Ils n’ont rien lâché (3/6) | Cristeros : les chouans du Nouveau Monde

Publié le 20 Août 2025
cristeros

Pour le Christ-Roi, des familles entières se soulèvent.

Cet été : Des martyrs aux dissidents : Ils n’ont rien lâché

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Voici le fait, l’évènement brut et formidable que les histoires contemporaines du Nouveau Monde n’ont encore jamais rapporté : de 1926 à 1929, dans les États-Unis du Mexique, tout un peuple chrétien armé de machettes et de vieux tromblons affronte au chant du Christus vincit des régiments de ligne fédéraux, qui arborent le drapeau noir aux tibias entrecroisés et crient Viva el Demonio ! On les appelle les Cristeros.

 

Nous sommes en 1926. L’année précédente, par la publication de Quas Primas, le pape Pie XI avait proclamé le Christ « Roi des nations ». Au Mexique, une nation entière se mobilise sous les drapeaux du Dieu fait homme, elle marche vers les mitrailleuses et les canons de l’Antéchrist parce qu’elle refuse l’abdication des dernières libertés de sa foi.

L’épopée des martyrs cristeros s’inscrit au Mexique dans l’histoire d’une longue persécution, qui commence avant Lénine, en 1911 : l’histoire d’une révolution permanente menée par un parti de fonctionnaires et d’officiers contre tout l’être national de ce beau pays, qui se confond avec sa religion.

Plutarco Elias Calles cristero

Plutarco Elías Calles en 1924.

À partir de 1924, le président Calles entreprend de démembrer morceau par morceau toute la société mexicaine, et confie à l’armée l’application des lois antireligieuses du régime précédent.

L’antithéisme de l’armée fédérale mexicaine, sous la présidence de Calles (1924-1928), n’est pas un vain mot. Il s’impose d’emblée par la terreur. Le général Eulogio Ortiz fit fusiller séance tenante un de ses soldats qu’on avait surpris au bain, porteur d’une médaille de la Vierge de Guadalupe. Un peu partout, les officiers investissent à cheval la maison du Seigneur. Ils profanent les saintes espèces, organisent des orgies sur l’autel, montent en chaire pour blasphémer et dansent avec les statues !

Le feu aux poudres

La loi fédérale du 14 juin 1926 frappe le dernier coup. Elle semble directement inspirée du dispositif édicté en France au début du XXe siècle par les francs-maçons. Rien n’y manque : expulsion des congrégations religieuses, spécialement enseignantes ; nationalisation des biens de l’Église ; mise hors la loi de toutes les organisations professionnelles non gouvernementales, c’est-à-dire catholiques ; etc.

Le point décisif de la persécution « callista » est l’enregistrement des prêtres, qui équivaut à notre révolutionnaire assermentation. Le moindre curé de campagne doit « pointer » au commissariat, et y signer des engagements de non prosélytisme religieux. Sous peine d’amende. En attendant l’arrestation, la torture et le peloton d’exécution.

Nous sommes au début de l’été 1926. Voici donc le peuple mexicain au pied du mur, sommé de se défendre ou de périr dans la foi. Sa résistance est immédiate, unanime, exemplaire. Et tout entière à l’initiative des organisations de laïcs, qui commencent par épuiser l’une après l’autre les voies pacifiques sans aucun résultat.

« Peu d’appels à la résistance politique, dans toute l’histoire de la chrétienté, furent aussi clairement légitimes que celui-là. »

Des manifestations

Les catholiques mexicains improvisent partout d’immenses manifestations pénitentielles, spécialement dans les centres marials. On adressera aussi des pétitions en forme au Congrès, pour l’abrogation des lois antireligieuses… Vinrent ensuite les occupations d’églises et les manifestations de rue : on marche sur les palais gouvernementaux, avec pancartes et statues, sous la protection du Saint Sacrement. Rassemblements réprimés au mauser et à la mitrailleuse lourde par les régiments de ligne fédéraux. Les premiers martyrs cristeros auront compté beaucoup de femmes, d’enfants, qui défilaient armés du rosaire et vêtus de blanc.

