Au quotidien n°262 : face au rapport de la Commission Sauvé

Publié le 05 Oct 2021
Au quotidien n°262 : face au rapport de la Commission Sauvé L'Homme Nouveau

C’est aujourd’hui mardi 5 octobre 2021 qu’est rendu public le rapport de la Commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique en France. Une commission mise en place à la demande des évêques de France. « Par l’ampleur des faits révélés et de la documentation réunie, avertit Le Monde (03-10-2021), les résultats de ces investigations devraient constituer un choc ! » Le quotidien « de référence » annonce encore : « Certaines des questions traitées sont hautement sensibles pour l’Eglise, comme celles qui touchent à sa gouvernance, à son droit interne, à son enseignement, à la place du prêtre, aux sacrements. » Au moins, nous voilà prévenus. Sur son site Smart Reading Press, la philosophe Aline Lizotte réagit aussi à l’annonce du choc et cherche à trouver les causes de cette situation.

Au moins, on nous prévient. Mgr Éric de Moulins-Beaufort peut avoir lu, comme beaucoup d’évêques, certaines bribes du rapport de la CIASE puisque, selon le journal La Croix, il nous prévient que le document qui sortira le 5 octobre l’a confondu par les chiffres qu’il étale et écœuré par les actes qui y sont décrits. Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a répondu à nos évêques en séjour à Rome pour leur visite ad limina que ce dévoilement entraînerait une très grande souffrance.

Après les articles du Boston Globe, les révélations de la presse australienne, le Report du Grand Jury de l’État de Pennsylvanie, les études faites en Allemagne, que nous reste-t-il donc à savoir ? La France a-t-elle atteint des sommets dans l’horreur ? L’Église de France, comme toute les grandes Églises de l’Occident, devrait-elle assumer ce que ni l’État, ni les systèmes éducatifs de nos gouvernements, ni les familles, n’ont jamais voulu prendre à leur compte : la responsabilité des crimes de pédophilie. Bien sûr, on sait depuis très longtemps qu’il y a des hommes qui masturbent les enfants ; bien sûr, on sait qu’il y a de l’inceste dans beaucoup de familles, mêmes chrétiennes. On le sait et on assume !

Jusqu’à maintenant, il n’était venu à personne, sauf aux anticléricaux de naissance, l’idée d’en accuser l’Église. Il y avait des pédophiles dans l’Église, comme il y a des voleurs, des assassins, des menteurs, des «faux frères», des traîtres, des calomniateurs, etc. Mais c’était «normal» ! L’Église, surtout la catholique, ne s’est jamais présentée comme une communauté de «saints». Le cardinal Robert Bellarmin (1542-1621) disait en son temps que l’Église de la terre est une communauté de pécheurs, et tous les péchés, des plus horribles jusqu’aux plus minimes, se trouvent en elle. L’Église de notre temps aurait-elle dépassé le seuil de la normalité du mal ? C’est à voir !

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’évêque, tout comme le supérieur, ne confesse pas ses subordonnés ; ils ne sont pas liés comme le confesseur au respect sacré du for interne. Cependant, la relation du prêtre et du religieux à son évêque et à son supérieur ne se place dans un aucun genre social ; elle n’est pas celle de la famille ; elle n’est pas celle de l’amitié humaine ; elle n’est pas celle d’un employeur à l’égard de ses employés. Elle est essentiellement celle d’un pasteur. Elle en a l’autorité et la responsabilité, et ces éléments qui forment sa spécificité lui interdisent de traiter la personne qui lui est confiée comme le ferait une simple autorité légale et civile. L’autorité dont l’évêque est doté – et souvent celle du supérieur – relève du pouvoir de juridiction, et c’est à ce titre qu’il doit juger et s’enquérir de la «vérité» d’un fait. Car autre est le fait, autre est la vérité du fait.

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1956 : la fameuse pilule demandée par Margaret Sanger à Gregory Pincus sort des laboratoires. Son approbation par la FDA4 la désigne comme «un médicament pour guérir les troubles de la fécondité». Cet énorme bluff de l’histoire scientifique a eu des répercussions fondamentales. Elle sacralisa le plus grand mépris du corps de la femme, et aussi celui du corps de l’homme. Mais d’où vient ce mépris, et quel est-il ? Il est loin de prendre sa source dans le cerveau de cette petite infirmière de Brooklyn élevée par une mère épuisée par une famille trop nombreuse de onze enfants. Ce mépris est devenu, depuis le début du XVIIe siècle, la trame et le fondement de notre façon de concevoir le «corps humain», qu’on l’adule comme on le fait aujourd’hui ou qu’on l’anéantisse comme au XVIIIe siècle.

