Le 5 novembre dernier, « Au quotidien » publiait un extrait d’un article du Point (4 novembre 2021) sous le titre « La grande démission ». Un phénomène nouveau, principalement américain, et qui interroge toujours la presse comme le montre cet extrait du Monde (26 janvier 2022).
Recherche d’un poste mieux payé ou d’un meilleur équilibre avec leur vie personnelle… Plus de 38 millions de personnes ont quitté leur travail en 2021 aux Etats-Unis, dont 40 % qui n’avaient pas trouvé un autre emploi quand ils ont franchi le pas.
(…)
Manifestement, la pandémie de Covid-19 a changé le rapport des Américains au monde du travail et à la vie. « Avant, je croyais être heureuse, car j’avais coché toutes les cases que les gens considèrent devoir cocher : j’avais remboursé ma dette étudiante, j’avais un salaire supérieur à 100 000 dollars, j’avais un appartement dans une maison new-yorkaise. Je bossais comme une folle en mettant le travail avant ma santé physique et mentale », explique Gabby Ianniello, New-Yorkaise de 28 ans, qui se levait avant l’aube pour exercer son métier dans le marketing à Manhattan.
(…)
Dans une note de recherche, Goldman Sachs a averti que le mouvement antitravail constituait un « risque à long terme » pour la participation au marché du travail. En effet, le taux de participation à l’emploi est de 61,9 %, contre 63,4 % avant la crise sanitaire, et le pays a depuis perdu 3,6 millions d’emplois. Ce reflux s’explique par les départs à la retraite, les femmes qui ne reprennent pas le chemin de l’emploi tant que la garde de leurs enfants à l’école n’est pas assurée alors que la pandémie perdure, et un phénomène appelé la « grande démission ». Cette bascule marque un renversement inédit du rapport de force en faveur des travailleurs. « Ce marché est parfait pour les salariés », estime Gabby Ianniello, qui classe les démissionnaires en trois catégories : « Ceux qui étaient en burn-out, ceux qui voulaient se lancer à leur compte et ceux qui veulent tirer avantage de la “grande démission” pour avoir un job qu’ils n’auraient jamais eu. »
(…)
On trouve de tout dans les démissionnaires. Des employées en bas de l’échelle, comme Tiffany Knighten, mais aussi un mathématicien, cadre chez Morgan Stanley à Manhattan, réembauché à l’été 2021 à prix d’or par son ancien employeur, une banque suisse. Ou ce start-upeur slovaque résidant à New York, Juraj Pal. Lorsque son entreprise a été rachetée par Cisco, il a perdu son visa américain. Cisco l’a alors déplacé à Vancouver, au Canada, mais le jeune homme s’est aperçu que les grandes entreprises n’étaient pas faites pour lui. Il a pris un congé sabbatique et changé de travail. Les grandes stars sont aussi concernées, tels le chef d’orchestre de la Philharmonie de New York, le Néerlandais Jaap van Zweden, ou celui de Seattle, le Danois Thomas Dausgaard, qui étaient retournés en Europe pendant la pandémie et ne se sont pas remis de la séparation avec leur orchestre : ils vont quitter leur poste prématurément.
Au total, plus de 38 millions d’Américains ont quitté leur travail en 2021 – sur 162 millions d’emplois. Des chiffres proches avaient été enregistrés avant la crise, lorsque le chômage était au plus bas. Mais à la différence des périodes précédentes, ces nouveaux départs ont lieu alors que les démissionnaires n’ont pas encore d’emploi. Du moins pour 40 % d’entre eux, selon une enquête de McKinsey parue en septembre 2021, qui relève les malentendus entre entreprises et salariés. « Les dirigeants doivent comprendre pourquoi les employés partent. Beaucoup ont du mal à le faire », encourage le rapport, selon lequel les employeurs expliquent ce phénomène en raison de la « rémunération, de l’équilibre travail-vie personnelle et d’une mauvaise santé physique et émotionnelle ».
(…)
Les départs sont recensés avant tout dans le secteur des services mal payés et exposés au Covid-19. Sur les 4,5 millions d’Américains ayant démissionné en novembre 2021, 20 % étaient dans l’hôtellerie-restauration, 18 % dans le commerce, 13 % dans la santé et l’aide sociale et 17 % dans les entreprises de services. Résultat, face à la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises sont obligées de s’ajuster et les salariés habituellement peu avantagés s’en sortent le mieux. Les jeunes (16-24 ans) sont les grands gagnants, avec une hausse des salaires supérieure à 10 %, qui bat les records de 2006. Et il n’est plus besoin de haute qualification quand on manque de livreurs ou de chauffeurs. Les salaires les plus bas (premier quartile) ont progressé de 5,4 %, tandis que les plus élevés n’ont augmenté que de 2,8 %, selon la Fed d’Atlanta.