Juin 1926. Le sang chrétien du Mexique a coulé partout. Une nation entière continue d’exiger l’abrogation des articles antichrétiens. Calles répond en aggravant le dispositif. Il fallait donc renoncer au dialogue, et riposter autrement. Peu d’appels à la résistance politique, dans toute l’histoire de la chrétienté, furent aussi clairement légitimes que celui-là.

L’épiscopat décrète une mesure absolument inédite, qui devait entrer en vigueur le 31 juillet : la suspension du culte public. Pour la première fois, dans l’Église universelle, le clergé cesse partout de célébrer la messe, il cesse d’administrer les sacrements dans l’ensemble des lieux de culte ouverts aux quinze millions de catholiques mexicains.

Juillet 1926. Le destin du catholicisme mexicain bascule dans l’extraordinaire. Car voici que ce peuple qui avait tout supporté du despotisme maçon, comme des bandits qui ravageaient le Mexique avant lui – le fouet, la spoliation, la misère –, voici que ce peuple humble et soumis, prêt à tirer son chapeau dans la rue sur le passage des riches et des puissants, ce peuple qui a déjà abandonné à César, dans le sang et les larmes, ses terres, ses richesses, ses libertés, son honneur national, ce peuple qui reste le plus doux du continent américain, voici qu’il ne supporte pas qu’on le prive des sacrements de sa religion.


Découvrez les histoire de José Sánchez del Río et José Anacleto González Flores, deux martyrs cristeros, dans le hors-série n° 14 consacré aux martyrs et dissidents.

Témoins du Christ

Mais les Cristeros sont conscients de monter au combat sous leur seule responsabilité de baptisés. Témoin cette réponse de la Brigada Quintanar au vicaire qui supplie qu’on se laisse évangéliquement égorger :

« Sans votre permission et sans votre ordre, nous nous sommes lancés dans cette lutte bénie pour la liberté religieuse. C’est donc sans votre permission et sans votre ordre que nous la poursuivrons, jusqu’à la victoire ou la mort. Viva Cristo Rey ! Viva la Virgen de Guadalupe ! Y viva Mejico ! ».

Croisade sans prêtres pour la majorité de ceux qui iront s’y sacrifier. De plain-pied dans les malheurs, le mystère et la gloire où nous appelle aujourd’hui le sourire du Dieu fait homme, pour le pardon des péchés.

À partir du mois d’août 1926, les catholiques mexicains éprouvent le sentiment tragique d’avoir dressé tous les pouvoirs contre eux. Rome se tait. La troupe viole et fusille sans jugement. Le gouverneur fait pendre les leaders catholiques. L’évêque les prive des sacrements. C’est une apocalypse, indifférente au monde entier, dans le cœur du Mexique chrétien.

Grupo de generales cristeros en Coalcoman cristeroQuand la police commence d’arrêter ses étudiants dans la rue, l’Association Catholique de la Jeunesse Mexicaine (ACJM) diffuse un ordre du jour qui doit être consigné là-haut sur le grand livre pour la gloire du Christ-Roi :

« Contre l’article 18 sur les délits en matière de culte religieux, qui punit d’une amende de 500 pesos, ou à défaut de quinze jours de prison, l’usage de vêtements ou d’insignes religieux en dehors des lieux de culte, nous avons décidé que le port permanent de notre insigne sera obligatoire pour tous les membres de l’ACJM à partir du 31 juillet. »

Les militants de l’ACJM partent en croisade sans aucune notion de la clandestinité, ni du combat. À Mexico, le 6 septembre 1926, Joaquin de Silva, 28 ans, fait irruption chez son confesseur, les yeux brillants. Il porte des bottes de cuir, une culotte de toile épaisse et, sous la veste, sa chemise a les couleurs de la Vierge de Guadalupe. Dans ses poches, pour tout bagage, un pistolet 38 mm, cinquante cartouches, neuf cartes et le précieux chapelet qu’il avait récité chaque nuit, à la lumière des étoiles, sous les arbres du jardin…

« – Pas question de devenir un catholique au rabais. Je pars rejoindre l’armée du Christ-Roi ! Padre, donnez-moi votre bénédiction, s’il vous plaît.

