Exclusif : entretien avec David Bereit, fondateur de 40 Days for Life

Publié le 26 Fév 2014
Exclusif : entretien avec David Bereit, fondateur de 40 Days for Life L'Homme Nouveau

Le numéro du 1er mars de L’Homme Nouveau propose un entretien avec David Bereit, fondateur du mouvement américain, d’ampleur internationale et de résonance sociale et spirituelle : 40 Days for Life. Notre collaborateur Daniel Hamiche s’est entretenu longuement avec lui lors d’une rencontre à Paris avant de réaliser cet entretien dont voici la version complète, spécialement pour le site de L’Homme Nouveau

Qui êtes-vous exactement David Bereit ?

Je suis né le 17 juillet 1968 à Pittsburgh en Pennsylvanie. Ma famille se composait de mon père, de ma mère, d’un frère et de moi-même. J’ai été élevé dans l’Église presbytérienne et ai grandi à Pittsburgh. Après mes études secondaires, je suis parti pour le Texas à la « Texas A&M University » de College Station. C’est là que j’ai rencontré Margaret qui allait devenir mon épouse. Nous nous sommes mariés en août 1992, voici bientôt 22 ans, et nous avons deux grands garçons.

À Pittsburgh, dans ma famille, l’on ne parlait jamais d’avortement et je pratiquais dans une église où l’on n’en parlait pas davantage… La conséquence de cela, c’est que j’étais en grande partie ignorant du problème de l’avortement jusqu’à ce que je m’installe au Texas. Une fois au Texas, entouré de catholiques et de chrétiens évangéliques, j’ai commencé à comprendre ce qu’était l’avortement et le mal qu’il causait. À cette époque-là, je devins « passivement » pro-vie. J’étais contre l’avortement mais sans l’envie de faire quoi que ce soit pour m’y opposer.

C’est alors que Margaret me raconta beaucoup d’histoires sur des jeunes adultes de Corpus Christi (Texas). Tous les samedis, leurs familles se rendaient devant des cliniques d’avortement pour y prier en compagnie de centaines d’autres chrétiens. Au bout de quelques années, ils virent ces cliniques fermer les unes après les autres pour ne plus jamais rouvrir. J’ai alors commencé à prendre conscience que l’on pouvait faire quelque chose pour contribuer à résoudre le problème de l’avortement et là était mon devoir. Mais ce qui a vraiment poussé ma décision, c’est quand j’ai appris que Planned Parenthood, la plus grande chaîne d’avortoirs aux États-Unis, allait ouvrir sa première clinique d’avortement dans la ville où j’habitais : College Station. C’est cette information qui m’a poussé à m’impliquer activement dans le sauvetage de vies, à aider à changer les cœurs et les esprits, et à travailler pour mettre un terme à l’injustice que constitue l’avortement dans notre société.

Pourquoi et quand avez-vous décidé de lancer les 40 Days for Life ?

Après plusieurs années d’efforts pro-vie à College Station, nous avons constaté que rien ne marchait aussi efficacement que nous l’avions espéré et que le nombre d’avortements continuait à grimper. Quatre membres de notre petit groupe se réunirent un jour de l’été 2004 autour d’une table dans notre local pro-vie, et nous décidâmes de prier pendant une heure, car nous reconnaissions que si mettre un terme à l’avortement était humainement impossible, à Dieu tout est possible. Pendant notre prière, la première chose que Dieu mit dans nos cœurs fut cette période de quarante jours, une période que Dieu utilise, tout au long de l’histoire biblique, pour mettre en évidence la transformation dans le monde. Les trois choses que nous décidâmes furent : 1. Prière et jeûne pour obtenir la fin de l’avortement, en reconnaissant qu’avec Dieu, tout est possible. 2. Organisation de vigiles pacifiques de prière ininterrompue, 24 h sur 24, devant des cliniques d’avortement pour témoigner de l’injustice qui s’y déroulaient, et offrir de l’espérance et de l’aide aux mères risquant de prendre la pire décision de leur vie. 3. Une approche communautaire, en diffusant le message pro-vie aux membres de nos communautés, en faisant du porte à porte, en prenant la parole dans les églises et les écoles et en nous impliquant dans les médias. Ces trois actions – prière et jeûne, vigiles pacifiques et approche communautaire – constituèrent la structure des 40 Days for Life. Deux semaines après cette heure de prière, nous lancions la première campagne des 40 Days for Life. Plus d’un millier de personnes s’y engagèrent localement. Cette année-là, le taux des avortements diminua de 28 % dans notre communauté.

