Au quotidien-n°38 (Revue de presse du confinement)

Publié le 08 Mai 2020
Au quotidien-n°38 (Revue de presse du confinement) L'Homme Nouveau

Dans le Figaro (7 mai) l’essayiste Lætitia Strauch-Bonart présente le regard des conservateurs sur la crise actuelle, non sans s’approprier au passage Soljénitsyne. Des aperçus de bon sens, mais qui reposent sur une « idéologisation » de la réalité. On reste dans le cadre de pensée issue de la Révolution :

Au risque de choquer, je pense que la plupart des grands penseurs conservateurs commenceraient par relativiser ce que nous vivons au regard de l’histoire de l’humanité. Ce qui n’empêche pas que leur pensée nous soit utile aujourd’hui ! On trouve chez ces philosophes une réflexion plus ou moins explicite sur le sens des épreuves humaines. Roger Scruton, intellectuel anglais récemment disparu, parlait de l’importance du sacrifice comme trait moral fondamental. Alexandre Soljenitsyne, de son côté, offre de profondes réflexions sur le mal et son caractère omniprésent. Les conservateurs sont fondamentalement pessimistes : ils estiment que l’adversité est partie intégrante de la condition humaine et que demain ne sera pas forcément meilleur qu’aujourd’hui. Cette évidence semblait oubliée dans un monde qui se croyait lancé pour toujours sur la pente ascendante du progrès. Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de l’inquiétude conservatrice : il ne s’agit pas de dire que tout ira toujours de mal en pis, mais de considérer l’avenir avec prudence. (…) Nous allons certainement vivre un basculement économique et géopolitique à cet égard, la pandémie ne faisant que s’ajouter aux crises précédentes – celle des réfugiés en 2015 ou encore celle du Brexit. Je regrette que les politiques et les commentateurs cultivent une opposition binaire entre « l’ouverture » et la protection (ou la « fermeture »). Les libéraux et les conservateurs ne jurent respectivement que par l’une ou l’autre, mais tout dépend à quoi on s’ouvre ou on se ferme ! Notre monde a besoin des deux. Un pays peut très bien à la fois pleinement s’intégrer dans la mondialisation et développer des industries stratégiques sur son territoire pour faire face aux risques géopolitiques ou sanitaires – c’est ce que fait l’Allemagne. De même, rien ne devrait empêcher un État de favoriser la libre circulation des personnes par temps calme et de fermer ses frontières dès qu’il le souhaite. Il ne faut pas penser l’« ouverture » contre la « fermeture » mais leur articulation intelligente. C’est le seul moyen d’être réactif en temps de crise.

Hilaire de Crémier dans son éditorial de Politique Magazine (mai) n’a pas l’air de croire à un changement politique dans le « monde d’après » :

Alors que la France fait aujourd’hui le constat accablant du résultat des politiques menées depuis des décennies par une République française que des générations de dirigeants, avant Macron et déjà tout comme lui, ont privée de ses capacités industrielles, techniques, économiques, financières, monétaires et, surtout, essentiellement politiques, par des séries indéfinies de lâches abandons, tout en alourdissant constamment l’État et tout l’appareil de la puissance publique pour des motifs idéologiques et partisans, au point de les rendre ingérables. Impéritie structurelle, bureaucratie technocratique, tel est le double effet mécanique, absurde et criminel, des mesures accumulées par toute la série des politiciens qui se sont succédé à la tête de l’État avec leurs partis depuis cinquante ans ! Tous les esprits avisés le disent aujourd’hui : un État prépotent, impotent, pesant effroyablement sur la nation et pourtant dénationalisé, tentaculaire par ses lois et ses règlements, totalitaire dans son esprit, aussi tatillon qu’inefficace. Et rien ne sert de vilipender, comme il est devenu de mode de le faire depuis quelque temps, la technostructure qui serait responsable en tant que telle de ce désastre, ni de gémir sur les carences d’une administration jacobine en cherchant des causes dans ce qui ne constitue jamais que des effets, pour éviter de dénoncer le mal en son principe essentiel. Et ce mal n’est pas le « mal français », comme l’écrivait naguère Alain Peyrefitte, pour imputer à l’esprit français les tares du régime inepte dont crève la France, c’est le mal républicain, précisément républicain. (…)  L’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar », a écrit Simone Weil, la philosophe si profonde, revenue de toutes les erreurs modernes par expérience personnelle, et jusqu’au tragique, et qui, à la fin de sa vie, détestait le régime des partis qui avait perdu la France de l’entre-deux guerres et vicié toute représentation de la nation, ainsi qu’elle l’exprime vigoureusement dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques. Sa quête perpétuelle et courageuse de vérité jusqu’au sacrifice total la détournait peu à peu des chimères progressistes et de toutes les faussetés socialo-révolutionnaires, et la poussait sans cesse en avant vers la claire évidence de la légitimité religieuse qui ne peut être pour elle, en même temps, que politique, sociale, christique. « La légitimité, c’est la continuité dans le temps, la permanence, un invariant. Elle donne comme finalité à la vie sociale quelque chose qui existe et qui est conçu comme ayant toujours été et devant être toujours. Elle oblige les hommes à vouloir exactement ce qui est. »

