L’apocatastase est-elle la nouvelle tâche de l’État (moderne) ? C’est la question que pose sur son blog, hébergé par Réformés, un journal protestant suisse, le théologien et philosophe Jean-Marc Tétaz. Le billet date du mois d’avril (12 avril), mais n’a rien perdu de son actualité pour nourrir la réflexion :
L’apocatastase : voilà un terme que seuls les théologiens, et peut-être quelques philosophes, connaissent encore. Il signifie littéralement : restauration ou rétablissement dans l’état originel. Dans l’histoire de la théologie chrétienne, il désigne la doctrine selon laquelle, à la fin des temps, Dieu restaurera toutes choses en leur état originel et, en particulier, fera participer tous les hommes au salut. Si l’on veut la ramener à une formule simple, on peut y voir la position affirmant que l’enfer est vide. L’apocatastase enseigne que tous seront sauvés et que, par conséquent, le jugement dernier n’aura pas lieu. Mais le salut est-il uniquement une question concernant l’au-delà, ce qui vient après la mort ? On peut en douter. Le grand sociologue Max Weber suffirait à nous le rappeler. Il relève que le salut est le plus souvent une réalité d’ici-bas ; les êtres humains souhaitent avant tout être délivrés des vicissitudes terrestres : pauvreté, maladie, mort prématurée, absence de descendance. Les promesses de salut répondent d’abord à ces demandes. (…) C’est dans le cadre de cette recherche d’un salut ici-bas qu’il faut, me semble-t-il, placer la crise du coronavirus à laquelle nous sommes actuellement confrontés. Pour la plupart de nos contemporains (qu’ils se considèrent ou non comme chrétiens, juifs, musulmans ou bouddhistes), la perspective d’un salut dans l’au-delà a perdu toute pertinence ; les seules réalités salutaires qui conservent quelque signification sont les réalités d’ici-bas, ces réalités qui ont de tout temps été investies d’une valeur religieuse : longévité, richesse, pouvoir. La première d’entre elles est évidemment la longévité. Qui voudrait aujourd’hui renoncer comme Achille à une longue vie au profit d’une vie glorieuse de héros, même s’il devait être immortalisé par quelque Iliade moderne ? Du coup, voici l’État chargé d’assurer à tous une longévité maximale, c’est-à-dire la participation à la seule forme de salut possible pour tous ici-bas. Mais n’est-ce pas reconnaître à l’État un rôle quasi religieux ? Les images de la pandémie semblent le confirmer. (…) hargé de garantir une apocatastase séculière, de vider l’enfer des morgues et d’éviter le jugement dernier du triage, l’État devient une institution du salut, comme l’était classiquement l’Église. Mais, à la différence de l’Église, il ne renvoie pas, au-delà de lui, à une réalité ultime, Dieu, qu’il proclamerait sans pouvoir prétendre l’incarner. L’État qui promet à tous la longévité postule être cette réalité ultime. Dans la crise économique, l’État était déjà le prêteur de dernier ressort (en assurant le financement des banques), l’assureur de dernier ressort (en garantissant les crédits accordés aux PME) et même l’employeur de dernier ressort (par le biais de l’assurance chômage). Il devient en outre l’auteur et le garant des promesses de longévité, cette forme séculière du salut. En toutes choses, l’État est la réalité ultime.
Surprise ! L’Obs (18 juin) découvre le mythe de la superpolution à l’occasion de la présentation de Planète vide, un essai qui vient de paraître récemment :
C’est presque devenu un lieu commun : nous serions trop nombreux. L’épuisement des ressources naturelles, les méfaits du réchauffement climatique, ont fait resurgir le spectre de la surpopulation, et il faut avouer qu’avec 7,7 milliards d’êtres humains celui-ci prend une acuité anxiogène. « Planète vide », un essai bien documenté et nourri de nombreux reportages, défend une thèse inverse. Il est signé par John Ibbitson, journaliste au quotidien canadien « Globe and Mail », et par Darrell Bricker, directeur du pôle politiques publiques de l’institut de sondages Ipsos au Canada. Celui-ci assure : « D’ici à une trentaine d’années, la population mondiale commencera à décliner et à vieillir. Une fois que cette décroissance aura débuté, elle ne s’arrêtera plus, ce phénomène marquera l’une des grandes ruptures dans l’histoire de l’humanité. » (…) Comment s’expliquerait cette chute inattendue? « Par une baisse foudroyante de la natalité, qui a déjà commencé sans que nous en ayons bien conscience », explique le chercheur. Et cela y compris dans les principales grandes nations en développement,à commencer par la Chine et l’Inde, mais aussi pour partie déjà sur le continent africain. Pour comprendre ce bouleversement civilisationnel, il faut se pencher de plus près sur nos modes de vie, nos représentations sociales et l’histoire propre à chaque pays. Ainsi, l’Asie, qui regroupe à elle seule les deux tiers de l’humanité, connaît une plongée démographique accélérée. En Chine comme au Japon ou en Corée, les femmes accèdent facilement aux études, mais se heurtent à un plafond de verre important et à une vision ultratraditionnelle des obligations maternelles et domestiques. Pour échapper à ce sort, la plupart choisissent de n’avoir qu’un seul enfant, ou refusent la maternité. En Chine comme aux Etats-Unis, le fardeau économique de l’éducation, notamment celui d’universités ruineuses, contribue aussi à maintenir au plus bas les naissances. Sans compter l’effet d’un modèle culturel dominant de plus en plus répandu : une « bonne » famille n’est pas nombreuse. Le facteur religieux importe peu au bout du compte. La natalité a tout particulièrement chuté dans les pays musulmans réputés rigoristes, comme l’Iran. (…) epuis, les valeurs et les modes de vie de l’ensemble de l’humanité se sont radicalement transformés. Les campagnes se sont vidées et 70% de la population habite désormais dans des zones urbaines, une évolution qui fait immanquablement chuter la natalité pour des raisons culturelles mais aussi pratiques (taille des logements, disparition de la nécessité de disposer de bras pour aider aux travaux des champs, etc.). L’Afrique, seul continent où la moyenne d’âge pourrait encore permettre une croissance démographique significative, n’échappe pas à ces phénomènes, même s’ils ne jouent encore que partiellement.
Pour consulter nos précèdentes publications, voir :
Au quotidien n°53 (du numéro 24 au numéro 53)
Au quotidien n°23 (du numéro 1 au n°23)