Feuilleton de l’été : Burkini, beaucoup de bruit pour rien?

Publié le 08 Sep 2016
Feuilleton de l’été : Burkini, beaucoup de bruit pour rien? L'Homme Nouveau

Après l’égorgement du Père Hamel par de jeunes islamistes, le climat estival aura été empoisonné par l’apparition des burkinis sur les plages françaises et la décision de les interdire prise par certaines municipalités avant que ces arrêtés soient invalidés par le Conseil d’État. Mais d’où vient le burkini ? Quelle est exactement sa place dans l’islam ? Pourquoi les féministes sont-elles étrangement divisées dès qu’il s’agit de l’islam ? Une question d’habillement devenue une affaire politique et qui révèle également le regard que l’islam et le monde moderne posent sur la femme…

Liberté, égalité, burkini…
Le féminisme éclaté

Par Raphaëlle Lespinas

Aheda Zanetti, une Australienne d’origine libanaise, créait en 2004 le désormais célèbre burkini, cet habit de bain couvrant l’ensemble du corps et des cheveux, permettant aux femmes musulmanes d’aller à la plage tout en respectant les règles vestimentaires imposées par leur religion. Avec, officiellement, plus de 4 millions de musulmans pratiquants recensés en France, il était clair que ce qui ressemble finalement à une espèce de combinaison de plongée allait progressivement fleurir sur nos plages.

Mais mi-août, dans le contexte d’attaques terroristes et de débat sur la laïcité que l’on connaît, une polémique a éclaté. Lionnel Luca, maire de Villeneuve-Loubet, avait déposé un arrêté « anti-burkini » en vigueur sur toutes les plages de sa commune et une trentaine d’élus, à sa suite, avaient pris les mêmes dispositions. Validé par le tribunal administratif de Nice, l’arrêté de Villeneuve-Loubet a pourtant été suspendu le 26 août dernier par le Conseil ­d’État… laquelle instance avait été sommée de se prononcer par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF). Le Conseil a estimé que l’arrêté a « porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».

Au fond, rien de nouveau sous le soleil, la France est friande de ces débats autour de l’islam et ce n’est pas la première fois que l’habit des femmes musulmanes divise le gouvernement, les associations, les médias et le peuple français lui-même. Un débat qui n’est jamais clos et qui rejaillit donc régulièrement puisque la France est incapable d’y apporter une réponse claire et efficace. Jusqu’à présent ce sont le voile et la burka qui étaient le plus souvent en cause mais cette fois, la saison estivale a permis au burkini de connaître son heure de gloire. Ce dimanche 28 août, on a même vu sur la plage des Dames dans le Finistère, une trentaine de Bretons se baignant vêtus des pieds à la tête par « solidarité » avec les musulmanes visées par la polémique…

Une fracture

Et ce débat sur le port d’un habit à portée religieuse, qui tel le phénix renaît éternellement de ses cendres, manifeste à chaque fois la fracture qui divise le féminisme. Car évidemment, les nombreuses associations féministes qui grouillent en France se sentent toujours investies d’une mission de salut public dès qu’une affaire touche les femmes. Les militantes sont parfaitement d’accord sur le droit à l’avortement, elles détestent unanimement une société qu’elles jugent patriarcale, veulent toutes faire ce qu’elles veulent de leur corps et s’acharnent de concert contre la famille. En revanche, elles ne voient pas toutes du même œil le port du voile ou du burkini.

Bien sûr, une féministe digne de ce nom estime toujours que les femmes sont victimes des hommes, que les femmes musulmanes sont toujours victimes de racisme, que la laïcité est une valeur fondamentale de la République et que tout le monde – mais surtout les femmes – doit jouir d’une absolue liberté (liberté qui, étant prétendument absolue, devient de facto une forme de licence dénuée de toute portée morale). Mais il est parfois difficile de concilier tous ces principes et voilà donc qu’il faut parfois en tenir un pour plus important que l’autre.

Il y a donc, d’une part, les féministes qui voient dans le vêtement des femmes musulmanes un signe évident de domination masculine et une atteinte grave à la laïcité. Pour elles, donc, il faudrait empêcher les femmes de porter le burkini, dans lequel elles voient un signe de « servitude volon­taire », selon la formule de La Boétie, servitude dont il faut libérer les musulmanes avec elles ou malgré elles. Cela sans toutefois oublier de ne pas être raciste et en considérant bien que les hommes en général et les politiciens en particulier sont coupables.

