Crise de l’Église et mystère d’iniquité

Publié le 11 Mar 2024
église

© Ibex73, CC BY-SA 4.0

« L’Église fait l’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle. » C’est ainsi que le Cardinal Robert Sarah commence son livre intitulé: Le soir approche et déjà le jour baisse (1). Il est évident que, à notre époque, l’Église traverse une crise profonde (2) qui laisse de nombreux catholiques désemparés et meurtris. On parle, on débat et on discute de tout et de rien. On veut un enseignement nouveau, moderne, très différent de celui que la Tradition et le Magistère de l’Église nous ont toujours transmis, et donc, notamment, un changement de l’enseignement doctrinal et moral de l’Église parce que, dit-on, au XXIe siècle, les fondements sociologiques et scientifiques de ce dernier ne seraient plus pertinents.

De son côté, l’autorité ecclésiale, trop souvent paralysée par la peur de déplaire à certains groupes de pression, n’intervient souvent qu’au dernier moment, lorsque l’incendie ne peut plus être circonscrit. À ce sujet, en 1968, l’historien de l’Église Hubert Jedin (3), avait mis en garde les évêques allemands. Comme au temps de la Réforme, affirmait-il, depuis la fin du concile Vatican II, on a assisté à un recul progressif de l’autorité de l’Église :

« Dans l’Église, non seulement l’autorité, mais aussi la masse des gens simples (4) n’avaient pas pris conscience que la “Réforme” n’était pas une réforme de l’Église, mais l’élaboration d’une nouvelle Église édifiée sur des fondements différents. Rétrospectivement, il faut donc le dire clairement : le schisme de l’Église a été grandement favorisé par l’illusion que celui-ci n’existait pas. » (5)

Au XXIe siècle, en s’alignant sur la doxa de la société libertaire, la relativisation du message de l’Évangile du Salut contribue à la dissolution de la foi catholique. Or, le Seigneur Jésus se présente comme la Lumière et la Vérité : « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12) (6). Cette lumière de la foi est la vérité (« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », dit Jésus, cf. Jn 14, 6).

 

Le mystère d’iniquité

Celui qui veut analyser la crise actuelle en prenant de la hauteur découvre dans l’épître aux Hébreux une clef de compréhension : « Une fois que l’on a reçu la lumière, goûté au don du ciel, que l’on a eu part à l’Esprit Saint, que l’on a goûté la parole excellente de Dieu, ainsi que les puissances du monde à venir, si l’on retombe, il est impossible d’être amené à une nouvelle conversion, alors que soi-même, on crucifie de nouveau le Fils de Dieu et on le tourne en dérision » (6, 4-6). Il s’agit de l’apostasie qui est une composante essentielle du mysterium iniquitatis, le mystère d’iniquité.

Disons-le clairement : c’est à travers la brèche du silence de maints pasteurs – évêques et prêtres – que se glissent de faux prophètes qui donnent trop souvent le ton : théologiens déviants, pasteurs démagogues qui ont l’apparence des bons bergers… L’apostasie de la foi a pour fruits amers et vénéneux la confusion et le désarroi parmi les fidèles… et il en va du salut de leur âme ! En effet, celui qui, par le sacrement de l’Ordre, a reçu la charge de conduire l’Église, se tait face au mystère d’iniquité, est semblable à un aveugle (le pasteur) qui guide un autre aveugle (le fidèle) : tous les deux tombent inévitablement dans l’abîme de la mort spirituelle.

« Avant l’avènement du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre dévoilera le “mystère d’iniquité” sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité », affirme le Catéchisme de l’Église Catholique (n. 675). D’où cette confidence du Pape saint Paul VI à son ami le philosophe Jean Guitton dans les années 1970 :

« Il y a un très grand trouble en ce moment dans le monde et dans l’Église, et ce qui est en question, c’est la foi. Il arrive que paraissent des livres où la foi est diminuée sur des points importants, que l’épiscopat se taise, qu’on ne trouve pas ces livres étranges. Ce qui me frappe quand je considère le monde catholique, c’est qu’à l’intérieur du catholicisme une pensée de type non-catholique semble parfois avoir le dessus, et il se peut que cette pensée non catholique à l’intérieur du catholicisme devienne demain la plus forte. Mais elle ne représentera jamais la pensée de l’Église. Il faut que subsiste un petit troupeau, même si c’est un troupeau tout petit. » (7)

 

Apostasie de l’intérieur

On sait que, à la même époque, le futur Benoît XVI affirmait de son côté : « Je pense, non, je suis sûr, que le futur de l’Église viendra de personnes profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement… Il ne viendra pas de ceux qui empruntent la voie de la facilité, considérant comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu exigeant ou qui demande des sacrifices » (8).

