« En Dieu nous nous glorifierons tout le jour »

Publié le 17 Nov 2019
"En Dieu nous nous glorifierons tout le jour" L'Homme Nouveau

Graduel liberasti nos

« Tu nous a délivrés, Seigneur, de ceux qui nous affligeaient ; et ceux qui nous haïssaient, tu les as confondus. En Dieu nous nous glorifierons tout le jour, nous célébrerons ton nom à jamais. » (Psaume 43, 8, 9)

Commentaire spirituel

Le psaume 43 (ou 44 selon l’hébreu) est une supplication collective puissante et poignante composée semble-t-il à une époque assez tardive, en tout cas douloureuse de l’histoire du Peuple de Dieu. On pense soit à la période qui a suivi le retour d’exil soit à l’époque des Macchabées. L’auteur commence par rappeler au Seigneur, de façon très belle, ses antiques prouesses en faveur de son peuple :

« Ô Dieu, nous avons ouï de nos oreilles, nos pères nous ont raconté l’œuvre que tu fis de leurs jours, aux jours d’autrefois, et par ta main. Pour les planter, tu expulsas des nations, pour les étendre, tu malmenas des peuples ; ni leur épée ne conquit le pays, ni leur bras n’en fit des vainqueurs mais ce furent ta droite et ton bras et la lumière de ta face, car tu les aimais. C’est toi, mon Roi, mon Dieu, qui décidais les victoires de Jacob ; par toi, nous enfoncions nos adversaires, par ton nom, nous piétinions nos agresseurs. Ni dans mon arc n’était ma confiance, ni mon épée ne me fit vainqueur ; par toi nous vainquions nos adversaires, tu couvrais nos ennemis de honte ; en Dieu nous jubilions tout le jour, célébrant sans cesse ton nom. »

Et puis, le psalmiste se met à déplorer les malheurs présents, se plaignant même de l’abandon divin, en une prière qui, mutatis mutandis pourrait bien s’adapter à notre condition présente : ne nous semble-t-il pas, à nous aussi que le Seigneur nous abandonne et se tait devant la marée montante du mal et le déferlement des ennemis de Dieu ? :

« Et pourtant, tu nous as rejetés et bafoués, tu ne sors plus avec nos armées ; tu nous fais reculer devant l’adversaire, nos ennemis ont pillé à cœur joie. Comme animaux de boucherie tu nous livres et parmi les nations tu nous as dispersés ; tu vends ton peuple à vil prix sans t’enrichir à ce marché. Tu fais de nous l’insulte de nos voisins, fable et risée de notre entourage ; tu fais de nous le proverbe des nations, hochement de tête parmi les peuples. Tout le jour, mon déshonneur est devant moi et la honte couvre mon visage, sous les clameurs d’insulte et de blasphème, au spectacle de la haine et de la vengeance. »

Plaidant alors en faveur de l’innocence des fidèles de Yahvé, il ose sommer Dieu d’intervenir :

« Tout cela nous advint sans t’avoir oublié, sans avoir trahi ton alliance, sans que nos cœurs soient revenus en arrière, sans que nos pas aient quitté ton sentier : tu nous broyas au séjour des chacals, nous couvrant de l’ombre de la mort. Si nous avions oublié le nom de notre Dieu, tendu les mains vers un dieu étranger, est-ce que Dieu ne l’eût pas aperçu, lui qui sait les secrets du cœur ? C’est pour toi qu’on nous massacre tout le jour, qu’on nous traite en moutons d’abattoir. Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? Réveille-toi, ne rejette pas jusqu’à la fin ! Pourquoi caches-tu ta face, oublies-tu notre oppression, notre misère ? Car notre âme est effondrée en la poussière, notre ventre est collé à la terre. Debout, viens à notre aide, rachète-nous en raison de ton amour ! »

Cette prière a plus de deux mille ans ! C’est très impressionnant de voir combien ces formules vigoureuses sont toujours actuelles, elles sont de tous les temps, elles expriment de façon vraiment inspirée la relation qui unit l’homme à Dieu. Les psaumes sont à notre portée, leurs mots sont justes et touchent le cœur de Dieu. L’Église en a pleinement hérité dans sa liturgie et notre graduel reprend une de ces expressions qui nous présente l’action divine comme déjà accomplie. C’est que le Seigneur est venu et qu’il nous a délivré par sa mort. Il y est parlé aussi de nos ennemis. Le Christ nous a appris à les aimer et donc il change la perspective d’un texte comme celui-ci. Nos ennemis, à nous chrétiens, ce sont surtout nos péchés, ce mystère du mal qui rôde dans notre vie et contre lequel il faut s’armer et combattre.

Et puis retenons surtout la finale de notre chant : « En Dieu nous nous glorifierons tout le jour, nous célébrerons ton nom à jamais. » Toute l’œuvre rédemptrice est ordonnée à la louange. La liturgie est l’activité la plus importante de la vie de l’Église, celle qui nous occupera toute l’éternité. Puissions-nous chanter avec joie la gloire de Dieu dès ici-bas, en attendant de le faire dans la somptuosité des célébrations du ciel.

Liberasti nos Partition

Commentaire musical

La mélodie de ce graduel est originale, au moins pour la première partie, et possède un caractère bien particulier de joie et même d’allégresse. L’âme est délivrée de ses tristesses, elle a triomphé grâce à Dieu de ses ennemis et cela se sent dans son chant. La joie traverse cette pièce d’un bout à l’autre, on l’éprouve dans les deux phrases qui constituent le corps du graduel comme dans les deux phrases du verset, on peut dire qu’elle est omniprésente. Il s’agit d’ailleurs d’un 7ème mode et les graduels de ce mode sont en général des pièces très enthousiastes.

