Espérance banlieues ! Entretien avec Éric Mestrallet

Publié le 15 Avr 2015
Espérance banlieues ! Entretien avec Éric Mestrallet L'Homme Nouveau

Éric Mestrallet est le fondateur et président de la Fondation Espérance banlieues. Il publie Espérance banlieues avec Harry Roselmack, parrain du Cours Alexandre Dumas, école pilote de la Fondation. Un livre d’entretiens passionnant, qui développe une conception de l’éducation débarrassée d’idéologie et d’idéalisme. Eric Mestrallet a bien voulu revenir avec nous sur cette aventure éducative au coeur des banlieues…

Propos recueillis par Adélaïde Pouchol

Vous publiez un livre d’entretien avec Harry Roselmack, journaliste pour TF1. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Il y a deux ans, les élèves du Cours Alexandre-Dumas à Montfermeil (Seine-Saint-Denis) avaient réalisé des vidéos dans le cadre d’un projet pédagogique. Ils y demandaient à leurs personnalités préférées de venir les rencontrer. Une des élèves, désireuse de devenir journaliste, avait invité Harry Roselmack. Touché par cette invitation, il est venu très simplement rencontrer les élèves. Il a trouvé l’école très prometteuse, a décidé de la parrainer pour nous aider à faire connaître cette belle initiative. L’idée du livre s’est assez vite imposée au fil de nos discussions, pour coucher sur le papier nos ambitions et notre proposition adaptée pour la jeunesse des banlieues.

Pouvez-vous retracer l’historique de la création de la Fondation Espérance banlieues ?

La Fondation Espérance banlieues est née de plusieurs années de réflexion. En tant que chef d’entreprise, je suis confronté à la difficulté du recrutement. En France, voilà plusieurs années que nous connaissons un chômage très important, tout spécialement dans certaines zones. Je crois qu’il y a beaucoup de jeunes qui, faute d’une formation adaptée, notamment au savoir-être, errent sans objectif dans notre système éducatif. C’est un vrai gâchis de talents. J’ai vu une opportunité à Montfermeil de monter une école différente qui permettrait d’accueillir les enfants nécessitant une instruction différente. J’ai rencontré Albéric de Serrant, qui m’a semblé être l’homme idéal pour porter cette école et recruter les professeurs autour du projet éducatif que nous avions défini ensemble. Le Cours Alexandre-Dumas, école pilote de la Fondation Espérance banlieues, a ouvert ses portes en 2012.

Pourquoi vous êtes-vous investi dans un tel projet ?

Comme je vous le disais, je n’aime pas voir tant de jeunes sans réel projet professionnel. Et des zones où la désespérance prospère. En tant que père de famille et chef d’entreprise, je crois qu’il est de mon devoir, à mon niveau, d’agir pour la jeunesse, de donner une espérance à tous les enfants pour qu’ils puissent se projeter dans une vie d’adulte.

Quelles sont pour vous les causes essentielles de l’échec de l’Éducation nationale ?

L’Éducation nationale est un ministère gigantesque qui ne peut se réformer que dans le temps. Je crois qu’il y a une vraie volonté de changement. Nous avons beaucoup à gagner à observer les systèmes étrangers. En France, nous avons tendance à centraliser beaucoup de compétences. Je crois que c’est une erreur. Il faudrait donner plus de liberté aux établissements il me semble. Cela permettrait par exemple d’avoir plus de variété dans nos écoles. Tous les enfants n’ayant pas le même cerveau, ils ne réagissent pas de la même manière aux mêmes méthodes. La variété pédagogique est la clé de la réussite. Les anglais l’ont d’ailleurs très bien compris. Les free schools sont absolument fascinantes, je crois que nous devrions nous en inspirer. L’une des premières mesures qui nous a semblée nécessaire est d’avoir des petits effectifs. Une école type de la Fondation ne devrait pas rassembler plus de 150 élèves, ce qui permet de préserver la proximité et l’attention nécessaires pour répondre aux besoins de chaque enfant. C’est à cette condition seulement que l’on peut prétendre au développement de l’enfant dans son intégralité, sans laisser certaines de ses dimensions à la porte de l’école.

