Dimanche Gaudete, le Graduel qui sedes

Publié le 16 Déc 2017
Dimanche Gaudete, le Graduel qui sedes L'Homme Nouveau

Le 3e dimanche de l’avent, plus communément appelé Gaudete, est un jour de joie. Pendnat l’office, est chanté le Graduel Qui sedes: 

« Seigneur, toi qui trônes au-dessus des chérubins, déploie ta puissance et viens. Toi qui gouvernes Israël, écoute, toi qui conduis Joseph comme une brebis » (Psaume 79, 2, 3)

Commentaire spirituel

La période de l’Avent se caractérise avant tout par le désir et ce désir a quelque chose d’universel. Quand nous célébrons l’Avent dans la liturgie, le désir de l’Église c’est d’abord le désir d’un événement passé. Il y a là un paradoxe : on ne désire normalement que des événements à venir, le passé, lui, est irrémédiablement révolu, nous n’avons plus que le souvenir à notre disposition pour le toucher à nouveau. Or dans la liturgie de l’Avent, le souvenir est lié à la venue du Messie dans la chair. L’Avent, c’est l’attente de Jésus, fils de Marie. L’Église rejoint Marie, elle lui emprunte ses sentiments, elle attend avec elle, elle désire avec elle celui que tous les prophètes ont chanté et attendu de loin. C’est toujours cette attente qui est vive dans l’Église et qui se ravive chaque année. Pourquoi ? Parce que cette naissance est celle d’une personne divine, une personne qui transcende les époques, une personne dont l’avènement est salvateur pour tout le genre humain. Cette naissance résonne dans tous les siècles, elle vaut pour toutes les générations. On désire donc un événement qui a déjà eu lieu, mais qui se renouvelle pour nous, dans notre cœur, chaque année, chaque fois que nous célébrons l’Avent. Et puis, le désir de l’Avent, c’est aussi le désir de la venue plénière du Sauveur. Nous lui demandons de hâter le jour de sa totale manifestation lors de la fin du monde ou lors de notre fin personnelle au soir de notre vie. L’Avent se caractérise donc par un triple désir : un désir qui vise l’avènement passé du Christ selon la chair ; un désir qui vise l’avènement présent du Christ dans nos âmes, selon la grâce ; un désir enfin qui vise l’avènement futur du Christ dans la gloire. Trois avènements mais un seul désir et dès lors il n’est pas étonnant que le mot qui travers toute la liturgie de l’Avent soit « Viens », « Viens Seigneur Jésus ». On va retrouver ce mot dans notre graduel qui est donc bien un chant typique de l’Avent.

La caractéristique de ce chant qui lui vient de son texte, c’est qu’on demande au Seigneur de descendre de son trône de gloire. Le texte dit que Dieu trône au-dessus des chérubins. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela fait référence à l’arche de Yahvé qui se trouvait dans le Saint des Saints. On trouve dans la Bible plusieurs descriptions détaillées du mobilier de l’ancien temple et de l’arche d’alliance qui y réside en permanence sur l’ordre même de Dieu, dès l’époque de Moïse. L’arche est surmontée de deux chérubins d’or dont les ailes déployées protègent le lieu où Dieu rend ses oracles et qu’on appelle propitiatoire. C’est là que la gloire de Yahvé vient se poser lorsqu’il prend possession de sa demeure. Ce sont des textes magnifiques, pleins de mystère qui signifient la présence de Dieu dans son Peuple. On peut lire par exemple dans le prophète Ézéchiel : « Et voici que la gloire du Dieu d’Israël arrivait de la direction de l’est avec un bruit comme le bruit des grandes eaux, et la terre s’illumina de sa gloire… La gloire de Yahvé entra dans la maison par le chemin de la porte qui regardait en direction de l’est. Un esprit m’enleva et il me fit entrer dans le parvis intérieur et voici que la gloire de Yahvé remplissait la maison… Il me dit : « fils d’homme, c’est le lieu de mon trône, et c’est le lieu où je pose la plante de mes pieds ; c’est ici que je demeurerai au milieu des fils d’Israël à jamais » (Ézéchiel, 43, 1-7). Et pour nous chrétiens, la demeure du Dieu Très-Haut, c’est Marie, l’arche nouvelle qui sous la nuée de l’Esprit-Saint, porte dans ses flancs très purs le Seigneur de gloire. Quant aux chérubins, ce sont les anges qui au ciel servent de trône à Yahvé. Le graduel mentionne enfin Israël, le peuple de Dieu, c’est-à-dire l’Église et Joseph, le fils bien-aimé. Difficile pour nous de ne pas voir là une attention délicate à saint Joseph qui est l’instrument docile de la Providence pour veiller sur la Vierge, spécialement durant le voyage qui les conduit à Bethléem pour le recensement. On est au cœur de l’Avent, au cœur de l’attente des hommes et des femmes de tous les temps, en compagnie de ce couple humble et modeste qui porte le trésor du monde.

