Selon la presse italienne, et plus particulièrement Andrea Tornielli de La Stampa, l’un des vaticanistes les plus connus, le Saint-Siège et la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, se seraient entendus sur les termes du préambule doctrinal, fruit de la longue et exigeante persévérance du cardinal Ratzinger, puis du Pape Benoît XVI, pour clore l’épisode douloureux qui avait vu, selon l’expression d’Alain de Penanster, « des papistes contre le pape ».
Cet accord, dont nous ne connaissons pas la teneur – et qui doit encore être confirmé par les deux parties –, est un événement important qui dépasse le simple cadre de la question traditionaliste telle qu’elle est posée depuis plus de quarante ans mais touche l’Église entière. Le réglement de cette question s’inscrit pleinement dans le cadre du pontificat de Benoît XVI, dans ce que nous avons appelé à L’Homme Nouveau
, la « réforme bénédictine » et que nous avons toujours soutenu sans
a priori
et sans arrière-pensées. Il ne marque pas la fin et la résolution du problème touchant à la compréhension de Vatican II. Les deux parties ont fait le constat de leurs divergences importantes concernant ce Concile dont nous fêterons en octobre prochain le cinquantième anniversaire de l’ouverture. Mais le magistère de l’Église affirme également que ce constat ne met pas en péril la foi catholique et que, de ce fait, il n’y a aucune raison que la Fraternité Saint-Pie X se trouve en dehors de la visibilité de l’Église. Plus positivement encore, le Pape continue sa très longue action de réconciliation de l’Église d’aujourd’hui avec son long héritage et la richesse de sa tradition et de son passé. Il l’a fait sur un mode mineur (si l’on peut dire) en développant une catéchèse hebdomadaire sur les Pères de l’Église puis sur les grandes figures de sainteté qui forment la couronne d’or du catholicisme. Il l’a fait sur un mode majeur en réintégrant dans la visibilité de l’Église une partie vivante du troupeau catholique.
On se tromperait lourdement si l’on voyait en Benoît XVI un traditionaliste et un homme enfermé dans une idée fixe, tourné vers le passé, comme par un goût douteux pour la nostalgie. Bien au contraire, Benoît XVI est pleinement un homme de Vatican II, concile œcuménique auquel il a participé comme théologien (peritus
) du cardinal-archevêque de Cologne, Mgr Frings. Il a participé également au lancement de la revue
Concilium
avant de s’en éloigner et de promouvoir, en participant au lancement de la revue
Communio,
une troisième voie, ni progressiste, ni traditionaliste, qui sera incarnée également par le pape Jean-Paul II et le cardinal Jean-Marie Lustiger.
À la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, il secondera efficacement Jean-Paul II dans l’application de cette voie médiane. Mais, à son poste, il constatera également l’étendue de la crise qui touche l’Église et qui, au-delà de ses aspects les plus visibles, atteint profondément la foi et sa transmission. Toujours à la demande de Jean-Paul II, il prendra en main le dossier de la réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie X qui échouera de peu en 1988 et qui conduira aux sacres illicites de quatre évêques par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Mayer.
Profondément enthousiaste vis-à-vis du Concile, le futur Benoît XVI n’a jamais caché qu’il avait très mal vécu la réforme liturgique et surtout son application brutale. Il n’a jamais pensé que la mise en œuvre de la réforme liturgique devait passer par l’abolition pure et simple, ainsi que par la brutale interdiction de la messe tridentine.
Dans ce sens, l’une de ses premières mesures comme pape, et en tous les cas, l’une des plus visibles, fut en 2007 la publication du motu proprio Summorum Pontificum
par lequel il rendait possible pour tout prêtre la célébration de la messe traditionnelle. Il soulignait qu’elle n’avait jamais été abrogée et qu’elle constituait l’une des formes (la forme extraordinaire) de l’unique rite romain.
Ce motu proprio répondait aussi à l’une des demandes de la Fraternité Saint-Pie X comme signe pour reprendre avec le Saint-Siège des discussions en vue du règlement de sa situation. L’autre demande était la levée de l’excommunication des quatre évêques sacrés par le fondateur d’Écône que le Saint-Père a bien voulu effectuée, après un geste de reconnaissance de son autorité par Mgr Fellay. Les interférences, nées des déclarations de l’un des évêques (Mgr Williamson) concernant le nombre de morts juifs dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, devaient créer un climat de suspicion contre le Pape et conduisit celui-ci à placer le règlement de la situation de la Fraternité Saint-Pie X sous la responsabilité de la Congrégation de la Doctrine de la foi. C’était aussi le constat public qu’un désaccord doctrinal demeurait et que celui-ci ne pourrait être résolu si on l’évacuait entièrement.
De ce fait, le Saint-Siège et la Fraternité Saint-Pie X ont entamé en 2009 des discussions doctrinales sur les points litigieux concernant le concile Vatican II. Loin de résoudre ces problèmes, les discussions devaient se terminer en 2011 sur le constat d’un désaccord sur plusieurs aspects de Vatican II. Mais il était constaté également que ce désaccord prenait appui du côté de la Fraternité Saint-Pie X sur des positions théologiques anciennes et non pas sur des hérésies. De ce fait, bien que les désaccords n’étaient pas réglés, il n’y avait plus aucune raison de ne pas considérer les membres de la Fraternité Saint-Pie X comme des catholiques, dans la mesure où ils ne rejetaient ni Vatican II, interprété de manière traditionnelle, ni la validité de la forme ordinaire.
Ce constat a été facilité également par le fait qu’avec son discours de décembre 2005, Benoît XVI avait appelé à une réévaluation du concile Vatican II, laquelle entrera dans une nouvelle phase avec l’Année de la foi qui s’ouvrira en octobre prochain.
Si le Pape est le grand artisan de cet accord, le mérite de Mgr Fellay ne doit pas être diminué. Jusqu’au bout, il a subi des pressions internes visant à l’empêcher de signer un accord avec le Saint-Siège.