Un véritable chef de guerre. Telle est l’image que l’on garde de Bachir Gemayel après avoir lu la biographie de Yann Baly et Emmanuel Pezé, publié chez Pardès.
Propulsé à la tête d’une armée pendant la guerre du Liban sans trop y avoir été préparé, Bachir Gemayel agira toujours selon ses intuitions et en s’entourant des bonnes personnes. L’une des qualités du cheikh Bachir particulièrement mise en avant est l’humilité. Notre héros avait cette capacité à écouter tout le monde, parfois même à se laisser gronder, pour tirer la meilleure stratégie possible et avancer.
Il en était d’autant plus admiré par ces hommes, à qui il était imposé une discipline de fer, seul moyen d’arriver à ses fins lorsqu’on est en guerre. Gemayel fut capable d’aller jusqu’à punir par le sang les chrétiens alliés lorsque les divisions se firent trop dangereuses pour le combat mené. Et cet épisode lui vaudra d’être davantage respecté.
Ce chef hors norme s’est imposé comme une évidence lorsque les chrétiens ont dû choisir leur candidat à la présidence de la république en 1982. Il suffit d’observer la vie menée, même pendant la guerre, au sein de Beyrouth-Est, le quartier chrétien, pour constater que Bachir Gemayel avait su insuffler à son peuple une force pour supporter toutes les épreuves et rester debout malgré tout.
Un libanais enraciné
Né dans une des plus anciennes familles maronites au cœur du quartier chrétien de Beyrouth, Bachir Gemayel bénéficiait déjà de l’aura de ces ancêtres et de la renommée de ses parents : son père Pierre Gemayel n’est autre que le fondateur des Phalanges libanaises (ou Kataëb).
Ce petit dernier d’une famille de six enfants grandira entre Achrafieh et le village familial de Bikfaya, dans un Liban alors surnommé « la Suisse du Moyen-Orient ». Peu intéressé par l’école, Bachir devient en revanche rapidement la mascotte des militants Kataëb, qu’il rejoint à 15 ans, pour mettre son énergie bouillonnante au service de son pays.
C’est parmi les militants qu’il choisira sa future épouse, la fille d’un des fondateurs du mouvement : Solange Toutounji. Ils auront trois enfants. En attendant, Bachir s’inscrit en droit après avoir enfin décroché son baccalauréat, et enseigne pendant un an. Il obtient deux licences et décroche le barreau de Beyrouth en 1974. Mais en 1975, la guerre commence au pays des cèdres, et Bachir s’y engage à corps perdu.
Le Liban, il lui offrira toute son existence, jusqu’à sa petite fille Maya, assassinée à un an dans un attentat qui le visait, et sa propre vie deux ans plus tard.
Bachir Gemayel est la figure emblématique du clan Gemayel qui incarne l’esprit du peuple libanais chrétien, avec ses grandeurs, mais aussi – et la biographie en parle moins – ses bassesses et ses turpitudes. Lors de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, des affiches à son effigie ont refleuri, signe qu’il symbolise toujours l’espoir de ses compatriotes.
Comprendre la guerre du Liban
L’un des exploits de cette biographie, et non des moindres, est de parvenir à mieux faire comprendre au lecteur cette guerre du Liban que l’on ne tente souvent même plus de déchiffrer.
Bien sûr, le point de vue est placé du côté chrétien, mais c’est peut-être précisément car il ne tâche pas d’avoir un regard objectif, que ce livre parvient à faire entrer le lecteur dans l’histoire, à lui montrer les enjeux stratégiques, les protagonistes en présence, l’engrenage des alliances de cette guerre fratricide qu’a vécu le peuple libanais.
Depuis les premières tensions en 1967, jusqu’à la mort du président Bachir, les auteurs expliquent en parallèle du parcours de leur héros, la montée en puissance de la guerre, revenant précisément sur certaines batailles.
Une vie sous le signe de la Croix
Si la biographie ne s’attarde pas sur la Foi de notre héros tout au long du récit, elle lui consacre sa toute dernière partie. La courte vie du président libanais de quelques jours aura été marquée du signe de la Croix. Assassiné le 14 septembre, jour de la fête liturgique de la sainte Croix – dans l’Eglise maronite comme dans l’Eglise latine – il a passé sa dernière journée au couvent de la Croix, et donné son dernier discours devant un immense crucifix.
Les circonstances de sa mort ne sont que le reflet de toute son existence. Son courage communicatif, sa détermination dans les adversités, l’exemple qu’il donnait à ceux qui l’entouraient, prenaient leur source dans une vie de Foi dont témoigne son épouse Solange : « Béchir ne s’endormait pas sans avoir prié, et sans avoir prié à genoux ! » Il avait fait sienne cette phrase de Tertullien : « Le sang des martyrs est semence de chrétien », jusqu’à la vivre dans sa propre chair.
Bechir Gemayel, Yann Baly et Emmanuel Pezé, Pardès, 128 p., 12 euros.
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