Vouloir développer l’enfant dans toutes ses dimensions, c’est faire de l’école un lieu d’éducation et non pas seulement d’instruction. N’est-ce pas prendre le pas sur le rôle de parents, premiers éducateurs de leurs enfants ?

Les parents sont évidemment les premiers éducateurs de leurs enfants mais ils ne peuvent tout assurer et de fait choisissent ceux à qui ils délèguent une partie de cette responsabilité. Ceux qui inscrivent leurs enfants dans les écoles de la Fondation adhèrent au projet pédagogique et sont investis dans le parcours de leur enfant. Nous ne faisons aucune sélection des élèves sur le niveau scolaire mais sur la motivation de l’enfant. Les professeurs communiquent régulièrement avec les parents, ce qui permet d’établir un suivi régulier et de prendre en compte des difficultés extérieures à l’école mais qui peuvent avoir sur elle une incidence. Enfin, les sanctions, qu’elles soient positives ou non, sont prises avec l’accord des parents. Nous pensons qu’il est essentiel que ces derniers ne soient pas en désaccord avec le corps professoral devant leur enfant.

Quels sont les grands principes qui fondent la pédagogie mise en œuvre par la Fondation Espérance banlieues ?

La liberté. Le chef d’établissement recrute librement son équipe, il choisit les méthodes qu’il juge les plus adaptées à ses élèves, et en change si nécessaire. Mais les méthodes choisies sont toujours des méthodes très réputées. Il ne s’agit pas de tester de nouvelles pédagogies, mais bien de choisir celles qui conviennent le mieux aux enfants. Nous devons porter une attention à toutes les dimensions de l’enfant pour l’aider à réaliser sa vocation. Cela passe d’abord par l’apprentissage des savoirs fondamentaux mais aussi par celui des codes du monde adulte afin que l’enfant y entre de plain-pied et non à reculons.

Pourquoi avoir choisi d’agir spécialement pour les banlieues, dans la mesure où d’autres couches de la population sont également touchées par l’échec du système scolaire, notamment les zones rurales ?

Je crois qu’en banlieue il y a une urgence toute particulière. Le risque d’éclatement communautaire est important. Nous ne pouvons laisser des enfants pâtir de tout cela et voir leur avenir sacrifié. C’est socialement inacceptable. En raisonnant différemment de ce qui se pratique actuellement, on peut trouver des solutions et l’école en est une.

Favoriser la création d’écoles hors contrat, n’est-ce pas prendre le risque que soient dispensés des enseignements d’inégales valeurs, sans possibilité de contrôle ?

Les exemples étrangers montrent tout l’inverse. La liberté est gage de qualité. Et puis les parents votent avec leurs pieds ! Une mauvaise école se videra rapidement. En outre, nous sommes bien évidemment tenus par un système d’évaluation que nous avons mis en place et par l’évaluation naturelle que constitue la présentation de nos élèves aux examens nationaux. Le Cours Alexandre-Dumas a aujourd’hui un taux de réussite au brevet des collèges de 75 %. C’est plus que la moyenne en Seine-Saint-Denis, ce n’est pas encore suffisant pour crier victoire mais c’est déjà un bon indicateur du fait que les enfants retrouvent le goût d’apprendre et de réussir.

Le Cours Alexandre-Dumas propose actuellement le primaire et le secondaire, envisagez-vous d’ouvrir également un lycée ?

Nous espérons pouvoir le faire d’ici les trois prochaines années. Il ne s’agira pas forcément d’un lycée d’enseignement classique mais plus ouvert vers les filières professionnelles.

Dans votre livre, vous mettez beaucoup en avant la liberté pédagogique et l’autonomie des établissements scolaires, quasi inexistantes actuellement, pourquoi ?

C’est lié à notre culture, très étatique. Nous attendons beaucoup de l’Etat. Mais l’Etat doit permettre aux écoles de s’adapter en fonction de leurs terrains. Regardez la réforme des rythmes scolaires : l’idée de départ est bonne, mais pourquoi avoir voulu égaliser cette réforme à toute la France ? Des écoles à Paris n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes besoins que des écoles de campagne !