Et la Chine, comment va-t-elle ? Pas mal à en croire Challenge, profitant même de la crise pour renforcer sa zone d’influence dans le monde. Santé oui, mais politique d’abord :

Alors que le monde occidental s’enfonce dans la récession, sous l’effet d’un confinement généralisé, le géant d’Asie – épicentre du Covid- 19 – recouvre peu à peu des forces. La quasi- totalité de ses entreprises de taille intermédiaire ont ainsi redémarré leurs activités, en même temps que les trois quarts de ses PME. Certes, le pays sort groggy de cet épisode pandémique qui devrait faire reculer son PIB de 6,8 % au premier trimestre. Du jamais-vu depuis l’ère maoïste… (…) Face à ce repli des démocraties occidentales, Zhongnanhai (l’Elysée local) en profite pour déployer une diplomatie humanitaire inédite, en venant au chevet de plusieurs pays gravement atteints. Italie, Serbie, Portugal… Idem pour les pays africains, à qui Pékin – avec l’aide de ses grands groupes – multiplie les dons d’équipements médicaux pour renforcer son influence. « La Chine passe clairement à l’offensive », constate Joseph Nye, théoricien américain des relations internationales à la Kennedy School of Government d’Harvard. Pour cet ancien secrétaire adjoint à la Défense sous Clinton, si le régime a lancé ce vaste programme humanitaire, « c’est aussi pour tenter de modifier le récit de son échec au début de l’épidémie ». Droit dans ses bottes, le président Xi Jinping s’est lancé dans un soft power agressif. Plusieurs ambassadeurs chinois, nouveaux faucons du régime, n’hésitent pas à critiquer vertement « l’impréparation » des gouvernements européens. A Pékin, les médias officiels sont sommés de multiplier les reportages positifs sur l’action chinoise. Et pas une voix dissidente ne doit venir interroger la gestion de la crise. « La censure est aussi forte qu’à l’époque de l’épidémie du Sras en 2003 », relève Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université baptiste de Hong-kong. Pékin est engagé « dans une guerre mondiale de l’image ». L’enjeu : imposer un storytelling qui fait la part belle à la supposée « réactivité » du régime et à l’agilité des entrepreneurs locaux pour surmonter la crise. La tech chinoise est aussi en première ligne. On ne compte plus le nombre d’applications locales qui permettent de « tracer » tout individu porteur du virus. « Cette épidémie confirme, et même renforce, le leadership de la Chine sur des segments stratégiques comme l’intelligence artificielle ou le big data », estime l’universitaire français.

Cette Revue de presse ne se contente pas de proposer des informations éphémères, mais vous offre aussi de découvrir des réflexions. Elle est là pour nous inviter à réfléchir. En ce sens, elle ne perd (presque) rien de son actualité. Elle se lit et se relit.

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