Au quotidien n°335 : contre Benoît XVI, le rapport de Munich

Publié le 07 Fév 2022
Au quotidien n°335 : contre Benoît XVI

Veut-on faire taire Benoît XVI ? Et, qui aurait intérêt à ce qu’il ne parle pas, si jamais il avait ce désir ? Le rapport dit de Munich laisse entendre que le cardinal Joseph Ratzinger, alors qu’il était archevêque de Munich, aurait commis des fautes dans trois cas liés à des abus sexuels. Le site Benoît et moi suit de très près cette affaire et publie plusieurs articles à ce sujet, dont un entretien de Lothar Rilinger, auteur de livres, avocat à la retraite, spécialiste en droit du travail et ex-membre suppléant de la Cour d’État de Basse-Saxe avec le cardinal Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et responsable de l’édition des Œuvres complètes du cardinal Ratzinger/Benoît XVI. En voici quelques extraits, l’intégral est à lire sur le site Benoit et moi.

Lothar C. Rilinger, avocat : Considérez-vous comme une « affirmation de complaisance (/protection) », comme le formule le Rapport, le fait que le cardinal Ratzinger, archevêque à l’époque, n’aurait pas été informé des fautes commises, bien que ses prédécesseurs et ses successeurs aient été informés des infractions pénales commises par des prêtres par leurs vicaires généraux respectifs ? La connaissance d’autres évêques sur des abus peut-elle être considérée comme une « prémisse » et donc les arguments de Benoît qualifiés de « conclusion logique erronée » ?

Cardinal Gerhard Ludwig Müller : Il n’a pas besoin d’une déclaration de complaisance. L’accuser d’avoir une attitude morale aussi basse ne témoigne pas seulement d’un manque total de respect envers un homme et un chrétien hautement méritant pour l’Eglise et la société, mais c’est la « déclaration solennelle » des intentions qui ont présidé à la campagne de diffamation démesurément folle contre lui.

Rilinger : La mise en examen du prêtre pour exhibitionnisme doit-elle être considérée comme un délit de moindre gravité, puisque l’acte sexuel a eu lieu « devant » la victime et non « sur » la victime, de sorte que l’archevêque, le cardinal Ratzinger, n’a pas été informé de cette procédure ?

Card. Müller : La manière dont la tendance à l’exhibitionnisme se manifeste est une question qui relève de la psychologie sexuelle.
C’est aux juges compétents des tribunaux séculiers qu’il revient de décider comment la pratique est jugée pénalement.
Du point de vue de la théologie morale, un tel acte est un péché grave. (cf. 1 Corinthiens 6,9) Celui qui le commet est indigne du ministère sacerdotal, car le prêtre, comme tout autre chrétien, est tenu de respecter le sixième commandement. De plus, il représente le Christ en tant que bon pasteur et doit donc être un modèle spirituel et moral pour tous les croyants. (cf. 1 Pierre 5,3). En outre, un prêtre catholique doit non seulement se tenir dans les limites de ce qui est tout juste permis, mais il doit aussi éviter toute offense dans son comportement et toute ambiguïté dans son discours.

(…)

Après le Concile, il y avait aussi une image progressiste très répandue du prêtre, dont les protagonistes ne voulaient plus être aussi « coincés » en matière de morale sexuelle. Pendant des années, ces milieux ont excusé l’ex-cardinal progressiste américain McCarrick au motif que ses victimes étaient seulement (!) des candidats à la prêtrise qui, comme adultes, savaient ce qu’ils faisaient. C’est sur cette ligne désinvolte que s’engagent aujourd’hui encore les hypocrites « réformateurs de l’Eglise », qui veulent empêcher les crimes sexuels sur les adolescents en légitimant les contacts hétérosexuels et homosexuels des prêtres ou des collaborateurs laïcs avec les adultes. Ce faisant, ils sapent la morale révélée et l’éthique naturelle, transforment le célibat en une farce blasphématoire et désacralisent le mariage d’un homme et d’une femme en tant que fondation divine. Le chrétien ne détermine pas lui-même ce qu’est le péché à partir du jour de sa majorité civile, c’est-à-dire à partir de son 18e anniversaire. En tant qu’enfants, adolescents, adultes, seniors, nous savons que nous sommes majeurs-responsables vis-à-vis de Dieu et de sa sainte volonté. Le philosophe préchrétien Sénèque avait déjà reconnu que « nous sommes nés dans un royaume : obéir à Dieu, c’est être libre ». (De la vie heureuse 15, 7) A combien plus forte raison croyons-nous, nous chrétiens, que l’accomplissement des commandements de Dieu nous rendra libres et heureux. « Car vous avez été appelés à la liberté… Seulement, ne prenez pas la liberté comme prétexte pour la chair, mais servez-vous les uns les autres avec amour ». (Épître aux Galates 5, 13)

L’Eglise ne sortira pas de ce marasme médiatique en sapant la morale sexuelle. Nous ne sortirons de la misère de la sexualisation et de la commercialisation de notre existence corporelle, qui ne fait que refléter le vide de sens désespéré du nihilisme européen, que si nous comprenons notre être homme ou femme comme une disposition à l’amour personnel et que nous l’expérimentons ainsi comme une grâce. La sexualité est toujours malmenée lorsqu’elle se transforme en drogue ; elle est censée anesthésier le sentiment d’absence de sens. Mais la vie n’est jamais dénuée de sens, car le sens, la raison, la parole de Dieu, s’est incarnée et a habité parmi nous, et en Jésus-Christ, elle reste avec nous avec sa grâce et sa vérité.

