L’audition récente de la responsable du cabinet McKinsey a fait ressortir la bureaucratisation mondiale et la captation au profit d’intérêts privés de la politique française. Marianne (27 janvier 2022) revient sur les faits.
Auditionnés au Sénat, les dirigeants de McKinsey en France n’ont pas réussi à dissiper ni les soupçons concernant la réelle utilité des coûteuses missions qu’ils exercent pour le compte de l’État, ni les interrogations relatives à leur influence démesurée auprès du pouvoir politique.
Un an après les révélations de la presse sur le rôle sujet à caution joué par McKinsey dans la stratégie vaccinale française, le puissant cabinet de conseil américain a de nouveau fait parler de lui. Le 18 janvier, face à la commission d’enquête sénatoriale sur « l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », deux des directeurs associés de McKinsey en France, Karim Tadjeddine et Thomas London, sont venus justifier de l’influence qu’on leur prête auprès des pouvoirs publics. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas convaincu. Que reproche-t-on concrètement à McKinsey ? De mettre son nez dans les affaires de l’État, d’inciter à la rationalisation de ses dépenses, et ensuite de se substituer à lui en proposant ses services contre rémunération. « Il y a désormais un recours trop systématisé de l’exécutif aux grands cabinets de conseil, au premier rang desquels McKinsey, sur des sujets qui ne méritent pas nécessairement de faire appel à eux », confie à Marianne la rapporteure de la commission, Éliane Assassi, sénatrice communiste.
Plusieurs contrats ont été évoqués durant l’audition, comme celui de 605 000 € pour la mise en place, durant la campagne de vaccination, d’une « tour de contrôle stratégique » à Santé publique France, l’établissement chargé de la surveillance épidémiologique, ou celui à 170 000 € pour la seule mise à disposition d’un « agent de liaison » pour le même établissement. (…)
Autre contrat polémique abordé, celui qui, facturé 496 800 €, visait à « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Une scène filmée qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux. « Vous pouvez nous dire à quoi a abouti cette mission ? », a questionné Éliane Assassi, qui s’étonnait de la légitimité de McKinsey à juger de la complexité du métier d’enseignant. Fébrile, Karim Tadjeddine lui a rétorqué que son cabinet a été mandaté par le ministère de l’Éducation via un « contrat-cadre » avec la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour organiser un séminaire afin de « réfléchir aux grandes tendances et aux évolutions attendues du marché de l’enseignement [sic] ». Puis la rapporteure a abordé le sujet d’une mission de 920 000 € avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) consistant à la préparation de la réforme des retraites pour 2019. (…)
L’audition a en fait montré que McKinsey était l’incarnation parfaite du concept de bullshit jobs (« métiers de merde »), cher à feu l’anthropologue David Graeber. Ce sont tous ces emplois privés surévalués qui « caractérisent la bureaucratie de l’entreprise mondialisée, avec ses ressources humaines, ses relations publiques, ses avocats d’affaires, ses experts en influence, ses myriades de consultants bardés de PowerPoint », résumait le philosophe libéral Gaspard Koenig dans les Échos. Une bureaucratie marchande qui emploie, qui plus est, les profils les plus brillants de leur génération : Karim Tadjeddine est diplômé de Polytechnique et de l’École nationale des ponts et chaussées, et Thomas London, de l’École centrale de Paris et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Une allocation des cerveaux qui ne peut qu’intriguer en ces temps où la France a un besoin criant de bons ingénieurs pour relancer son industrie.
Mais ces esprits si brillants ne produisent pas seulement des calculs d’optimisation sur tableurs ou des concepts managériaux sur slides, non. Ils exercent une influence au plus haut niveau. (…) La sénatrice centriste Nathalie Goulet a par exemple dénoncé les « liens assez forts entre McKinsey » et l’équipe d’Emmanuel Macron en 2017. Une vingtaine de salariés de McKinsey ayant participé de près ou de loin à sa campagne victorieuse.