Commentons encore une nouvelle audience sur l’espérance (le 27 septembre) au cours de laquelle le Pape s’appuie sur Charles Péguy qui consacra à l’espérance le Porche de la seconde vertu. On sait en effet que pour Péguy, sœur Espérance, source de vie et princesse-enfant des vertus théologales, est dauphine et fille de France. Mais comment expliquer qu’une vertu si aimable puisse avoir des ennemis ? Tout simplement parce que l’espérance se trouve comme au cœur de la lutte apocalyptique qui sévit entre le bien et le mal de nos jours. Le diable de fait ne peut pas supporter un homme rempli d’espérance, car il a en horreur la confiance et la miséricorde qui nourrissent cette vertu. Le Pape part du mythe de Pandore qui reçut du ciel pour consigne de toujours garder fermée une jarre. Poussée par la curiosité, elle cède toutefois à la tentation et l’ouvre. Une fois le couvercle soulevé, Pandore déverse tous les maux sur la Terre : peines, fatigue, maladies, famines, mort. Effrayée, elle tente alors de refermer la jarre, mais ne parvient à y garder que l’espérance, « elpis » en grec, qui demeure pour réconforter l’humanité dans ses malheurs. Ce mythe montrait déjà à l’humanité l’importance de l’espérance même en tant que vertu naturelle, car sans elle il ne peut y avoir de vie. Le diable ne le sait que trop.
Les deux exemples du Pape redonnent courage à tous ceux qui peinent dans ce que Pie XI appelait le « terrible quotidien ». Malgré toutes les difficultés, ceux qui gardent l’espérance se souviennent qu’ils sont « fils dans le Fils ». Comme l’indiquait déjà saint Paul, ils sont prêts alors à tout supporter par amour du Christ. C’est pourquoi l’espérance devient pour le chrétien une force invincible. Elle l’est aussi pour celui qui quitte tout pour le Christ ou pour autre chose. Le Pape fait alors une nouvelle considération en faveur des migrants, mais cette fois en des termes moins forts ou plutôt moins déroutants que lors de son message.
Par définition, l’espérance est la vertu des pauvres. Le Pape comme toujours prend une image forcée disant que l’espérance n’est pas la vertu de ceux qui ont l’estomac rempli, ce qui à notre sens ne veut pas dire bien sûr que l’espérance est incompatible avec la richesse. N’oublions jamais que la vraie et unique pauvreté est la pauvreté évangélique. Il est certes vrai que les pauvres sont porteurs d’espérance, mais les vrais pauvres sont uniquement ceux qui pratiquent la béatitude des pauvres en esprit. Des riches peuvent avoir le cœur de vrais pauvres et dans ce cas ils seront aussi des hommes d’espérance, comme Saint Louis. Il est seulement plus difficile à un riche d’être pauvre en esprit. Le Christ lui-même, bien que Dieu, « s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté », devenant, de la crèche à la Croix modèle de pauvreté. On doit lui associer étroitement Marie et Joseph. Au milieu d’un monde mort et endormi, la Sainte Famille est venue apporter au monde la révolution de l’amour et de la bonté. Ils étaient pauvres de tout mais riches du bien le plus précieux que tout homme possède en lui-même : Jésus qui peut changer le monde pour le rendre meilleur, c’est-à-dire le diviniser, sans tomber pour autant dans le panthéisme. Sans Dieu, l’homme ne pourra jamais être heureux et il ne possédera donc jamais l’espérance théologale. Les jeunes, souvent remplis d’idéal, le comprennent. En vieillissant, on perd souvent l’espérance faisant le jeu du pire ennemi de l’espérance, le démon de midi qui nous jette dans les bras de l’acédie et par là du désespoir. Que Marie nous en préserve !
Le discours du Pape
En ce moment, nous parlons de l’espérance: mais aujourd’hui, je voudrais réfléchir avec vous sur les ennemis de l’espérance. Parce que l’espérance a ses ennemis: comme tout bien dans ce monde, elle a ses ennemis.
Et il m’est venu à l’esprit l’antique mythe du vase de Pandore: l’ouverture du vase déchaîne de nombreux malheurs pour l’histoire du monde. Mais peu de personnes se souviennent de la dernière partie de l’histoire, qui fait apparaître un rayon de lumière: après que tous les maux sont sortis du vase, un minuscule don semble se venger de tout ce mal qui se répand. Pandore, la femme qui devait conserver le vase, l’aperçoit en dernier: les Grecs l’appellent elpìs, ce qui signifie espérance.
Ce mythe nous raconte pourquoi l’espérance est si importante pour l’humanité. Ce n’est pas vrai que «tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir», comme on a l’habitude de le dire. Ce serait plutôt le contraire: c’est l’espérance qui soutient la vie, qui la protège, qui la conserve et la fait croître. Si les hommes n’avaient pas cultivé l’espérance, s’ils ne s’étaient pas accrochés à cette vertu, ils ne seraient jamais sortis des cavernes, et n’auraient pas laissé de trace dans l’histoire du monde. C’est ce qui peut exister de plus divin dans le cœur de l’homme.