La liberté au-dessus de la laïcité

Il y a, d’autre part, les féministes qui font passer la liberté au-dessus de la laïcité et qui, quoi qu’elles pensent du burkini ou du voile, jugent que l’on ne peut interdire aux femmes le port de tel ou tel vêtement. Un choix douloureux pour ces militantes, puisque réclamer la liberté absolue des femmes, c’est donc accepter qu’elles puissent user de cette liberté pour porter un vêtement symbole de domination masculine et d’appartenance religieuse. C’est l’esprit, par exemple, d’un communiqué publié le 24 août dernier par l’association « Osez le féminisme ! », qui écrit notamment que « les femmes de confession musulmane sont les grandes perdantes, victimes d’actes d’humiliation, sur fond de racisme et de sexisme, depuis plusieurs jours sur les plages françaises » et que la présidente de l’association, Caroline De Haas, complète ainsi : « Je ne veux jamais être du ­côté des agresseurs. Quoi que je pense de ce que fait une femme à côté de moi, je ne peux pas décider pour elle. »

Il faut donc imaginer, sur une plage ensoleillée, une « femme libérée » en bikini, fière de pouvoir s’exhiber si peu vêtue, et contemplant avec un mélange de pitié et de supériorité la musulmane en burkini qui ne peut pas bronzer à côté d’elle, parce qu’elle n’est pas encore libérée de la double domination de l’homme et de la religion. Mais ce que la féministe fière de son bikini a oublié, c’est que son combat pour que son corps lui appartienne relève d’un même rapport déséquilibré à soi-même et à l’autre et que la laïcité poussée à l’extrême en devient une forme de religion.

Le bikini et le burkini sont tous les deux symboles d’un corps féminin réduit à son aspect sexuel, d’un corps qui attire le regard et suscite le désir. La femme musulmane choisit (ou accepte à coups de fouet) de cacher son corps pour qu’il ne suscite aucune pensée impure. La femme libérée le montre presque intégralement parce qu’elle se dit sexuellement libérée, parce qu’elle assume son corps. « Le corps ce n’est pas sale, et puis nous sommes toutes faites pareils », dit la féministe qui veut pouvoir s’exhiber. Parce que la féministe est bien de son temps, elle vit à l’ère de la « transparence ». C’est l’idée que tout ce qui n’est pas « sale » doit pouvoir être montré. C’est l’abandon de toute intimité et de toute décence, assimilées à de la pudibonderie. Quand le corps de la femme musulmane est l’objet de la domination masculine, le corps de la féministe est l’outil de sa libération par rapport aux hommes… Bikini ou burkini, au fond, révèlent tous deux un rapport conflictuel à l’homme.

Le corps, fenêtre de l’âme

Le corps, dans une vision chrétienne, est bien plus que cela. Il est beau car créé par Dieu, et, fenêtre de l’âme, il est la partie visible de la personne. Une personne sexuée, qui n’est pas seulement un animal capable de se nourrir et de se reproduire mais aussi capable d’une vie intellectuelle et spirituelle. Le vêtement, au-delà de sa fonction purement pratique de protection du froid ou autre, doit mettre le corps en valeur en tant qu’il est celui d’une personne humaine. Il doit ni le cacher comme s’il était sale ou honteux, ni le surexposer comme si la personne s’y réduisait et au mépris de toute intimité. Cette mesure dans le rapport au corps, dans ce que l’on en montre et la façon dont on le couvre (ou le découvre), c’est la décence. La question dépasse celle de la quantité de tissu que l’on porte, mais invite davantage à se demander ce que l’on veut dire et montrer de soi lorsque l’on s’habille.

Une nouveauté conforme à l’islam ?

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Apparu en 2004, le maillot de bain pour musulmanes souhaitant respecter la loi islamique répond-il réellement aux critères du Coran ? Les avis divergent… Par Annie Laurent

Après le hidjab (foulard serré sur les cheveux, les oreilles et le cou), puis le niqab et la burqa (voile intégral, couvrant tout le corps, y compris le visage), voici la France confrontée au burkini. Le nom de ce maillot de bain confectionné dans un tissu synthétique élastique, facile à sécher, vient de la contraction des mots burqa et bikini. Le plus souvent, il est composé d’au moins deux pièces, un pantalon et une tunique à manches courtes ou longues, parfois complétées par une capuche pouvant couvrir la tête et le cou, le visage restant découvert. Un nombre croissant de musulmanes revêt cette tenue pour se rendre à la plage ou à la piscine.

