À la glorieuse Ascension du Christ, on pense sans doute plus facilement au Ressuscité, que la liturgie nous présente depuis Pâques dans son Corps de gloire. Une hymne de la fête oriente le regard plus loin : « Le Fils que la Vierge enfanta, après les crachats, les fouets, la Croix, monte s’asseoir auprès du Père » (Liturgia horarum, à laudes). En effet, ce n’est pas un homme simplement vivant qui monte au Ciel, mais un supplicié ressuscité. De plus, en montant au Ciel, c’est notre humanité que Jésus fait entrer dans le Royaume : « Notre corps fut porté bien haut jusqu’au palais du roi du Ciel » (ib.). Il est donc bien dans notre intérêt que le Seigneur quitte cette terre (cf. Jn 16, 7) parce que le Père glorifiera « tout le corps de l’Église comme(Il a) glorifié son chef, Jésus le Christ » (Missel romain 1970, 7e dimanche de Pâques, postcommunion).
En attendant cette perspective finale, l’Ascension est dans l’intérêt des fidèles du Christ parce qu’elle permet la venue du Saint-Esprit : « Si je ne m’en vais pas, dit Jésus à la dernière Cène, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai » (Jn 16, 7). Pourquoi donc ? Le bienheureux dom Marmion (+ 1923) donne cette explication : « Le Christ Jésus, dans sa nature divine, est, avec le Père, le principe dont procède l’Esprit Saint. Le don du Saint-Esprit à l’Église et aux âmes est une grâce sans prix, puisque cet Esprit est l’amour divin en personne. Mais ce don, cet envoi a été mérité pour nous, comme toute grâce, par Jésus ; il est le fruit de sa Passion ; le Christ en a soldé le prix par les souffrances endurées dans sa sainte humanité. N’était-il pas dès lors équitable que cette grâce ne fût donnée au monde que lorsque l’humanité, qui l’avait méritée, serait glorifiée ? Cette exaltation de l’humanité en Jésus ne s’est accomplie dans sa plénitude et n’a atteint son épanouissement qu’au jour de l’Ascension » (Le Christ dans ses mystères, ch. XVII, II).
Saint Augustin (+ 430) et saint Léon le Grand (+ 461) donnent encore une autre raison de cette causalité. Après avoir rapporté cette parole de Jésus : « “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi!” selon le mot de l’Écriture : Des fleuves d’eau vive couleront de son sein », saint Jean ajoute : « Il parlait de l’Esprit Saint que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 7, 37-39). La foi dans le Christ était donc, au jugement de ces Pères, la condition de la venue de l’Esprit Saint sur eux, et, d’après saint Léon : « Après l’Ascension, la foi des disciples, plus instruite, ira chercher le Christ plus loin, plus haut, siégeant près du Père et égal au Père » (Sermon 2 pour l’Ascension : SC 74, p. 141).
Les deux formes de la liturgie romaine célèbrent diversement les dix jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte. Du XVe siècle à 1955, la fête était prolongée par une octave ; on y lisait notamment une description poétique de l’entrée du Christ au Ciel par saint Grégoire de Nysse (+ vers 394), qui glose sur le psaume 23 : « Qu’il entre, le Roi de gloire ! » (Mercredi dans l’octave, matines). En 1970, la liturgie rénovée appelle la venue de l’Esprit Saint avec, entre autres, des oraisons de l’octave de la Pentecôte supprimée alors. Les deux formes s’unissent néanmoins dans cette supplication, chantée par saint Bède le Vénérable mourant (+ 735) et que nous pouvons faire nôtre en ces jours : « Ô Roi de gloire, Seigneur des vertus, qui aujourd’hui êtes monté triomphant au-dessus des cieux, ne nous laissez pas orphelins, mais envoyez-nous l’Esprit de vérité, selon la promesse du Père, alléluia » (Ascension, ant. à Magnificat).