D’où vient ce mépris ? L’auteur de ce mépris n’est nul autre que René Descartes (1596-1650). Son fameux principe, son principe premier (cogito ergo sum), suivi du principe de certitude («nos sens nous trompent») ont opéré dans notre connaissance de l’être humain une séparation redoutable. Le corps est devenu une «machine», dont l’étendue (espace) et le temps (nombre du mouvement) le réduit aux catégories de la quantité mathématique. Cette machine corporelle peut être mue par une âme unie au corps par ce petit nœud cartésien appelé «glande pinéale», concept qui a disparu rapidement pour donner à l’âme la fonction d’être la «cause motrice» et non la cause formelle du corps. À son tour, cette cause motrice a finalement disparu. L’être humain n’est devenu qu’une machine appliquant aux mécanismes organiques corporels les idées émergentes des projections d’un ego orgueilleusement libre, qui rejette toute autre autorité spirituelle que la sienne.

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Considérer le corps humain comme une machine, c’est le mépriser. Cette nouvelle systémie élimine toute la vraie signification du corps et n’en fait qu’un «bien utile» soumis aux passions du désir d’un être complètement disloqué à l’égard de lui-même. Qu’on ne s’y trompe pas ! Cette nouvelle construction du corps humain comme une machine n’est pas uniquement l’invention des philosophes «modernes». Avec leur langage, ils n’en sont que les descripteurs. C’est elle qui a animé une bonne partie de nos «spiritualités» modernes depuis les grands spirituels du XVIe siècle, jusqu’à ce qu’elles meurent d’épuisement après l’hécatombe universelle apportée par la dernière guerre, l’une des plus meurtrières de notre Histoire occidentale.

Qu’a donc fait Descartes ? Si on laisse de côté pour le moment ses antécédents philosophiques, il faut se rendre compte du désastre qu’a apporté celui que l’on adule comme le maître du rationalisme. Il biffe, comme d’un coup de crayon, tout l’apport que l’on doit au corps. Il détruit toute la connaissance sensible, laquelle est réduite au mécanisme organique de la «perception». L’acte par lequel on connaît les propriétés sensibles des choses et celui par lequel on en crée une image, l’acte par lequel on se la rappelle et par lequel on juge sa convenance sont des actes du corps en tant qu’ils sont des actes de connaissance sensible. Ce sont des actes par lesquels on «devient autre en tant qu’autre», par lesquels on reçoit quelque chose d’autre que soi, et par lesquels on enrichit son propre être. Ils ne sont pas uniquement des mécanismes organiques. Si on leur dénie leur qualité d’actes de connaissance, c’est-à-dire l’apport d’une vérité sur les aspects perceptibles du réel, tout l’aspect cognitif et affectif du corps humain s’effondre. Ce ne sont plus des actes de connaissance. Donc ils ne forment pas l’expérience du réel à partir de laquelle on doit accéder à la vérité. Et cette vérité n’existe pas, on la remplace par la «théorie».

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Ce corps méprisé est aussi bien celui qui est livré à la seule jouissance du bien-être que celui qui est soupçonné d’être la source du mal moral. Dans le premier cas, on l’adule ; dans le second cas, on s’en méfie ; dans le premier cas, on crée une société hédoniste ; dans le second cas, on crée une société rigoriste, celle qui a précédé la première guerre. Et l’on n’arrive à rien !

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Le rapport de la Commission Sauvé nous dévoilera des faits que nous ne connaissons pas, des actes que nous ne pensions pas possibles de la part de prêtres et de religieux. Elle sanctionnera probablement l’Église de France pour son silence. Il faudra lire cela attentivement et maîtriser nos émotions. Est-ce que cela apportera la solution au grave problème de la pédophilie ? Je ne le pense pas. Ce problème se situe dans une tout autre sphère que celle des statistiques. Mais c’est toujours un premier pas, et ce premier pas devait être fait. Quant à atteindre la vérité des faits, c’est tout autre chose. Que s’est-il donc passé ?

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