Commentaire musical

Une telle évocation dans le texte de notre graduel ne pouvait que commander une mélodie somptueuse. Or le compositeur n’a pas lésiné. Ce chant est vraiment extraordinaire par son allure majestueuse et par la magnificence de sa ligne. Dom Gajard dit ceci à son sujet : « Le graduel est une pièce qu’on ne peut pas dire unique (car il y aurait des centaines de pièces « uniques » dans le répertoire grégorien), mais elle est certainement une des meilleures. Quand un musicien profane vient me dire : « Votre chant grégorien n’a pas grand air », je lui chante « Qui sedes ». Alors, la discussion est finie : devant la splendeur de cette mélodie, tous se rangent… »

C’est un  septième mode, le mode angélique, le mode des grandes annonces et des bonnes nouvelles, le mode aussi de la plénitude et de l’enthousiasme, et cet enthousiasme il éclate ici dès l’intonation qui est splendide. Quatre phrases composent ce graduel : deux phrases très contrastées constituent le corps du graduel, et deux phrases forment le verset.

La première phrase est toute contemplative, mais une contemplation magnifique, quelque chose comme un ravissement. On regarde le Seigneur, il trône au-dessus de chérubins, ces êtres de feu. C’est toute la majesté divine qui est décrite ici dans les superbes développements de la mélodie. L’intonation se déroule autour du Ré qui est la note dominante du 7ème mode. C’est d’emblée un grand mouvement, pas précipité cependant, mais très régulier, puissant et net, avec un grand crescendo qui s’amorce dès la descente du climacus qui précède le sommet mélodique. Le Seigneur est assis sur son trône, c’est une vision de majesté, de grandeur, et il faut le sentir dans la chaleur de la voix et la fermeté rythmique. L’accent de super, juste après l’intonation doit être bien soulevé, de manière à prendre le sommet (Sol) en douceur, puis à lui donner de l’ampleur et de la rondeur. Le mot évoque bien sûr la transcendance de Dieu qui est élevé au-dessus de toutes les créatures, même les plus sublimes. La chute de quinte sur la finale de super est très expressive. Il faut qu’elle soit nette et douce comme aussi l’interprétation du mot chérubim qui est singulièrement douce. Les chérubins sont les anges qui brûlent d’amour pour le Seigneur et cet amour transparaît dans cette mélodie resserrée. La finale du mot chérubim est très développée parce que les mots hébreux ont leur accent sur la finale. Le compositeur a respecté la règle. Cette phrase doit se terminer avec beaucoup de retenue, notamment sur les dernières notes de chérubim, afin d’amorcer déjà le grand contraste de la deuxième phrase.

Cette deuxième phrase est aussi humble et grave que la première est somptueuse et aérienne. Il y a là un message qu’il faut bien recueillir pour bien le transmettre dans l’interprétation. La première phrase était contemplative mais comme extasiée. La seconde correspond à la prière de demande, elle a l’humilité et l’ardeur de la mendicité qui désire. Cette phrase est tout simplement admirable. Elle est grave : son premier membre ne dépasse pas le La, et son deuxième membre ne s’élève ponctuellement que jusqu’au Do, dominante du mode plagal. Elle est large, et on sent qu’elle exprime le désir de toute l’humanité. Il y a donc une intensité remarquable dans cette phrase. Le tempo doit être large, très large même. La voix doit être pleine, sans affectation bien sûr, mais l’intensité doit se renforcer sur la finale de tuam, très retenue. Et puis vient l’admirable veni. Dom Gajard dit : « Il est impossible qu’avec un tel Veni, le Seigneur ne vienne pas ! ». De fait c’est vraiment très beau. Le et très développé prépare déjà le mot important, le mot du désir. L’accent au levé de veni, sur une seule petite syllabe, doit être très arrondi. Et tout le reste du mot se déroule calmement avec beaucoup de legato et le maximum de chaleur vocale, dans la retenue et l’humilité de la demande. C’est du grand art et il ne faudrait pas le déflorer par une interprétation outrée et trop théâtrale. C’est une question de bon goût, de sens spirituel qui perçoit les nuances délicates de la prière de l’Église et les rend en beauté artistique. Dan ce veni, il y a vraiment toute l’espérance humaine qui passe et qui emprunte le chemin du cœur de la Vierge Marie. Son veni à elle a eu un effet irrésistible sur le cœur de Dieu. L’Incarnation est sur le point de se concrétiser dans son sein.

Qui sedes Partition

Le verset exprime encore un autre sentiment. Cette fois, l’interprétation ne doit être ni somptueuse ni grave, mais extrêmement légère. La longue, très longue vocalise de regis doit être très fluide, très légère. On dirait que l’Église est revenue au temps présent. Le Seigneur est déjà là, il dirige son Église (Israël ou Joseph) comme un berger mène son troupeau. Le caractère agreste et champêtre du texte invite au bon déroulement de la mélodie. On sent la familiarité des brebis envers leur pasteur. La mélodie monte cependant et se renforce sur la finale de regis et sur le mot Israël. Mais le climat est paisible, confiant. Le mot intende qui exprime la demande doit être pris en léger retrait, bien net. Et l’on reprend le ton de simplicité aimable sur le deuxième versant de ce verset. Cette dernière phrase est dominée par le traitement mélodique du nom de Joseph très développé, plus large, plein d’amour et de chaleur. Joseph,  c’était le fils préféré de Jacob son Père, et le bien-aimé du Seigneur. Et notre Joseph à nous, celui du Nouveau Testament, qui accompagne Marie vers Bethléem, n’est pas moins aimable. Dieu le guide comme une brebis de choix, il lui met au cœur tous les sentiments du meilleur des époux pour la plus sainte des épouses. On peut terminer ce chant du graduel en pensant à lui et à Marie, en orientant avec complaisance notre regard vers la nuit qui nous offrira l’objet de nos désirs, le Sauveur tant atten

du.

Écoutez le Graduel ici 

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