Dans le Figaro (4 janvier 2021), une tribune libre collective met en cause un projet de réforme des droits de succession touchant notamment les entreprises familiales. Derrière les aspects techniques et fiscaux se profile une vision de la société de plus en plus individualiste et aux mains des technocrates. Avec les résultats qui s’affichent sous nos yeux dans d’autres domaines…
Le 21 décembre dernier, une note du Conseil d’analyse économique a proposé une vaste réforme des droits de succession en suggérant entre autres la suppression des avantages fiscaux du pacte Dutreil. Déjà, en novembre, invité à la 9e Journée de l’évaluation d’entreprise, l’ancien ministre Renaud Dutreil, père de la loi qui exonère des droits de succession et de donation, à hauteur de 75 %, la base d’imposition des transmissions d’entreprises familiales, affichait un pessimisme raisonné à propos de la pérennité de son texte.
La loi Dutreil subit en effet la critique d’organismes ou de commissions plus inspirés par la passion égalitaire décrite par Tocqueville que par l’analyse des faits. Ainsi, dans un document de travail de 2013 publié par la Direction générale du Trésor, les auteurs insistaient sur le fait que « les fondements économiques des incitations fiscales en faveur de la transmission-continuité à la famille » lui apparaissaient « contestables ». En 2015, le Conseil d’analyse économique reprenait à son compte des études américaine, canadienne et danoise pour conclure que la rentabilité des entreprises familiales était plus faible et le risque de faillite plus élevé, sans aucune étude comparative des régimes d’imposition applicables dans ces différents pays ! Un rapport de France Stratégie de janvier 2017 reproduisait les statistiques publiées dans les mêmes études, dans un article intitulé, comme un programme : « Peut-on éviter une société d’héritiers ? »
(…)
La prétendue incompétence relative des repreneurs familiaux est une pétition de principe, jamais scientifiquement démontrée, à supposer qu’elle soit démontrable. Elle est en contradiction avec les critiques qui déplorent l’excessive proportion des enfants d’entrepreneurs au sein des grandes écoles françaises. Il n’est par ailleurs pas évident de définir quelles sont les compétences d’un bon chef d’entreprise, qui à l’évidence ne se résument pas à un diplôme, si prestigieux soit-il. La part des autodidactes dans le succès des grandes entreprises familiales en est la démonstration.
De surcroît, ces économistes ne distinguent en général pas la question du transfert du capital et celle de la fonction de direction, deux choses bien différentes, notamment dans les grands groupes familiaux. Lorsqu’un groupe industriel est détenu par plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’associés, descendants du fondateur historique, très peu d’entre eux, parfois aucun, n’exerceront une fonction de direction générale dans l’entreprise. Dans ces familles, un processus régulier d’identification des talents au sein des jeunes associés est souvent mis en place, et lorsqu’aucun profil n’est trouvé en interne les familles n’hésitent pas à recruter des dirigeants en dehors du cercle familial, tout en conservant la majorité du capital pour pérenniser les valeurs familiales de leur entreprise.
En publiant ces rapports, les organismes en cause ont en tête ce qu’ils considèrent comme un avantage exorbitant accordé aux familles propriétaires. Mais opposons-leur le rapport parfaitement étayé du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, qui place la France en tête des pays européens les plus taxateurs en matière de transmission d’entreprises familiales, même avec la loi Dutreil ! Les conséquences en sont difficilement contestables. Alors qu’il existait en 1980 approximativement le même nombre d’entreprises familiales en France et en RFA, elles sont actuellement 13 000 en Allemagne et seulement 5 000 en France.