Enquête : La France est-elle toujours catholique ?

Publié le 16 Nov 2015
Enquête : La France est-elle  toujours catholique ? L'Homme Nouveau

Avec La France catholique, Jean Sévillia signe non seulement un nouveau livre mais propose aussi un panorama grandeur nature de la réalité de la France catholique, par la pertinence de l’analyse et la force des photographies. Sans se voiler la face sur les difficultés, ce livre-album est porté par un formidable souffle d’espérance. Pour Jean Sévillia, une partie de la jeunesse française, bien dans son catholicisme, prend le relais dans la transmission de la foi sur le sol de la France.

Pourquoi avoir intitulé ce livre : « La France catholique » et non « Une France catholique » ?

Jean Sévillia : Si j’avais proposé l’article indéfini, « Une France catholique », cela aurait donné l’impression qu’il y en a une parmi d’autres. L’article défini permet de définir un sens et de montrer une unité profonde entre le mot « France » et le mot « catholique ». Cette corrélation vient de notre Histoire : la France est une des plus anciennes nations chrétiennes du monde, la Gaule ayant été évangélisée dès l’aurore du christianisme. Notre pays est lié au christianisme, même symboliquement, depuis le baptême de Clovis où ce dernier, roi des Francs, ne s’engagea pas tant politiquement en faveur de cette religion que personnellement. Ce chef, en se faisant baptiser, a noué une alliance entre le territoire qui allait devenir la France et l’Église de Rome. Rappelons que les autres chefs politiques de son temps étaient tous ariens. Donc il y a un lien indéniable et en profondeur entre notre Histoire, notre culture, notre patrimoine et le catholicisme.

Mais n’est-ce pas là qu’un fait d’Histoire en train de s’éteindre profondément dans notre pays ? Ce lien n’est-il pas révolu ?

Je n’ignore pas les transformations profondes d’aujourd’hui. Mais je rappelle que dans la constitution de notre population, dans sa structure, sur 65 millions d’habitants, les statistiques affirment qu’il y a 44 millions de baptisés. Donc les deux-tiers des Français sont catholiques, en tout cas membres de l’Égli­se catholique de par leur baptême. Sans doute beaucoup parmi eux n’ont-ils jamais mis les pieds à l’église depuis qu’ils ont reçu ce sacrement. Mais théologiquement parlant, ils ont été marqués par la grâce. Rien ne dit que cette grâce ne puisse pas agir en eux un jour, ne fût-ce qu’à l’heure de la mort.

Historiquement, symboliquement, spirituellement si l’on veut, la France est donc catholique. Mais dans la pratique ?

On a les chiffres : sur ces 44 millions de baptisés catholiques, il y en a 13 millions qui sont pratiquants. Ces pratiquants le sont au sens large, puisque sont inclus à la fois ceux qui vont à la messe une fois par an et ceux qui y vont tous les jours. En réalité, sur ces 13 millions de pratiquants, il y a trois millions de pratiquants réguliers et 10 millions de pratiquants irréguliers…

…Et ceux qui sont dits « pratiquants réguliers » vont à la messe tous les dimanches ? Ont-ils une pratique dominicale ?

Malheureusement non. Il y a trente ans, les instituts de sondage prenaient la pratique dominicale comme preuve de la pratique religieuse des sondés. C’était la manière de faire de la sociologie religieuse depuis les années 1940. Aujourd’hui, j’ai découvert cela récemment, les instituts de sondage prennent en compte une pratique élargie, c’est-à-dire se contentent d’un lien rituel avec l’Égli­se.

C’est tout de même très aléatoire… ?

Bien sûr mais le but de ce livre n’est pas de nous faire pleurer sur notre sort. Beaucoup de catholiques se plaignent de la situation actuelle du christianisme en France. Ce que j’ai souhaité faire avec ce livre, c’est montrer la part bien réelle et vivante des catholiques dans notre pays. Ils sont certes moins nombreux qu’autrefois mais ils sont aujourd’hui intensément catholiques. L’avenir n’est pas écrit et ne l’a jamais été. Ce qui se passe, en particulier chez les jeunes, est extrêmement fort et donne beaucoup d’espoir. La génération montante issue des pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI – pas encore du Pape François, car c’est trop tôt pour le dire – est là et donne une tonalité différente : c’est un catholicisme qui s’affirme et s’affiche, contrairement à celui des années 1960-1970 qui prônait l’enfouissement dans la société, mais dont l’approche des problèmes sociaux est inséparable d’une exigence spirituelle, d’un approfondissement de la foi.

Mais ça n’est pas vraiment nouveau : autrefois, les mouvements catholiques engagés dans la société foisonnaient déjà… ?

Oui, mais dans les années 1960-1970, combien s’engageaient sur la doctrine sociale en oubliant le mot « Église » ? On s’engageait dans le social plus que dans l’Église… Cette génération marquée politiquement à gauche a obtenu de maigres fruits, pour ne pas dire aucun. À partir de Jean-Paul II, les catholiques réapprennent le sens de l’engagement chrétien, l’engagement sous le regard de Dieu avec un enracinement spirituel, la place de la prière, l’importance donnée à l’adoration eucharistique.

Et ça, vous pensez que c’est novateur ?

On en voit aujourd’hui les effets : la jeune génération catholique actuelle est très ancrée dans la foi, d’autant plus qu’elle est extrêmement minoritaire, dans sa tranche d’âge, parmi la population française. Elle était dans la rue au moment de la loi Taubira sur le mariage, elle fait des pèlerinages, des retraites. Pour elle, les problèmes liés à la famille ne sont pas seulement des problèmes sociaux : ils sont le reflet de choix moraux et anthropologiques qui sont en désaccord avec la foi chrétienne. Cette génération représente donc une force spirituelle considérable.