Le burkini est une invention récente qui remonte à 2004. Sa créatrice, Aheda Zanetti, une Australienne d’origine libanaise, musulmane épouse d’un Grec, l’a d’abord cousu elle-même pour un petit cercle d’acheteuses dans son entourage. Elle en a ensuite élargi la commercialisation, fondant pour cela la société Ahiida, qui diffuse aussi sa production dans des magasins sans référence islamique, comme Marks & Spencer. Depuis 2008, date à laquelle l’Union européenne a accordé une protection juridique à la marque Burqini, Aheda Zanetti assure avoir vendu 700 000 maillots islamiques à travers le monde, comme elle l’a déclaré au quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour du 19 août, précisant que « ces trois derniers mois, les ventes en France ont augmenté de 40 % ».

Avant de proposer le burkini à la vente, sa créatrice a demandé et obtenu une fatoua (avis religieux) attestant sa conformité avec la charia (loi islamique). Ce certificat lui a été délivré par le cheikh Taj Aldin El-Hilali, alors grand mufti d’Australie et coutumier de déclarations polémiques sur les femmes. La licéité et la légitimité de ce costume ne font cependant pas consensus dans le monde musulman. Ainsi, au Maghreb, où le port du burkini se répand comme partout ailleurs, ce qui suscite de vifs débats, il est interdit sur certaines plages ou piscines publiques. En France aussi, les avis divergent. Les salafistes le jugent « impudique » car, mouillé, il fait ressortir les formes. Quant au Conseil français du Culte musulman, sans se prononcer sur le fond, il revendique une liberté totale de porter cette tenue, au nom du respect des consciences, récusant toute association avec l’islam radical.

Le regard sur la femme

Cependant, si aucun texte sacré islamique ne mentionne le burkini – nouveauté oblige –, celui-ci, comme tous les styles de « voiles », ne peut se réduire à une prescription religieuse. Il correspond aussi, et de manière inséparable, au regard que la culture mahométane porte sur les femmes et sur leur place dans la société. Pour Leïla Babès, sociologue française d’origine algérienne, « le mot d’ordre est le suivant : le corps de la femme est objet de désir sexuel, elle doit donc le voiler pour assurer la tranquillité des hommes » (Le voile démystifié, Bayard, 2004, indisponible). En fait, le burkini permet aux femmes de se mêler aux baigneurs, musulmans ou non, ce que la prohibition de toute mixité entre adultes empêche autrement. C’est pourquoi il est parfois présenté comme un progrès au bénéfice des femmes.

Son développement actuel a aussi un sens politique. Symbole d’affirmation identitaire, il est au service d’une stratégie conquérante qui se nourrit des faiblesses de la civilisation européenne et de son ignorance de l’Islam. « Ne soyons pas naïfs : le voile est un étendard de l’islamisme ! », déplorait récemment un Français d’origine algérienne, Rafik Smati, président du mouvement Objectif France (Site Nouvelles de France, 27 avril 2016).

Fausse polémique autour d’un tissu

Islamologue, Olivier Hanne nous éclaire sur la polémique de l’été : le burkini. Montrant combien cette discussion est illusoire quel que soit le côté par lequel on l’aborde, il appelle à chercher au-delà de l’avis du Conseil d’État de vraies solutions. Propos recueillis par Azur Guirec

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La femme peut-elle selon le droit islamique se baigner en public ?

Olivier Hanne : L’islam est une religion basée sur la purification. La purification extérieure est nécessaire pour rendre compte de la purification intérieure, d’où un grand sens de l’hygiène. L’islam n’est donc pas par nature contre la plage ou la piscine, mais à condition d’une séparation avec les hommes, et même avec le mari pendant les règles : la baignade n’est que permise sur des plages ou dans des piscines réservées aux femmes. Dans la tradition du Coran, jamais une femme ne peut se retrouver en présence d’un homme non membre de sa famille dans une situation qui pourrait susciter de la convoitise. Elle peut aller à la plage avec ses enfants, son mari, son entourage très proche, mais ce n’est plus possible lorsqu’elle est réglée, car l’impureté se transmettra à son entourage.

Le problème s’intensifie pour les lieux publics. Les hommes pratiquants musulmans seront gênés de voir des femmes en maillot. En effet un musulman pratiquant n’a pas le droit de regarder une femme dans les yeux si ce n’est pas la sienne. La Sourate 33 – le prophète a fait voiler ses propres épouses – justifie l’inadéquation du maillot. La femme briserait la journée de prière des hommes qui vont l’approcher.

Que signifie donc le burkini dans la religion et la culture musulmanes ?

C’est une nouveauté dans le monde musulman, conçue dans les années quatre-vingt-dix par la République d’Iran lors des Jeux Olympiques, pour que les sportives puissent conserver leurs pratiques religieuses et exercer du sport de haut niveau (Il s’agissait alors d’une combinaison de course à pied et non d’un maillot de bain). Mais aucune règle n’existe à ce sujet dans la tradition religieuse musulmane.

