les passer trop vite par pertes et profits, comme s’il ne s’agissait que de restes sans valeur. Le moyen d’en juger du reste ? On ne pourra pas faire que la France n’ait pas déjà eu une grande histoire chrétienne. Ces catholiques occasionnels, voire ces nombreux Français d’ascendance catholique dont la relation à l’Église est de plus en plus indiscernable, lui sont plus utiles qu’il n’y paraît : ils l’empêchent de devenir une « secte » au sens sociologique du terme (c’est-à-dire un petit groupe d’adeptes très motivés). Mais il est clair aussi que la culture ne peut survivre indéfiniment à l’extinction des croyances, des pratiques et des comportements qui l’ont fondée. À terme, il y a un lien entre les deux, ne serait-ce que parce que l’Église a de moins en moins les moyens d’assurer l’ancien service public de la transcendance. À chacun donc de prendre ses responsabilités, sauf à se résoudre à voir disparaître le christianisme de sa famille avec ses derniers représentants vivants, tragédie dont, je l’avoue, comme chrétien (d’une espèce des plus communes), mais aussi comme Français, j’ai un peu de peine à m’accommoder.

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