On pense souvent que les écoles hors contrat sont un luxe réservé aux classes aisées. Comment avez-vous pu, sur le plan financier, le rendre accessible à des populations défavorisées ?

Cela est possible grâce à la grande générosité de nos bienfaiteurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises locales intéressées par le travail que nous faisons. Ainsi, 80 % du budget de l’école est constitué par des dons d’institutionnels ou de particuliers. Les 20 % restant, à hauteur de 750 € par an et par enfant, sont à la charge des parents. Nous tenons à cet investissement financier de leur part, qui est une manière de les investir dans l’éducation de leur enfant. Des familles parfois très défavorisées achètent des jeux vidéos à leurs enfants, ils peuvent donc payer l’école ! Bien entendu, en cas de grosses difficultés financières, nous trouvons des arrangements.

Quels sont les projets de la Fondation ?

Développer plus d’écoles, soutenir celles qui existent, et obtenir un financement public, indispensable si nous voulons déployer ce projet plus largement. Le service d’intérêt général que constitue ce type d’écoles et la satisfaction des familles encouragent de nombreux élus à trouver des solutions pour nous aider. Le chemin parcouru est grand mais il nous reste beaucoup à faire ! Ces trois années ont été emplies de joies et de beaux parcours d’enfants qui ont retrouvé le goût de l’école. Nous avons joué la carte de la transparence, ce qui a amené beaucoup de gens à venir voir l’école et ils veulent désormais monter des projets semblables à Lille, Lyon, en région parisienne…  Pas moins de 15 mairies nous ont demandé de développer une école sur leur territoire. La Fondation veut servir de tiers de confiance, en aidant au recrutement des directeurs qui sont la pierre angulaire de l’établissement, en soutenant la formation des professeurs, en rassurant les élus et parties prenantes institutionnelles qui souhaitent ce genre d’écoles mais doivent être convaincus de notre capacité à répondre à cet objectif. La Fondation sera aussi le support d’un échange de bonnes pratiques, l’on est toujours plus intelligent à plusieurs ! Aujourd’hui, ce sont nos faibles moyens financiers qui nous limitent.

Comment soutenir ou s’investir dans ces projets ?

C’est très simple ! Faire un don même petit ou s’engager en tant que professeur. Aujourd’hui nous manquons autant de moyens financiers que d’hommes capables de porter ces écoles. L’éducation est un sujet plein d’espérance pour la France de demain, tout ceux qui veulent y participer sont les bienvenus. Les soutiens d’entreprises qui en font un projet de Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE) sont importants car ils contribuent à témoigner que la jeunesse est une préoccupation partagée par tous, personne ne peut s’en désintéresser. Tous peuvent apporter leur pierre à l’édifice, dans les écoles elles-mêmes ou au niveau de la Fondation, en travaillant par exemple sur les liens à créer avec le monde de l’entreprise.

Pour finir, une anecdote, un moment qui vous aurait particulièrement touché au contact des élèves du Cours Alexandre-Dumas ?

Quand les couleurs sont montées tous les lundis matins, les élèves mettent spontanément la main sur le cœur par amour pour leur pays. C’est très touchant ! Ils sont pour une écrasante majorité issus de l’immigration, de culture musulmane, et pourtant, contrairement à beaucoup de préjugés, ils aiment leur pays. Je pense aussi à cet enfant arrivé en 5e au Cours.  Un jour, son professeur lui a demandé de lire… Il lui a jeté le livre à la figure. Le professeur a compris que l’enfant avait réagi comme cela parce qu’il ne savait pas lire. Il l’a donc accompagné pour rattraper son retard, notamment en le faisant travailler en binôme avec un autre élève plus jeune afin qu’ils puissent s’aider mutuellement. Aujourd’hui, cet enfant est l’un des piliers du Cours.

Fondation Espérance banlieues
25, rue sainte-Isaure, 75018 Paris
Tél : 01 82 83 11 87
www.esperancebanlieues.org
fondation@esperancebanlieues.org

Harry Roselmack, Éric Mestrallet, Espérance banlieues, Éd. Du Rocher, 190 p., 16,90 €.

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