Le texte de loi parle – doux euphémisme – d’« aide médicale à mourir », c’est pourtant bien d’euthanasie qu’il s’agit. Le Canada vient s’ajouter, depuis le 6 février dernier, à la liste des pays européens (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) et États américains (Oregon, Montana, Vermont, Nouveau Mexique et État de Washington) qui ont consacré le droit à mourir.
Quand tuer n’est plus un crime
L’article 241 b) du Code criminel du Canada condamne le fait d’aider et d’encourager le suicide. Cet interdit avait été confirmé par plusieurs décisions de la justice canadienne et le rejet, depuis 1993, des neuf propositions de lois déposées à la Chambre des Communes, visant à décriminaliser l’euthanasie et le suicide assisté. Le dernier projet de loi de ce type avait été repoussé le 21 avril 2010. Mais déjà, le 10 juin 2014, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le Projet de loi 52 qui encadre les soins de fin de vie, à 94 voix contre 22. Les élus et militant favorables à l’euthanasie craignaient que cette mesure soit jugée inconstitutionnelle par le gouvernement fédéral puisqu’elle contrevient à l’article 241 b) du Code criminel cité plus haut. La Cour suprême a pourtant jugé à l’unanimité, le 6 février dernier, que l’interdiction de l’euthanasie dans le Code pénal violait la Charte canadienne des droits et libertés. Auront désormais le droit de demander la mort tous les adultes qui « consentent clairement à mettre fin à leur vie » et qui « sont affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables au regard de leur condition ».
La loi canadienne avait obtenu une évolution similaire en 1988 lorsque la Cour suprême du Canada rendait inconstitutionnelle l’interdiction de l’avortement – jusqu’alors considéré comme un crime –, comme étant contraire aux libertés fondamentales. Le juge en chef avait ainsi déclaré que « forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener un fœtus à terme, à moins qu’elle ne satisfasse à des critères sans rapport avec ses propres priorités et aspirations, est une ingérence grave à l’égard de son corps et donc une violation de la sécurité? de sa personne ».
Un droit à l’objection de conscience ?
Officiellement, la loi canadienne reconnaît un droit à l’objection de conscience. Le droit constitutionnel canadien inclut ce droit dans la liberté de conscience et de religion garanti par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. Nombre de médecins et membre du corps médical y ont donc recours pour justifier leur refus de pratiquer des avortements ou de prescrire des contraceptifs. Pourront-ils également faire valoir ce droit pour ne pas avoir à pratiquer d’euthanasie ?
Le droit à l’objection de conscience est en réalité très encadré par la loi et, in fine, c’est toujours le droit du patient à recevoir les soins qu’il réclame qui prime sur la liberté de conscience du personnel médical.
Le droit du patient contre le droit du médecin
Au regard de la loi, l’objecteur doit, d’une part, prouver l’existence et le caractère raisonnable du principe supérieur qu’il invoque. Il doit prouver, d’autre part, qu’il adhère vraiment à ce principe supérieur et qu’il ne s’agit pas seulement d’une opinion de circonstance. Par ailleurs, le droit à l’objection de conscience n’est pas considéré comme absolu. Le Recueil de décisions relatives à la Charte canadienne des droits et libertés stipule en effet que « bien qu’il soit difficile d’imaginer quelque limite aux croyances religieuses, il n’en va pas de même pour les pratiques religieuses, notamment lorsqu’elles ont une incidence sur les libertés et droits fondamentaux d’autrui ».
La liberté de conscience étant un droit de l’homme, elle s’applique aux individus et non aux institutions, en l’occurrence les hôpitaux, lesquels ont donc l’obligation de permettre aux patients de bénéficier des actes médicaux autorisés par la loi. En outre, le Code de déontologie des médecins les oblige, s’ils ne veulent pas prendre en charge un patient, à lui indiquer néanmoins un autre médecin susceptible de pratiquer l’acte demandé. Et si aucun autre confrère ne peut répondre à la demande de son patient, alors le médecin objecteur est obligé d’y répondre lui-même.
À moins d’une évolution de la loi canadienne sur ce point, les professionnels de santé seront également confrontés aux limites du droit à l’objection de conscience dans le cadre de l’euthanasie. Un droit qui n’en est pas vraiment un puisque celui qui juge en conscience que tuer une personne en fin de vie est un crime sait qu’il endosse une part de responsabilité dans ce crime lorsqu’il indique au patient un autre médecin susceptible de lui administrer la sédation terminale.
La liberté du médecin aurait-elle moins de valeur que celle du patient ?