Et comment expliquez-vous que les catholiques aient si peu de visibilité en France. Vous qui êtes journaliste, diriez-vous que les médias y ont une part de responsabilité ?

Oui, car les médias ne s’intéressent pas ou peu au phénomène religieux. Quand Benoît XVI, pape que les médias n’aimaient pas, est venu en France, en 2008, le discours médiatique dominant était que ce voyage serait un échec. Or, il y a eu foule à Paris comme à Lourdes. C’était la même chose, en 1997, lors de la venue de Jean-Paul II pour les JMJ de Paris. Les journalistes se sentant étrangers à la religion, ils n’imaginent pas que tout le monde n’est pas comme eux.

Y a-t-il une autre raison que l’indifférence médiatique ?

Je vois la persistance d’une génération qui a cru en la théorie de l’enfouissement, celle dite du levain dans la pâte. Sauf que la germination n’a pas eu lieu. Cette génération aujourd’hui âgée et qui ne voulait pas faire de vagues est en train de passer la main. Mais on paie aujourd’hui ce consensus mou.

Concernant les médias, vous voyez une évolution possible ? Y a-t-il des signaux d’une plus grande visibilité des catholiques à attendre d’eux ?

Je ne le pense pas, même s’il y a des exceptions. Mais les nouveaux médias apparus autour d’Internet permettent en partie de contourner l’obstacle. La nouvelle génération catholique, comme on l’a vu lors de la mobilisation contre la loi Taubira, manie d’ailleurs parfaitement ces outils. Les jeunes catholiques sont des cathos 2.0, pour le meilleur et pour le pire…

Peut-on dire que votre livre est une sociologie vivante et illustrée du christianisme en France au XXIe siècle ?

Oui, c’est en partie ce que j’ai voulu faire.

Sociologue, c’est votre nouvelle casquette ?

La sociologie m’a toujours intéressé. Cette discipline appartient à la panoplie de l’historien. Mais on ne peut cependant pas réduire mon livre à cet aspect. Il contient aussi des portraits, un peu d’histoire des idées aussi quand je parle des intellectuels et des courants d’idées chez les catholiques.

Qu’est-ce qui distingue votre ouvrage des autres livres sur le sujet ?

C’est un album dont le texte, d’une longueur équivalente à la moitié d’un de mes livres habituels, est accompagné de 400 photos. Ça, c’est nouveau pour moi en tant qu’auteur. Ces photos forment en quelque sorte un album de famille. Comme les catholiques ont trop tendance à baisser la tête et que l’interprétation actuelle de la laïcité tend à vouloir que la religion reste dans la sphère privée, ce livre veut contribuer à ce que les catholiques ne se déprécient pas eux-mêmes. Je ne nie pas les difficultés, je n’ai pas écrit ce livre avec des lunettes roses pour dire : « Tout va bien ! », mais ces 13 millions de pratiquants sont tout de même la première minorité de France. 13 millions, c’est énorme. Il y a des pays européens dont la population n’atteint même pas ce chiffre ! L’Autriche, par exemple, ne compte que 8 millions d’habitants. Quand on dit que le catholicisme français est mourant, on dit un mensonge.

N’avez-vous pas là une vision citadine du catholicisme en France ? Paris et les grandes villes ne résument pas toute la France ?

Avec tout le respect que je porte aux prêtres qui poursuivent leur ministère dans les campagnes, je dois bien constater que les zones rurales deviennent des déserts spirituels. Autrefois elles étaient plus chrétiennes que les villes. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Si on prend les grandes villes de France, il y a des paroisses extrêmement vivantes, des associations, des propositions pastorales, des mouvements pour tous les âges. À Paris, Lyon, Nantes ou Bordeaux, l’Église est particulièrement vivante, ce qui n’est plus toujours le cas dans les campagnes où, heureusement, les monastères, là où il y en a, assurent une présence spirituelle.

Finalement, votre livre, c’est un « coup de gueule » contre le déclinisme ? C’est un cri d’espérance ou un cri d’espoir ?

Les deux. Il ne faut pas idéaliser le passé, se recroqueviller dans une sorte de nostalgie ni occulter pour autant les problèmes. Le défi de la transmission de la foi sur le sol français est posé. Entre le « Tout va bien » et le « Tout est foutu » il y a un juste milieu possible qui ne cède ni à l’angélisme ni à la tristesse.

C’est la première fois que vous publiez chez Michel Lafon : c’est un divorce avec vos précédents éditeurs ?

Non, pas du tout, mais les éditions Michel Lafon voulaient publier un livre intitulé « La France catholique » et voulaient que ce soit moi qui l’écrive. J’ai accepté leur proposition.

Vous dédicacez le livre « à la mémoire de l’abbé Denis Coiffet » ?

Cofondateur de la Fraternité Saint-Pierre, ce prêtre a été rappelé à Dieu l’été dernier, au terme de plusieurs mois de maladie puis d’agonie. Il avait été l’aumônier scout de mes enfants et a marié trois d’entre eux. C’était à la fois un ami de ma famille et un ami personnel. C’était une âme de feu, pleine de foi et de charité, et un bon vivant, une force en marche, avec une grande modestie. Je le pleurerai longtemps.

Jean Sévillia, La France catholique, Michel Lafon, album relié de 240 p., 29,95 €.

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