Les sondages n’ont-ils pas pris dans la vie politique des Français une place de plus en plus importante, comme instrument d’information mais aussi de contrôle social ? Certains se posent la question. Sans aller jusque là, L’Humanité note une overdose que le quotidien communiste non repenti traduit par une « gueule de bois démocratique ». Mais n’est-ce pas plutôt l’accomplissement de la démocratie ?
C’est une décision éditoriale forte. Ouest-France, journal le plus vendu en France, a fait savoir, le 24 octobre, qu’il ne publierait ni ne commenterait plus aucun sondage d’intentions de vote jusqu’à la fin de la présidentielle de 2022. « Le temps passé à les commenter détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées », justifie le rédacteur en chef du quotidien régional, François-Xavier Lefranc.
Cette annonce intervient dans un contexte général d’inflation sondagière. La campagne de 2002 avait fait l’objet de 193 sondages. Il y en a eu 409 en 2012, 563 en 2017. Dans l’optique de l’élection de 2022, la Commission des sondages en dénombre déjà 44 depuis le 1er janvier 2021. Qui les commande ? Des médias ou des formations politiques. Qui les réalise ? Des noms désormais familiers du débat public : Ifop, Ipsos, Elabe, BVA, Harris Interactive… Ces entreprises – bien qu’on les qualifie d’« instituts » de sondage – sont en concurrence sur le marché de l’opinion, même si les sondages politiques ne représentent qu’une part substantielle de leur chiffre d’affaires (c’est moins de 1 % de l’activité d’Harris Interactive, par exemple). L’essentiel de leurs recettes provenant d’enquêtes de lancement de produits ou de satisfaction à destination d’entreprises commerciales.
Toujours est-il qu’on n’a jamais autant sondé les Français sur leurs intentions de vote que maintenant. Or, la période se caractérise par une forte instabilité et fracturation du paysage politique. Le traditionnel clivage gauche de gouvernement/droite de gouvernement s’est effrité, et avec lui une grande partie du vote partisan. L’électorat est plus volatil et indécis qu’il ne l’a jamais été. Un paradoxe qui a fait dire au sondeur et politologue Jérôme Sainte-Marie (PollingVox) : « Jamais les sondages n’ont autant d’influence politique qu’au moment où ils ont le moins de réalité. »