La fin de 2023 sera placée, en France, sous le signe de la mort. Le 29 octobre dernier, le président de la République a en effet annoncé son souhait d’inscrire l’avortement dans la Constitution. Ce projet devrait être présenté avant la fin de l’année.
Et le pays ? Un sondage de l’Ifop, publié en novembre 2022, indiquait que près de neuf Français sur dix (86 %) se déclaraient favorables à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution. Le 27 septembre dernier, des chiffres officiels confirmaient en quelque sorte cet acquiescement puisque le nombre d’avortements serait actuellement en hausse.
Derrière ce drame, nous trouvons là une leçon politique. Avant le vote de la loi Veil, dépénalisant l’avortement, la majorité des Français y était formellement opposée. La loi votée, celle-ci a produit ses effets. Elle a permis de passer de la dépénalisation au droit, puis du droit à la constitutionnalisation prochaine. Elle a, enfin, légitimé moralement l’avortement dans l’esprit des Français.
Un examen de conscience
Le 28 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rendait public un avis officiel sur l’entrée du droit à l’avortement dans la Constitution. Organisme officiel de la République, la CNCDH dit la pensée « orthodoxe » en termes de compréhension et d’interprétation des droits de l’homme. Et c’est au nom de ces derniers, au sein desquels elle inclut l’avortement, qu’elle préconisait l’inscription dans les meilleurs délais « du droit à l’IVG dans la Constitution ».
Pour la CNCDH, comme pour les autres promoteurs de ce projet, cette entrée dans la Constitution a pour but de rendre impossible tout retour en arrière en matière d’avortement.
De notre côté, ce projet nous oblige à un véritable examen de conscience. Et, comme pour beaucoup de retours sur soi, il risque d’être douloureux en ce qu’il remet en cause non seulement des stratégies mais surtout des adhésions intellectuelles et morales.
Le combat contre l’avortement a été mené avec courage et générosité depuis de longues années. Il a mobilisé des foules entières, des personnalités diverses, des moyens d’action différents. Mais il s’est toujours inscrit dans le cadre moral imposé par l’adversaire, celui de l’adhésion aux droits de l’homme.
La reconnaissance d’un droit à l’avortement, puis son caractère constitutionnel, ne sont pas apparus dans n’importe quel système. Ils sont nés et ils ont prospéré au sein d’un régime fondé sur la défense des droits individuels dans une compréhension relativiste, opposée à l’existence d’une nature humaine intangible.
Un système moral, intellectuel, politique, médiatique et culturel reposant sur une conception négative de la liberté, considérée comme la faculté de n’être pas empêché d’agir à sa guise et non la liberté de poursuivre le bien en fonction de ses possibilités. Un système qui, au fond, mobilise la société pour la défense d’intérêts individuels au détriment du bien commun.
Dès lors, au risque de passer pour simpliste, il apparaît clairement impossible de remettre en cause l’avortement sans remettre en cause sa matrice et le système qui le soutient.
Un système illégitime n’oblige pas moralement
Il n’est pas ici question de proférer des slogans « radicaux » mais d’opérer une sorte de conversion (osons le mot) intellectuelle et morale. À partir de là, qui est la considération de la fin à atteindre (et qui donc est première dans l’ordre de l’intention), il reviendra à la prudence politique, qui relève du domaine de l’agir, d’opérer les choix nécessaires et de procéder éventuellement par étapes.
En tout état de cause, le combat contre l’avortement – constitutionnalisation prochaine oblige – ne pourra s’effectuer sans sortir, au minimum mentalement, du système qui le justifie.
Dans Evangelium Vitae (1995), Jean-Paul II écrivait que,
« lorsqu’une loi civile légitime l’avortement ou l’euthanasie, du fait même, elle cesse d’être une vraie loi civile, qui oblige moralement » (n.72).
Il semble que soit venue l’heure d’élargir ce constat en soulignant qu’un système qui légitime l’avortement ou l’euthanasie, du fait même, cesse d’être un système légitime et qu’il faut donc en sortir. D’abord mentalement pour nous-même, puis concrètement pour tous.
Le théologien dominicain Louis Lachance (op) le disait déjà clairement dans L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin (1965) :
« Si le régime est mauvais, il faut le réformer, et s’il est irréformable, il faut voir à le remplacer par un meilleur. Si cela est immédiatement impossible, c’est une raison de plus de s’empresser de créer des conditions qui puissent rendre le changement possible. »
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