Cœur et raison dans la vie spirituelle

Publié le 21 Juin 2018
Cœur et raison dans la vie spirituelle L'Homme Nouveau

Ce thème rejoint le combat spirituel de chaque jour : vie affective et discernement de foi y sont mêlés. La première a tendance à damer le pion au second, le cœur, la passion contre la raison. Le mot de Montaigne, « savoir raison garder », indique que le problème est de toujours. Il est contredit par ce document galant de la Cour de France au Moyen Âge, aux dépens de la raison : « Telle est la mesure d’aimer/Que nul n’y doit raison garder » (fin XIIe siècle). Mais à l’inverse, Philippe le Bel se vante de « vouloir toujours raison garder », par pure vertu politique (fin XIIIe siècle). Des érudits trouvent l’expression chez Aristote. Cœur ou tête froide, voilà le sempiternel dilemme : l’attrait sensible rend impulsif, la répugnance du devoir rend bougon et paresseux. 

Mais on ne le sait que trop : les libertins commencent en fanfare et finissent en impasse, puisque, la fête terminée, la gueule de bois et la conscience endolorie démystifient l’attrait facile, parfois avec des conséquences meurtrières dont l’avortement est l’horrible emblème. Attrait et rejet, sympathie et antipathie sont à assumer dans le discernement intime, et qui dit discernement donne le dernier mot à la raison. 

La théologie retient peu le problème posé ainsi. Les auteurs classiques parlent plutôt d’inclination et d’aversion, et c’est de cela qu’il s’agit. L’Encyclopédie Catholicisme dit bien les choses, dans le style assez sec d’un dictionnaire : « Antipathie, contraire de la sympathie. On peut l’éprouver à l’égard non seulement des personnes, mais des familles, des races, des classes sociales, des peuples. Elle naît en nous sans notre volonté, dans les profondeurs de l’être, pour émerger à la surface (on parle alors de premier mouvement) ; la réflexion ne parvient pas toujours à pénétrer le secret de son origine. Antérieure à tout consentement volontaire, elle n’est donc pas coupable ; elle peut subsister avec la vertu de charité et se rencontre chez les saints ». L’adage « sentir n’est pas consentir » permet donc de ne pas sombrer à ce sujet dans le scrupule. Néanmoins, le devoir moral et sa nécessité restent entiers et sont précisés dans la suite de l’article : « Le devoir moral est cependant de la combattre (sans qu’on puisse toujours espérer s’en rendre maître totalement). On en devient responsable si on la ratifie par un acte libre. Néanmoins, son intensité n’est pas une preuve de consentement, car celle-ci dépend de l’émotivité ou sensibilité et non de la volonté). » L’article date un peu (1947), mais bon sens et esprit de foi apaisent ici le dilemme. Quand Dieu est recherché humblement, l’écheveau des sentiments confus se desserre peu à peu. 

Mgr Gay, grand prédicateur du XIXe siècle, a souvent parlé de l’amitié assainie par l’authentique charité qui est une réelle amitié avec le Bon Dieu. Il écrivait à des correspondants : « La simplicité et l’enfance spirituelle, jointes à une confiance sans bornes vous mettront plus au niveau de cette amitié divine que tous les efforts de votre intelligence. » À un autre il continue sur le même ton : « Demandez à Dieu d’être simple. Pourquoi plusieurs regards, puisqu’il n’y a qu’une lumière et un but ? Pourquoi plusieurs amours, puisqu’il n’y a qu’un seul bien ? » Une autre fois, il écrit : « Oh ! que cette simplicité du regard épargne à l’âme de peines et de périls ! Elle nous laisse toute notre liberté et toute notre énergie pour bien faire l’action du moment, et cette action bien faite nous assure la grâce nécessaire pour mieux faire encore la suivante. » Cette simplicité d’âme suppose évidemment le primat de la vie théologale pour conforter ainsi le discernement moral, soit cette immense confiance en Dieu dont nous parlent les saints modernes. Mgr Gay y revient avec une prédilection marquée pour contrer le jansénisme larvé qui crispe l’effort moral sur l’orgueil secret de l’âme. Seule la foi est, avec l’humilité, le principe de tous les progrès dans le bien, alors que la défiance est la cause de toutes les ruines spirituelles.

Ce contenu pourrait vous intéresser

ÉgliseLiturgie

La pause liturgique | Agnus 12, Pater cuncta (Fêtes des saints)

Cet Agnus Dei est daté du XIᵉ siècle et ses sources manuscrites proviennent surtout d’Italie ou de France. Sa mélodie du 2ᵉ mode est assez expressive et certains de ses intervalles, assez importants lui donnent un caractère assez aérien. Les première et troisième invocations sont identiques, et la seconde est mélodiquement plus sobre et plus retenue.

+

grégorien croix introït offertoire agnus dei communion
ÉgliseLiturgie

La pause liturgique | Sanctus 12, Pater cuncta (Fêtes des saints)

Le Sanctus XII est richement représenté au niveau des sources manuscrites puisqu’on en compte un peu plus d’une centaine. Daté du XIIIᵉ siècle, ce Sanctus est emprunté mélodiquement au 2ᵉ mode, et sa structure mineure lui confère un caractère méditatif assez remarquable. Il est expressif, tout en étant aussi très intérieur.

+

sanctus
À la uneÉgliseLectures

Carte blanche : L’« épouvantail » Rampolla

Jean-Marc Ticchi, spécialiste de l’histoire de l’Église au tournant des XIXᵉ et XXᵉ siècles, offre la première biographie historique du cardinal Rampolla (1843-1913), secrétaire d’État de Léon XIII pendant plus de quinze ans, et qui a eu, dès son vivant, une mauvaise réputation dans certains milieux.

+

cardinal Mariano Rampolla
À la uneÉglise

1ers samedis de Fatima (7/9) | La dévotion parvient au Saint-Père

1925-2025 : Jubilé des 1ers samedis de Fatima | Pour ce septième article de notre série sur la dévotion au Cœur immaculé de Marie demandée aux enfants de Fatima, le chanoine Mesureur raconte comment les autorités ecclésiastiques, et surtout le pape Pie XII, furent mises au courant, mais tardivement. Encore aujourd’hui, à part quelques initiatives d’associations et de prélats, comme le cardinal Burke, l’Église insiste trop peu sur l’importance de cette dévotion.

+

Fatima Dévotion
À la uneÉgliseLiturgie

L’Ordinariat (3/3) | L’ordinariat de Walsingham, porte d’entrée pour les anglicans

DOSSIER « L’ordinariat : une solution pour la liturgie traditionnelle ? » | Institué par Benoît XVI en 2011, l’ordinariat de Notre-Dame de Walsingham permet à des anglicans de rejoindre l’Église catholique tout en préservant une part de leur patrimoine spirituel. L’abbé Armand de Malleray, prêtre franco-britannique de la Fraternité Saint-Pierre, qui a débuté son ministère à Londres en 2001, en retrace les origines et les défis actuels.

+

ordinariat
À la uneÉgliseChrétiens dans le monde

L’Ordinariat (2/3) | Ordinariat pour les Orientaux : une structure canonique singulière

DOSSIER « L’ordinariat : une solution pour la liturgie traditionnelle ? » | Créés au XXᵉ siècle pour rassembler les fidèles des Églises catholiques orientales vivant en terre latine, les ordinariats demeurent une entité atypique, absente du Code de droit canonique et érigée au cas par cas. Confiés à un évêque latin, ils exercent une juridiction personnelle sur des communautés orientales dispersées, cherchant un équilibre délicat entre centralisation et respect des rites propres.

+

ordinariat orientaux