Quelles furent les principales difficultés que vous avez rencontrées en démarrant les 40 Days for Life et comment les avez-vous surmontées ?

La plus grande difficulté à laquelle nous avons dû faire face en lançant les 40 Days for Life, c’est d’abord notre manque de foi et ensuite de n’avoir pas vu assez grand ! Certes, nous reconnaissions devoir faire confiance à Dieu, mais nous n’avions tout simplement pas compris avec quelle puissance Il allait se manifester. En démarrant les 40 Days for Life, nous pensions qu’une douzaine voire une quinzaine de villes participeraient de manière coordonnée à cet effort national. Or, lors de cette première campagne, ce furent 89 villes de 33 États différents qui se mobilisèrent ! Désormais, ce sont des centaines de villes et de nombreux pays qui participent aux campagnes des 40 Days for Life. Ainsi, les deux difficultés d’origine, manque de foi et manque d’ambition, ont été surmontées par la prière, le jeûne et la confiance en Dieu pour nous montrer le chemin.

En faisant cela, en entrant dans son projet, Dieu a pu faire infiniment plus que ce que nous avions pu imaginer. À partir d’un modeste commencement à College Station, les 40 Days for Life ont diffusé partout. Nous avons enregistré 2 876 campagnes locales des 40 Days for Life, dans chacun des 50 États de l’Union et dans 21 autres pays. Plus de 600 000 volontaires ont participé à nos campagnes et nos informations confirment que 8 245 enfants à naître ont été in extremis sauvés de l’avortement à cause de tous ces gens priant devant des cliniques d’avortement, dont 44 ont définitivement fermé leurs portes, tandis que 88 employés d’avortoir touchés au cœur ont quitté l’industrie de l’avortement. C’est à Dieu que nous devons tout cela, ainsi qu’à tous les animateurs dévoués et à tous ces gens des villes moyennes ou grandes dans le monde entier qui ont participé à ces 40 Days for Life.

Quelle fut la première réaction de l’Église catholique aux 40 Days for Life ?

Dès le début, les 40 Days for Life ont bénéficié d’une magnifique participation des catholiques, du soutien et de la participation des responsables de la hiérarchie de l’Église catholique. Un des tout premiers articles publiés sur les 40 Days for Life, le fut dans le National Catholic Register des États-Unis. Cet article a incité des catholiques dans tout le pays à soutenir et à participer aux 40 Days for Life. Des dizaines et des dizaines d’évêques, d’archevêques et de cardinaux américains ont soutenu et ont participé aux 40 Days for Life. Près des trois quarts des participants aux campagnes des 40 Days for Life sont des catholiques. C’est un grand honneur de travailler aussi étroitement avec l’Église. Quelle bénédiction que de constater que la participation enthousiaste ne cesse de croître au sein de l’Église catholique !

Comment et quand les communautés protestantes et le courant évangélique se sont-ils joints aux 40 Days for Life ?

Dès le début des 40 Days for Life, nous avons voulu qu’ils soient un effort œcuménique auquel les chrétiens de toute affiliation puissent participer. Nous souhaitions réunir des gens n’ayant pas les mêmes points de vue théologiques, mais capables d’être au coude à coude et unis dans leur engagement à parler au nom de ceux qui n’ont pas de voix. Notre conseil d’administration est composé de protestants et de catholiques. Notre équipe dirigeante est composée de catholiques, de protestants et d’évangéliques. Nous avons travaillé énergiquement à recruter des gens appartenant à différentes confessions chrétiennes. Même si la participation initiale des catholiques a été la plus rapide, du fait que l’Église catholique est depuis longtemps en tête sur la défense de la vie, nous avons eu la chance de constater une croissance significative de la participation des autres confessions chrétiennes. Elles constituent désormais une portion de la base de nos volontaires, qui se développe rapidement.