Un poète français – Charles Péguy – nous a laissé des pages magnifiques sur l’espérance (cf. Le porche du mystère de la deuxième vertu). Il dit de façon poétique que Dieu ne s’étonne pas tant de la foi des êtres humains, ni de leur charité; mais ce qui le remplit véritablement d’émerveillement et d’émotion est l’espérance des gens: «Que ces pauvres enfants, écrit-il, voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux». L’image du poète rappelle les visages de tant de gens qui sont passés dans ce monde – paysans, ouvriers pauvres, migrants à la recherche d’un avenir meilleur – qui ont lutté de façon tenace malgré l’amertume d’un aujourd’hui difficile, rempli de tant d’épreuves, mais animé par la confiance que leurs enfants auraient eu une vie plus juste et plus sereine. Ils luttaient pour leurs enfants, ils luttaient dans l’espérance.
À la recherche d’une vie meilleure
L’espérance est la poussée du cœur de celui qui part en quittant sa maison, sa terre, parfois sa famille et ses parents – je pense aux migrants –, pour chercher une vie meilleure, plus digne pour eux et pour leurs proches. Et c’est aussi la poussée dans le cœur de celui qui accueille: le désir de se rencontrer, de se connaître, de dialoguer… L’espérance est la poussée à «partager le voyage», parce que le voyage se fait à deux; ceux qui viennent sur notre terre, et nous qui allons vers leur cœur, pour les comprendre, pour comprendre leur culture, leur langue. C’est un voyage à deux, mais sans espérance, ce voyage ne peut pas se faire. L’espérance est la poussée à partager le voyage de la vie, comme nous le rappelle la campagne de la Caritas que nous inaugurons aujourd’hui. Mes frères, n’ayons pas peur de partager le voyage! N’ayons pas peur! N’ayons pas peur de partager l’espérance!
L’espérance n’est pas une vertu pour des gens qui ont l’estomac plein. Voilà pourquoi, depuis toujours, les pauvres sont les premiers porteurs de l’espérance. Et dans ce sens, nous pouvons dire que les pauvres, et les mendiants également, sont les protagonistes de l’Histoire. Pour entrer dans le monde, Dieu a eu besoin d’eux: de Joseph et de Marie, des pasteurs de Bethléem. Dans la nuit du premier Noël, il y avait un monde qui dormait, installé dans tant de certitudes acquises. Mais les humbles préparaient cachés la révolution de la bonté. Ils étaient pauvres de tout, certains étaient à peine un peu au-dessus du seuil de la survie, mais ils étaient riches du bien le plus précieux qui existe au monde, c’est-à-dire la volonté de changement.
Parfois, avoir tout eu de la vie est un malheur. Pensez à un jeune auquel on n’a pas enseigné la vertu de l’attente et de la patience, qui n’a dû suer pour rien, qui a brûlé les étapes et, à vingt ans, «sait déjà comment fonctionne le monde»; il a été destiné à la pire condamnation: celle de ne plus rien désirer. Voilà la pire condamnation. Fermer la porte aux désirs, aux rêves. On dirait un jeune, mais l’automne est déjà tombé sur son cœur. Ce sont les jeunes de l’automne.
Éviter l’âme vide
Avoir une âme vide est le pire obstacle à l’espérance. C’est un risque dont personne ne peut se déclarer exempt; parce qu’il peut arriver d’être tentés contre l’espérance même si l’on parcourt le chemin de la vie chrétienne. Les moines de l’antiquité avaient dénoncé l’un des pires ennemis de la ferveur. Ils disaient: ce «démon de midi» qui sape une vie d’activité, précisément alors que le soleil brille dans le ciel. Cette tentation nous surprend quand on s’y attend le moins: les journées deviennent monotones et ennuyeuses, plus aucune valeur ne semble mériter d’effort. Cette attitude s’appelle l’acédie qui corrompt la vie de l’intérieur jusqu’à la laisser comme une enveloppe vide.
Quand cela arrive, le chrétien sait que cette condition doit être combattue, jamais acceptée passivement. Dieu nous a créés pour la joie et pour le bonheur, et non pour nous complaire dans des pensées mélancoliques. Voilà pourquoi il est important de conserver notre cœur, en nous opposant aux tentations de malheur, qui ne viennent certainement pas de Dieu. Et là où nos forces nous apparaîtraient faibles et le combat contre l’angoisse particulièrement difficile, nous pouvons toujours avoir recours au nom de Jésus. Nous pouvons répéter cette prière simple, dont nous trouvons une trace également dans les Evangiles, et qui est devenue le pivot de nombreuses traditions spirituelles chrétiennes: «Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié du pécheur que je suis!». Belle prière. «Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, aie pitié du pécheur que je suis!». C’est une prière d’espérance, parce que je m’adresse à Celui qui peut ouvrir toutes grandes les portes, et résoudre le problème et me faire regarder l’horizon, l’horizon de l’espérance.
Frères et sœurs, nous ne sommes pas seuls pour combattre contre le désespoir. Si Jésus a vaincu le monde, il est capable de vaincre en nous tout ce qui s’oppose au bien. Si Dieu est avec nous, personne ne nous volera la vertu dont nous avons absolument besoin pour vivre. Personne ne nous volera l’espérance. Allons de l’avant!