Élections et syndrome consumériste

Publié le 04 Juil 2017
Élections et syndrome consumériste L'Homme Nouveau

L’éphémère, le jetable, le culte du changement pour le changement, l’oubli des valeurs pérennes caractérisent le consumérisme de nos sociétés post-modernes. La société française n’y échappe pas jusque dans ses récentes élections présidentielles et législatives. Les citoyens français consentants ou non sont entrés dans l’ère Macron le temps d’une nouvelle expérience labellisée « La République en marche ».

Quel point commun peut réunir les élections législatives et l’ouverture des soldes d’été ? Sans hésitation nous répondons le consumérisme qui, du fait de ses connexions avec l’idéologie et le progressisme, nous offre une autre clef de compréhension de notre société française actuelle. Dès les années soixante, le philosophe italien Augusto Del Noce avait observé qu’« au lendemain de la guerre, la société bourgeoise était dans l’obligation de repousser deux adversaires : l’un était le communisme, mais non moins redoutable était le danger d’un réveil religieux » (dans L’Époque de la sécularisation, Éd. des Syrtes, 2001, p. 37). À cette fin, la société de consommation fut l’arme principale du matérialisme pratique, pour éloigner les citoyens tant des velléités révolutionnaires de type communiste que d’un retour à la transcendance. Aujourd’hui, dans notre Europe post-communiste, la domination du matérialisme pratique poursuit sa mission sécularisatrice. Le sociologue Zygmunt Bauman note qu’« un marché de la consommation qui pourvoirait aux besoins à long terme, voire éternels, constituerait une contradiction dans les termes. Un marché de la consommation propage la circulation rapide, une distance raccourcie entre l’usage, le déchet et le broiement des déchets, ainsi que le remplacement immédiat des biens qui ne sont plus profitables » (dans La Vie liquide, p. 96, Pluriel, 2016). Décédé en janvier dernier, ce sociolo­gue iconoclaste anglais d’origine polonaise, a publié dans les dernières années de sa vie plusieurs ouvrages (L’Amour liquide [Pluriel, 2010], La Société assiégée [Pluriel, 2014], La Vie liquide [Pluriel, 2016]… Nous ne partageons pas pour autant l’ensemble des conclusions de cet auteur) fort perspicaces sur l’esprit des sociétés consuméristes. Le consumérisme ne se réduit pas à un simple comportement économique. Il constitue un mode de vie englobant le rapport aux choses bien sûr, mais également le rapport aux autres, modifiant en profondeur les liens sociaux et le sens de la communauté politique.

Une société liquide

Au sein de cette société liquide, le marché de la consommation répand chez tous les citoyens le syndrome consumériste, ainsi défini : « Dans la hiérarchie des valeurs reconnues, le syndrome consumériste a dégradé la durée et anobli l’éphémère. Il a placé la valeur de la nouveauté au-dessus de celle de la durabilité. Il a considérablement raccourci le laps de temps séparant non seulement le manque de l’obtention, mais également la naissance du manque de sa fin : il a en outre réduit le fossé séparant l’utilité et la désidérabilité des biens de leur inutilité et de leur rejet » (La Vie liquide, Pluriel, 2016, p. 132). Ce syndrome génère une culture caractérisée par le désir compulsif, source de dépendance, d’addiction à l’achat et de nouveauté perpétuelle. En conséquence, la culture consumériste, qui aime la vitesse et l’excès, considère l’attachement et l’engagement à long terme comme oppressif. « On ne prête pas serment de loyauté à des choses dont le seul but est de satisfaire un besoin, un désir ou un manque » (ibid., p. 170) observe encore Zygmunt Bauman avec finesse.

La mentalité consumériste engendre un détricotage progressif des liens sociaux. L’exaltation de l’éphémère se traduit sur le terrain politique et social par la promotion de la flexibilité et de la mobilité, « vertus » proclamées de la mondialisation. Ajoutons à cela la prédilection pour l’extraterritorialité et la recherche constante de la non-fixité. Ainsi, la préférence étrangère ainsi que l’affirmation d’une identité sexuelle dégagée de la biologie correspondent très exactement aux caractéristiques de la société consumériste mondialisée. Les relations humaines, affectives en particulier, subissent logiquement la loi de l’expérimentation permanente. Les vies « en couple » suivies de ruptures, puis de nouvelles unions passagères jusqu’aux nouvelles séparations relèvent de cette même logique d’une suite interrompue d’expériences. Avantage non négligeable, le consumérisme affectif crée de nouveaux marchés : des experts conjugaux proposent leurs services pour aider les personnes séparées à se « reconstruire » en transformant le premier échec en expérience utile pour la prochaine fois… La législation s’adapte. Sous le dernier quinquennat les procédures de divorce ont encore été facilitées, rendant inutile dans bien des cas l’intervention du juge.

Aucun répit

S’agit-il d’un progrès humain ? Nous suivons Zygmunt Bauman lorsqu’il affirme « que le fait d’avoir une identité non fixe, éminemment de type “jusqu’à nouvel ordre” n’est pas un état de liberté mais une conscription obligatoire et interminable dans une guerre de libération qui ne connaît jamais de vainqueur : une bataille au quotidien, où aucun répit n’est permis, visant à se débarrasser de, ruiner, oublier » (ibid., p. 56). Se débarrasser de tout lien, oublier ses engagements antérieurs, ruiner ce que l’on doit transmettre au nom du désir du moment, nous voilà aux antipodes des vertus conservatrices de la société. La concurrence et la consommation mutuelle remplacent l’amitié et l’engagement à vie. Le don de soi, le sacrifice, l’attachement durable aux plus proches, l’amitié véritable n’ont pas leur place dans la perspective du marché mondialisé. La conscience elle-même doit disparaître puisque la légitimité morale du renouvellement incessant des désirs exige qu’on l’étouffe.

Changer pour changer (en apparence…), approuver le nouveau pour le nouveau, nous entrons dans l’ère Macron. Le rejet de la classe politique et des partis traditionnels n’explique pas à lui seul le résultat des élections législatives. Jean-Frédéric Poisson ne cachait pas son désappointement à l’issue du premier tour : « Pour nous, pour moi, c’est une baffe comme on en prend rarement en politique. Il est, d’une certaine manière, incompréhensible, dans ce contexte qu’après tant d’heures données au service de ce territoire, des habitants et des communes, tout le travail qui a été fourni ne soit pas reconnu dans les urnes comme, peut-être, il pourrait l’être ». Les députés aussi subissent le syndrome consumériste. Pour bénéficier des soldes aux élections législatives, il convient de bénéficier de la nouvelle étiquette « La République en marche » pour vivre intensément l’expérience Macron. Jusqu’à nouvel ordre…

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