Diriez-vous que l’implication des catholiques, des protestants et des orthodoxes dans les 40 Days for Life constitue une contribution authentique et efficace au renforcement de l’œcuménisme de nos jours ?

Absolument ! Au cours des six années écoulées, j’ai visité plus de 400 villes, et j’ai constaté que catholiques, protestants, orthodoxes et chrétiens d’autres affiliations se tenaient côte à côte dans la prière, dans le travail pour sauver des vies, pour transformer les cœurs et les esprits. Ils admettent que même si nous en constituons des membres différents, nous faisons tous partie du même Corps du Christ et qu’ensemble nous pouvons changer les choses, sauver des vies, changer les cœurs et les esprits, faire fermer des cliniques d’avortement et amener la fin de l’avortement, communauté après communauté.

Regardant la décennie écoulée des 40 Days for Life, quel sont votre meilleur et pire souvenir ?

Mon meilleur souvenir des 40 Days for Life, c’est quand j’ai pu rencontrer pour la première fois un enfant qui avait été sauvé grâce à l’une de nos campagnes. Nous menions nos campagnes depuis deux ans et demi, et l’on m’avait raconté beaucoup d’histoires d’enfants sauvés et de mères qui avaient échappé à l’avortement. Mais je n’avais encore jamais vu l’un de ces enfants. À cette époque j’avais déjà visité plus de 150 villes et je continuais à espérer rencontrer un jour un de ces enfants tout en admettant, comme Mère Teresa l’a dit, qu’on ne nous demande pas de réussir, on nous demande d’être fidèles.

Au 38e jour d’une campagne de printemps des 40 Days for Life, je me trouvais en déplacement dans le nord-est des États-Unis et je m’arrêtai à Harrisburg en Pennsylvanie. Alors que je prononçais une allocution dans un centre d’aide aux femmes enceintes, j’ai eu la chance de rencontrer une mère qui avait eu un rendez-vous pour avorter de son enfant mais qui avait changé d’idée en voyant des gens prier devant la clinique d’avortement où elle se rendait. Elle me remercia pour les campagnes des 40 Days for Life et me présenta son petit garçon prénommé Jakai. Prendre ce petit garçon dans mes bras fut un des moments les plus exceptionnels de toute ma vie. Cet évènement me fit prendre conscience combien nos efforts, nos combats et nos difficultés en valaient la peine. Je souhaite de tout mon cœur que tous ceux qui participent à ces 40 Days for Life puissent eux aussi un jour rencontrer un petit garçon ou une petite fille, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, sauvés de l’avortement grâce à leurs efforts fidèles.

Le pire souvenir, sans doute, que j’ai pu conserver de toutes ces campagnes des 40 Days for Life, c’est de voir la douleur et l’angoisse de tous ceux qui sont persécutés à cause de leur engagement dans ces campagnes. Il y avait une maman et sa fille qui dirigeaient une campagne à Providence dans le Rhode Islands. La maman se prénommait Joanne, et sa fille Eleonor. Quand je suis allé voir le lieu où se déroulait leur campagne, elles m’ont dit qu’elles n’avaient pas constaté que leurs efforts eussent servi à quelque chose. Elles étaient constamment harcelées et persécutées. Les employés de la clinique d’avortement leur crachaient dessus et se moquaient d’elles. Des gens qui passaient en voiture leur criaient des obscénités. Elles n’étaient pas du tout sûres que ce qu’elles faisaient avait une quelconque efficacité.