Dieu n’a pas créé l’être humain hétéro-, bi-, trans- ou asexué, pédéraste ou lesbienne ou pédo- et homophile ou selon d’autres techniques de recherche du plaisir, mais à son image et à sa ressemblance, il a créé chaque individu comme homme ou femme. Et il bénit le couple en disant : « Soyez féconds, multipliez, peuplez la terre ». (Genèse 1, 28 s) Et Jésus, le fils de Dieu et seul maître de la vérité divine, interprète définitivement cette vérité anthropologique originelle de telle sorte que, grâce à l’amour réciproque de l’homme et de la femme, les deux ne sont plus deux, mais « une seule chair » (Matthieu 19, 5).

(…)

Rilinger : Benoît XVI veut faire la lumière et s’est donc déclaré volontairement prêt à participer à la clarification. Toutefois, les experts doutent de sa capacité à se souvenir, car 40 ans après, il peut ne pas se souvenir d’une séance, et ils insinuent que l’archevêque d’alors a été informé, contrairement à ses souvenirs, d’infractions pénales commises par des prêtres. Pensez-vous qu’il soit possible que Benoît se réfère à des trous de mémoire pour nier de prétendues fautes ?

Card. Müller : Seul Dieu a dans sa mémoire une connaissance parfaite de tout ce qui se passe dans le monde en général et jusque dans les moindres détails. Les hommes ont une capacité de mémoire variable, mais aucun ne dispose d’une mémoire absolue. De notre passé, nous connaissons grosso modo les événements et pouvons nous souvenir ponctuellement de tel mot et de telle expérience. Parfois, nous faisons des associations erronées et pensons que cela s’est passé ainsi en raison d’une mauvaise association d’idées.

Il est tout à fait grotesque de vouloir présenter au monde un homme comme le pape émérite Benoît XVI/J. Ratzinger comme un menteur, en attribuant 42 ans plus tard un événement isolé à une seule des centaines de réunions auxquelles il pensait peut-être avoir participé ou non.

De plus, l’erreur ne lui est pas imputable, mais il s’agit d’un oubli de ses collaborateurs. A 94 ans, il est encore en pleine possession de ses moyens au sens intellectuel, mais il ne peut pas maîtriser les processus opérationnels, par exemple la lecture de milliers de dossiers sur un écran d’ordinateur.

Il peut toutefois se souvenir du fait qu’à l’époque, il n’était pas au courant de la dangerosité de ce prêtre venant du diocèse d’Essen. En outre, cet homme n’est plus entré dans son champ de vision et ne s’est pas fait remarquer négativement jusqu’au départ de J. Ratzinger pour Rome.

(…)

Rilinger : Il ressort du Rapport que les experts se voient dans l’impossibilité d’imputer sans aucun doute possible un comportement fautif à Benoît XVI. Dans leur argumentation, ils s’appuient sur des suppositions, des insinuations et des analogies, sans pour autant pouvoir apporter une preuve concluante à partir des indices cités. Cette manière de procéder ne va-t-elle pas à l’encontre de la présomption d’innocence en droit pénal, également invoquée par les experts, et dont chaque personne concernée peut se prévaloir ?

Card. Müller : Ces avocats veulent être à la fois enquêteurs, accusateurs, défenseurs et juges. Seuls les tribunaux ordinaires de l’État sont compétents pour juger d’un comportement fautif au sens pénal du terme. Il est illégitime de faire appel à des instances séculières au sujet de l’action de gouvernance des évêques dans leur ministère spirituel. En ce qui concerne la juridiction de l’État, les évêques et les prêtres sont, comme tous les citoyens, égaux en droits et en devoirs.

Les commanditaires auraient dû le savoir, c’est-à-dire que seul le pape, avec ses tribunaux ecclésiastiques romains, rend la justice sur les évêques selon le droit canonique. Et personne ne peut de toute façon se prononcer sur Benoît XVI en matière ecclésiastique, même s’il a désormais le statut d’ex-pape. Le sens d’une telle enquête ne peut être que de rendre maintenant justice aux victimes d’abus sexuels, si cela n’a pas encore été fait, et de soumettre à la justice séculière ou ecclésiastique des criminels qui n’ont pas encore été identifiés.

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