Marianne (12 juin) s’intéresse au concept de « national-populisme » et à son éventuelle pertinence :
« Michel Onfray séduit les milieux d’extrême droite » avec sa revue Front populaire, qui ambitionne de « fédérer les souverainistes de droite, de gauche et, surtout, d’ailleurs », alertait le Monde le 19 mai. (…) Peu de temps avant le confinement, le 6 mars, le Monde dénonçait la montée du « national-populisme », « galaxie hétéroclite […] composée de chevènementistes droitisés, de réactionnaires, de maurrassiens, mais aussi […] d’authentiques néofascistes, qui articulent autoritarisme de droite, xénophobie et antilibéralisme de gauche ». Outre Michel Onfray, cette mouvance compterait dans ses rangs Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Eugénie Bastié, Ivan Rioufol, Jean-Pierre Le Goff, Elisabeth Lévy, Christophe Guilluy, ou encore notre éditorialiste Jacques Julliard. Causeur, l’Incorrect, Valeurs actuelles, le Point, le Figaro et même Marianne en seraient les relais médiatiques. « Bien plus qu’une petite musique, c’est une véritable offensive idéologique. La France semble saisie par l’essor du national-populisme médiatique », annonce le journal. Un élément de taille manque à cette diatribe : la définition claire du concept, de son histoire, de ses contours, de ses évolutions. « J’ai introduit en 1984 la notion de national-populisme pour définir la combinaison de démagogie et de nationalisme xénophobe illustrée par le Front national de Jean-Marie Le Pen », nous explique l’historien des idées Pierre-André Taguieff. Pour Jean-Yves Camus, politoloque spécialiste de l’extrême droite, le terme était « adapté pour décrire le FN » des années 1990-2000, « comme quelques-uns des partis proches à l’étranger. » « Désormais, poursuit-il, il faut plutôt évoquer […] les “droites populistes radicales”, que rassemblent l’opposition peuple/élites et la distinction entre “les nôtres” et “les autres”. » Peut-on cependant parler de convergence entre populismes « de gauche » et « de droite » ? « Du point de vue du libéralisme, oui, puisque celui-ci postule qu’il n’y a pas d’autre voie possible que la gestion managériale de la politique sous la contrainte inexorable des lois du marché. Mais la gauche radicale n’a pas le logiciel identitaire de son pendant droitier », analyse Jean-Yves Camus. « J’ai distingué le populisme identitaire et autoritaire (ou national-populisme) du populisme protestataire, prônant le recours au référendum d’initiative populaire comme instrument privilégié de la démocratie directe. Mais cette distinction est strictement analytique : ce qu’on observe dans le champ sociopolitique, ce sont diverses combinaisons d’identitaire et de protestataire », nuance Taguieff. Ajoutons qu’il semble compliqué de qualifier Jacques Julliard ou Marcel Gauchet (lui aussi cité dans l’article du Monde du mois de mars) de « populistes ».
Sur la revue de Michel Onfray, Jean-Yves Camus s’était déjà expliqué dans Charlie hebdo (27 mai), dans un texte plus engagé :
Je n’ai pas d’idée préconçue sur la revue de Michel Onfray, Front populaire. Comme toute publication, je la jugerai à son contenu. Le projet, tel qu’il est présenté par ses initiateurs, appelle toutefois quelques remarques. La première concerne le titre, évident rappel de cet épisode de l’histoire française que constitue le gouvernement en place de mai 1936 à avril 1938, sous la direction de Léon Blum. La revue d’Onfray est souverainiste et veut rassembler des contributeurs de droite comme de gauche, soit tout le contraire de ce que fut le Front populaire : une coalition de gauche, seulement de gauche, dont deux composantes au moins, la SFIO et le Parti communiste, étaient internationalistes. Le clin d’œil historique est donc une tromperie : rassembler la gauche et la droite autour de la nation n’était pas le projet de Blum, qui vit se dresser contre le bloc des gauches un rassemblement de toutes les droites dont le nom, déjà, était… Front national. Réunir les républicains des deux rives avait été, en 2002, le projet de Jean-Pierre Chevènement. Il reposait sur un axiome simple : « Au-dessus de la gauche et de la droite, il y a la République. » Des gens de gauche, des gaullistes sociaux s’étaient retrouvés dans le refus du traité de Maastricht et des dérives libérales du Parti socialiste, dans le patriotisme et l’attachement à la laïcité. Difficile d’y retrouver, dans la tentative éditoriale d’Onfray, ce qui les motivait. (…) Onfray entonne un refrain connu : pour imposer son hégémonie, le libéralisme, notamment celui de la « bonne conscience de gauche », aurait « fascisé » la droite de la droite. Une foi déconstruite la malhonnête reductio ad hitlerum, la droite de la droite pourrait enfin être regardée pour ce qu’elle est : une droite souverainiste qui, comme Onfray, veut défendre « le peuple contre le populicide ». Non. Même si le RN n’est pas fasciste, on ne peut faire « Front populaire » avec lui. Ni même avec Philippe de Villiers. Sauf à retomber dans ce qui fut l’ornière du rassemblement manqué des « républicains des deux rives », à savoir que leurs conceptions de la nation convergeaient, mais que la question sociale les séparait, malgré les proclamations du contraire. Pourquoi?? Parce que « le peuple » n’est pas une entité homogène.
Pour consulter nos précèdentes publications, voir :
Au quotidien n°53 (du numéro 24 au numéro 53)
Au quotidien n°23 (du numéro 1 au n° 23)