La parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 29-37) est la réponse du Seigneur à la question classique d’un « lettré » de son temps : « Qui est mon prochain ? ». Peu à peu en effet, devant le silence prolongé de la prophétie, le peuple élu avait rendu hermétique sa conscience, surtout depuis le retour d’exil, puis les Macchabées. Le « prochain », c’était obligatoirement un juif, et encore, avec des nuances : le pharisien exclut le non-pharisien, l’Essénien cultive la haine des « fils des ténèbres », le rabbin pousse dans la fosse les hérétiques, les renégats, les délateurs. Le discours sur la montagne fait état d’un dicton populaire d’alors, « tu dois aimer ton prochain et haïr ton ennemi » (Mt 5, 43).
Le chemin, désert, entre Jérusalem et Jéricho couvre 27 km, tout en descente. Un tournant y est dénommé Adomim, ce qui veut dire « coupe-gorge ». Le prêtre et le lévite se rendaient sans doute vers Jérusalem. Est-ce pour être « en règle » pour leur service qu’ils devaient éviter de toucher un moribond (Lv. 21, 1 s.) ? Cette interprétation atténuante est peu probable ; le sens obvie est plus sûr : ils ne veulent pas voir, ils refusent la compassion.
Un homme inattendu
Alors apparaît le Samaritain de façon vraiment inattendue, choquante même pour l’auditoire : c’est un métis venu d’un peuple qui, peu de décennies avant, avait souillé le Temple une nuit durant les fêtes pascales avec des ossements humains ! Benoît XVI précise ces détails (Jésus, II, p. 219 s.). La suite dévoile la radicale nouveauté du plan du salut. Le bon Dieu en s’incarnant comme rédempteur, a « retroussé ses manches », prenant une vraie peine à nous sauver tous sans exception : Il s’arrête, Il panse nos plaies, Il nous confie à la Mère Église qui administre les sacrements du salut.
« En célébrant le sacrement de la Pénitence, dit justement le Catéchisme (n° 1465), le prêtre accomplit le ministère du Bon Samaritain qui panse les blessures. Le prêtre est le signe et l’instrument de l’amour miséricordieux de Dieu envers le pécheur. » Ailleurs, il en rapproche la doctrine de saint Paul (n° 1825) : « Le Christ est mort par amour pour nous alors que nous étions encore “ennemis” » (Rm 5,10). « Le Seigneur nous demande d’aimer comme Lui jusqu’à nos ennemis », contredisant donc le dicton populaire (Mt 5, 43 s.), « et de nous faire le prochain du plus lointain ».
Accepter d’être dérangé
Mère Teresa a réactualisé pour notre temps la parabole de façon quasi littérale : elle a débuté en s’arrêtant et soignant avec les moyens de fortune les moribonds dans les rues sales de Calcutta. Quand le Pape François nous envoie aux périphéries vers les pauvres, ce n’est pas pour imiter matériellement et théâtralement ce qui se fait à Calcutta. Il nous envoie plutôt au mystère du prochain inattendu qui se présente de façon imprévue et bouscule nos petits plans. Ne craignons pas d’être dérangé : c’est Dieu qui frappe.
Saint François de Sales parle souvent de la « générosité de l’esprit », qui fait éviter l’attitude impertinente d’un don Quichotte. La générosité pour le prochain en particulier doit plutôt fuir ce panache qui sonne faux aux yeux de Dieu. Le lettré de la parabole cherche une solution tangible, palpable à son problème moral. Le Seigneur ne le flatte pas, Il le renvoie au B-A BA qui permet de marcher dans la voie des commandements de Dieu. Puis la parabole montre que la charité de l’âme généreuse est « comme la sangsue », qui selon l’Écriture dit : « Jamais assez » (Pr. 30,15). Prévoyant tout, jusqu’à l’avance à payer à l’aubergiste, elle pense n’avoir fait que son simple devoir, sans retour sur elle-même.