– Tu abandonnes ta mère et tes sœurs à Mexico, sans soutien ?

– Le Seigneur s’en charge, et d’ailleurs, ce sont elles qui m’envoient. »

La jeunesse est une des caractéristiques remarquables de l’insurrection cristera. Sa gaieté face à la mort aussi. Elle a écrit, entre deux guerres mondiales, ce qui devrait compter parmi les plus belles pages contemporaines de la chrétienté. En voici une qui méritera de figurer aux toutes premières places du martyrologe cristero, si ce monument de plusieurs milliers de pages trouvait un jour des historiens capables de le constituer.

Un jeune courageux

Tomasino de la Mora a juste 17 ans, mais il en paraît 15 sur ses photographies. Il appartient pourtant au comité directeur de l’ACJM de Colima. Sa piété lui a valu le grade de préfet dans la Congrégation de Marie. Son courage en fait le correspondant privilégié de l’état-major cristero pour la capitale de l’État. Le 27 août 1927, les soldats investissent la maison de ses parents.

Le général Flores s’est réservé le soin de l’interroger :

« – Si tu me dis ce que tu sais des Cristeros, je te laisse en vie.

– Vous auriez tort, vraiment, monsieur le général : libre, demain, je continuerais la lutte pour le Christ-Roi au milieu de mes compagnons. Le combat pour la liberté religieuse n’est pas chez nous une matière à option.

– Tu ne sais pas ce que c’est que la mort, moucheron !

– Il se trouve en effet qu’une chose pareille ne m’est encore jamais arrivée. Et vous, mon général ? ».

Tomasino de la Mora fut pendu le soir même, sans jugement. Son bourreau voulait le contraindre à se passer lui-même la corde au cou.

« – Pardonnez-moi monsieur, je ne sais pas m’y prendre. C’est la première fois qu’on me pend. »

Hommage au secret de la confession

Mateo Correa Magallanes cristeroRemarquable prédicateur, don Mateo Correa fut le meilleur aumônier de l’Association Catholique de la Jeunesse Mexicaine (ACJM) dans l’État de Zacatecas. Dénoncé par un mouchard de l’armée fédérale en janvier 1927, il est présenté au général Eulogio Ortiz en personne le 5 février suivant. « Vous allez d’abord me confesser cette bande de rebelles que vous voyez là, après quoi nous verrons ce qu’il faut faire de vous. »

Don Mateo avait alors 61 ans, et tous les rhumatismes liés à son inlassable dévouement de curé réfractaire, cavalier par nécessité et douloureusement clandestin. Il s’exécuta néanmoins de bonne grâce, aidant les malheureux à mourir, avant d’être à nouveau conduit devant le général.

« – Que vous ont dit ces bandits pendant leur confession ?

– Vous ne le saurez jamais, répondit simplement don Mateo. 

– Comment cela, jamais ? Et si j’ordonnais qu’on vous fusille sur-le-champ ?

– Cela ne soulagerait en rien votre curiosité. Vous savez bien, monsieur le général, qu’un prêtre doit garder le secret de la confession. Je suis donc prêt à mourir s’il le faut. »

Don Mateo Correa fut mis à mort à l’arme blanche le 6 février 1927 dans une prairie des faubourgs de Durango gardée par les Fédéraux. Son corps y restera exposé trois jours de suite, en hommage involontaire au grand secret de la confession.

 

Hugues Kéraly
Auteur de La Véritable Histoire des Cristeros

 

👉🏻 J’achète le hors-série n° 14


La Véritable Histoire des Cristeros, Hugues Kéraly, Éditions de L’Homme Nouveau, 234 p., 20 €.

La veritable histoire des Cristeros cristero

 

>> à lire également : Les croisades (4) | Une guerre juste ?

 

Hugues Kéraly

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