Après la fin de leur campagne, et après avoir beaucoup prié pour elles et avec elles, j’ai compris quel fardeau ce fut pour elles de continuer ce travail. Puis j’ai reçu un appel téléphonique de leur part. Un curé local les avait contactées pour leur dire qu’un jeune couple qui s’était rendu à cette clinique d’avortement avait changé d’avis en les voyant prier et avait décidé de ne pas avorter de leur enfant. Ce couple n’avait jamais dit à Joanne et Eleonor, en quittant la clinique d’avortement, pourquoi il l’avait quittée et ce qu’il était venu y faire. Ce couple donnera naissance à un petit garçon prénommé Robert, et il envoya au curé l’image de l’écographie de ce bébé à naître, photo que le curé fit suivre à Joanne et Eleonor. Ainsi ce n’est qu’après cette terrible lutte, et sachant que la mère et la fille avaient consacré tant de temps et d’énergie et ne récoltaient apparemment rien d’autre que persécution et harcèlements, que leur foi fut rétribuée par l’histoire de ce petit garçon dont la vie avait été sauvée parce qu’elles étaient demeurées fidèles. On constate ainsi que même des frustrations, des difficultés et des combats peuvent parfois avoir une issue heureuse.

La menace contre la vie des enfants à naître étant mondiale, pensez-vous que le mouvement pro-vie doive lui aussi être international ?

Sans l’ombre d’un doute. Le mouvement pro-vie doit être mondial dans son étendue et sa convergence. L’avortement est la cause numéro un de mortalité dans le monde, il tue plus de vies que les maladies cardiovasculaires, le cancer, le sida, la faim ou toute autre cause. Pour combattre cette crise, nous devons mener cette lutte ensemble, nous devons nous mobiliser indépendamment des divisions entre nations, langues ou cultures, nous devons tous travailler ensemble pour faire admettre que la vie d’un enfant est sacrée aux yeux de Dieu et mérite d’être protégée.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez suscité des vigiles des 40 Days for Life en dehors du territoire des États-Unis ?

Bien que nous n’ayons pas activement promu le lancement des campagnes des 40 Days for Life hors des États-Unis, nous sommes très ouverts au fait que les 40 Days for Life s’étendent partout où Dieu ménage une ouverture. Nous ne sommes pas polyglottes dans notre équipe des 40 Days for Life et donc nous dépendons toujours de personnes capables de traduire notre matériel d’entraînement en d’autres langues que l’anglais. Des personnes d’autres nations se sont adressées à nous pour organiser des 40 Days for Life dans leurs pays. C’est pourquoi cela se développe désormais si rapidement. 21 pays différents ont déjà mené des campagnes des 40 Days for Life. La prochaine campagne, qui sera lancée le 5 mars, verra des campagnes menées dans de nouveaux pays, après tous ceux qui y ont déjà participé dans le passé : Croatie, République du Congo et Nouvelle-Zélande.

Vous étiez parmi les invités d’honneur de la Marche pour la Vie qui s’est déroulée à Paris à l’appel de En Marche pour la Vie, le 19 janvier dernier. Qu’en avez-vous pensé ?

Cette Marche pour la Vie française m’a énormément encouragé ! Voir plus de 40 000 personnes (selon les organisateurs, ndlr), dévouées, descendre dans la rue pour défendre l’enfant à naître et défendre leurs mamans, est grandement encourageant. Au milieu d’une situation politique très difficile en France, des gens prennent conscience qu’ils ne peuvent pas compter sur le gouvernement pour résoudre la crise de l’avortement. C’est à eux d’être la voix de ceux qui n’ont pas de voix. Je suis rentré de ce voyage plus inspiré que jamais. Dès mon retour aux États-Unis, j’ai raconté aux Américains, partout dans mon pays, mes expériences chez vous lors de cette Marche pour la Vie, et cela a redynamisé les Américains engagés dans le mouvement pro-vie. Ils constatent que les Français savent se mobiliser et changer les choses même dans un climat politique très difficile : nous devons faire de même aux États-Unis. Je pense que la Marche pour la Vie de Paris a démontré l’importance de travailler ensemble, de s’encourager les uns les autres et aussi de se mobiliser avec une seule voix pour les enfants à naître, leurs mamans et leurs papas.

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