Cette apostasie de l’intérieur est évoquée dans la première épître de saint Jean : « Mes enfants, c’est la dernière heure, un anti-Christ, un adversaire du Christ, doit venir ; or, il y a dès maintenant beaucoup d’anti-Christs ; nous savons ainsi que c’est la dernière heure. Ils sont sortis de chez nous mais ils n’étaient pas des nôtres ; s’ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous. Mais pas un d’entre eux n’est des nôtres, et cela devait être manifesté » (2, 18-19).

Et, dans son épître aux Galates, saint Paul lance cette mise en garde, dont il ne s’exclut pas lui-même, conscient de cette responsabilité spécifique du pasteur à l’égard du salut des âmes qui tourmentait tant le saint Curé d’Ars : « Je m’étonne que vous passiez à un Évangile différent… Pourtant, si nous-mêmes, ou si un ange du ciel vous annonçait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! » (1, 6-8).

 

La Passion de l’Église

Dans nombre de ses conférences, le Cardinal Robert Sarah affirme que l’Église du XXIe siècle vit la Passion du Christ ; c’est pourquoi, il note que beaucoup de ceux qui suivent fidèlement Jésus et son enseignement sont tentés par le découragement, d’autant qu’ils ignorent à quel moment de cette Passion nous nous trouvons en ce moment : la condamnation, la crucifixion, la mort ou même déjà le Samedi Saint ? Cependant, ajoute le Cardinal : seul le Père connaît l’Heure (cf. Mt 24, 36) ; à la fin, Dieu triomphera et, avec lui, le Cœur Immaculé de Marie.

D’où cette conclusion : lorsque l’Église fait l’expérience de sa crucifixion, la Vierge Marie, la Mère de Dieu, se tient également au pied de la Croix. En tant que médiatrice de toutes grâces, sa prière d’intercession unique et irremplaçable revêt une importance particulière : elle voit l’Église de notre temps flagellée, crucifiée et mourante. Tournons-nous vers Notre-Dame avec confiance : elle nous a dit à Lourdes et à Fatima que le chapelet quotidien et la consécration au Cœur Immaculé de Marie sont des moyens spirituels puissants.

Citons aussi une oraison pour l’Église promulguée en 1884 par le pape Léon XIII, qui devait être dite à la fin des Messes lues et non chantées, en vue de sauvegarder l’Église des attaques de Satan. Elle évoque l’intercession de la glorieuse Vierge Marie pour « la liberté et le triomphe de notre sainte Mère l’Église » (9) 

 


  1. Fayard, 2019,
  2. « La crise que vit l’Eglise est comme un cancer qui ronge le corps à », Cardinal Robert Sarah, op.cit., p. 109. 
  3. Hubert Jedin (1900-1980) : professeur à l’université de Bonn depuis 1948, il fut nommé par saint Jean XXIII assistant pour la phase préparatoire du concile Vatican II en 1960. Il continua à travailler pour le concile jusqu’à sa conclusion, en 1965.  
  4. Ici, le mot « simple » n’a aucune connotation péjorative. 
  5. Hubert Jedin, Lebensbericht [Compte-rendu sur la vie de l’Église], Mayence 1988, 268 [Non traduit en français]. 
  6. Les citations de l’Écriture Sainte sont extraites de la Traduction Liturgique de la Bible. 
  7. Jean Guitton, Paul VI secret, Desclée de Brouwer, 1979, p. 168. 
  8. Entretien du Professeur Joseph Ratzinger à la Hessischer Rundfunk (Radiodiffusion hessoise) du 25 décembre 1969. 
  9. L’instruction Inter oecumenici du 26 septembre 1964 a aboli l’utilisation des prières léonines à la fin de la Messe. Toutefois, il est toujours possible de les prier avec ferveur. 

 

>> à lire également : Saint Thomas d’Aquin, remède contre la modernité

Abbé Thierry Blot

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