L’intonation, en quelques neumes, nous établit d’emblée dans ce sentiment de joie. Il ne faut pas grand chose : un premier accent secondaire au levé sur le La, donc un petit élan, puis une deuxième syllabe qui sert de palier sur le double Do assez ferme mais qui ne doit pas nous faire déplacer l’accent ; un accent tonique simplement marqué par un podatus de seconde qui nous conduit au Ré et enfin une finale de mot qui continue de monter sur le Mi, le tout dans une grande légèreté et fermeté aussi. Le petit nos qui suit et conclut l’intonation vers le grave doit être très léger et ne pas nuire du tout au mouvement acquis sur le mot précédent. Cette intonation nous parle de liberté acquise, non par nos propres forces, mais par la grâce de Dieu, il s’agit de la manifester simplement.

Tout de suite après, sur Domine, l’auteur de notre libération, la mélodie s’envole. Un intervalle de quart nous fait attaquer ce mot sur le Fa supérieur, prélude à une vocalise très déroulée et pleine de vénération joyeuse qui va replonger vers le grave avant de remonter et se fixer finalement sur une cadence en Ré, dominante du 7ème mode. La joie acquise se poursuit avec la mention des ennemis, ceux qui nous affligeaient, c’est-à-dire ceux qui étaient cause et objet de notre tristesse. La mélodie de ex affligentibus se poursuit dans la même atmosphère très dégagée du début. Elle est particulièrement bien rendue grâce au petit passage syllabique (Sol-Ré) qui se situe au cœur de cette vocalise et par la finale très légère et un peu en cascade de affligentibus (trois clivis dans les manuscrits munies d’un petit c, c’est-à-dire un signe de célérité. Le deuxième nos de la pièce est très beau. Plongeant au grave, il amorce un élargissement notable du mouvement qui conclut dans la paix cette première phrase joyeuse.

La second phrase est nettement plus réservée, du moins en son début. On reste dans la quinte Sol-Ré sur toute cette première partie (et eos qui nos oderunt) comme si la mention de la haine des ennemis obligeait l’âme à demeurer grave. On sent que cette haine aurait pu triompher et anéantir le juste sans l’intervention divine. On pense forcément aux ennemis du Christ au moment de sa Passion, on pense spécialement à l’ennemi rampant de l’œuvre du salut, le démon, on pense aussi aux ennemis de l’Église qui, par vagues successives, persécutent l’Épouse du Christ tout au long de son histoire. On arrive en effet à la fin du cycle liturgique et la perspective du jugement dernier se précise et invite l’Église à se retourner en arrière pour voir de quels dangers elle a été délivrée, de quel amour elle a été aimée.

Et la joie revient sur le verbe confudisti qui exprime l’action divine contre les ennemis. La légèreté s’unit ici à une certaine force, à une certaine fierté aussi. Tout a été original dans cette mélodie, seule la finale de confudisti nous fait revenir à une formule mélodique classique qui garde beaucoup de fraîcheur et nous introduit très bien dans la joie du verset.

Ce verset ne commence pas de façon tonitruante, bien au contraire, c’est vraiment la légèreté qui le caractérise, mais une légèreté assez extraordinaire. La très longue vocalise de in Deo, plutôt grave jusqu’à la dernière incise, se déroule avec beaucoup de fluidité, dans un legato parfait. Les longues sur le Do sont très légères, rien ne vient mettre obstacle à cette merveilleuse légèreté, pas même la montée ardente de la dernière incise. L’âme respire la joie en chantant le nom de celui qui la lui procure par son existence même. N’y aurait-il pas moyen de considérer ces trois incises comme une mention discrète des trois personnes divines, avec justement cette floraison de la dernière incise qui convient si bien à l’Esprit-Saint qui est Amour mutuel du Père et du Fils et leur mutuelle jubilation. L’âme est emportée dans ces relations trinitaires, elle sait que sa louange sera éternelle comme son objet lui-même (in Deo laudabimur tota die), elle est déjà dans la louange puisqu’elle chante et se laisse entraîner vers l’extase par ses propres vocalises. On a dit assez justement que cette vocalise ressemble plus à un jubilus d’alléluia. De fait, la musique dépasse le texte ici aussi, les syllabes une fois prononcées se déploient en un langage musical qui vient en aide à l’insuffisance des mots pour traduire un sentiment profond, celui de la joie enthousiaste. Mais notons encore que tout est mesuré, ce n’est pas de l’excitation, tout est léger, simple, spirituel.

La deuxième phrase du verset rompt un peu avec cette légèreté. L’accent de nomini, comme aussi le traitement de tuo, très fermes, donnent à ce passage un caractère un peu plus solennel. Et puis on reprend une dernière fois du mouvement sur confitebimur, avant l’extraordinaire vocalise de in sæcula, pleine de grandeur, de majesté souveraine, de splendeur, que l’on doit marquer par un crescendo puissant sur la dernière incise où là vraiment tout est large. La pièce se termine sur cette dernière évocation grandiose de l’éternité. C’est comme un immense point d’orgue qui fait résonner le ciel tout entier. Notre graduel s’achève, nous sommes sur la terre, mais nous avons la certitude, après l’avoir chanté, que notre louange ne s’arrêtera pas au ciel : « En Dieu nous nous glorifierons tout le jour, nous célébrerons son nom à jamais. »

Pour écouter la pièce, cliquer ici. 

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