Le burkini s’affirme sur les plages pour pallier les inconvénients précédemment expliqués : protection des cheveux, des bras, des jambes. Mais il ne résout pas tous les problèmes. Celui des règles demeure, et l’homme devine encore les formes de la femme. Le burkini ne peut évacuer toutes les exigences musulmanes. C’est une pure adaptation, une occidentalisation des règles de la tradition musulmane.

Une pratiquante ne portera jamais le burkini. Les sportives l’ont porté dans un cadre où la sexualité féminine était gommée, mais c’est à présent dans un cadre de loisir que les femmes le portent, ce qui est bien plus gênant.

Le burkini est fait pour des individus entre deux eaux, entre la tendance rigoriste et la tendance libérale. C’est un entre-deux pour des filles qui, sans refuser la baignade, n’en sont plus au stade du libéralisme à la française. Il participe en fait au « supermarché religieux » caractéristique de notre époque, le règne du personnel, du chacun fait comme il veut.

La polémique favorise le burkini, puisqu’il est là pour des gens hésitants, qui sont alors poussés à le choisir. Mais en fait c’est une polémique annexe, illusoire : du côté musulman, il n’est qu’une étape avant autre chose, et du côté français, on se trompe de problème, on considère le vêtement pour ne pas se focaliser sur l’islam et nos problèmes de société.

Peut-on parler d’une stratégie, d’une manœuvre de la part de l’islam ? Serait-ce un moyen de tester les réactions des pouvoirs publics ?

Il y a beaucoup de courants dans l’islam, et chacun a développé sa propre stratégie. Il s’agit donc d’une décision privée plutôt que d’une décision collective, d’une stratégie non réfléchie par les associations, d’une affaire personnelle à la base. La polémique n’est pas créée par les associations mais elles peuvent en profiter.

Il n’y a pas un islam de France mais plusieurs. Et leur objectif est d’abord de ré-islamiser les anciens musulmans. Des polémiques comme celles-là permettent à des jeunes musulmanes de se dire « assez, je vais mettre un burkini ».

Le Conseil d’État a finalement mis un terme aux arrêtés « anti-burkini » : permettre le burkini sur les plages françaises vous semble-t-il la réaction adaptée ?

Le grand problème c’est que l’on ne traite jamais le débat de fond, qui comporte un rapport spécial à la femme, à la pratique religieuse, aux rites de purification. La République gênée réagit comme face au catholicisme, en exigeant l’intériorisation de la religion et son rejet de l’espace public : prendre sa distance avec le Coran, intérioriser ses rituels. Mais l’intériorité se nourrissant d’extériorité, c’est impossible pour l’islam. L’État se trompe sans cesse quand il discute avec l’islam.

Les catholiques sont les seuls à l’avoir compris : le Pape considère les musulmans dans le respect de leur foi et avec charité, mais sans concession, rappelant le principe de réciprocité dans les relations mutuelles.

Comment la France pourrait-elle traiter ce débat de fond ?

J’envisage trois voies :

– Accentuer les exigences de type républicain, par un refus total du religieux quel qu’il soit dans le cadre public, et accentuer ce cadre laïque par la loi (c’est la tendance Hollande mais mal assumée). Mais les catholiques seront alors victimes d’un courant qu’ils n’ont pas provoqué.

– S’adapter, par un système légal comme celui connu dans l’Algérie coloniale. L’islam ne posait aucun problème, il était intégré, en maintenant une certaine séparation. Mais la France ne pourrait aujourd’hui s’empêcher de déraper vers un communautarisme de type américain.

– Réaffirmer son identité française culturelle catholique et historique, et pas seulement républicaine. Mais de cela, nous sommes loin…

Finalement, la réaction d’aujourd’hui ne règle aucun problème. Elle se veut légale, mais ne résout rien : l’État français répond par le droit et des positions juridiques à un problème qui relève de la définition même de l’islam. Le décalage est complet. Mais le rôle du Conseil d’État n’étant pas de trancher ce sujet, ne jouant pas un rôle sociétal ou politique, il faut donc limiter la portée de cet avis.

Pour aller plus loin : Adieu au féminisme

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Deux ouvrages récents sur le féminisme éclairent les contradictions des héritières de Simone de Beauvoir et Judith Butler comme de cette société libérale-libertaire laxiste qui engendrent et autorisent tous les excès des plus progressistes aux plus rétrogrades. Par Raphaëlle Lespinas

Une presse féminine qui réduit la femme à sa carte bleue et ne la croit pas capable de réfléchir à autre chose qu’à la couleur de son vernis à ongle. La réforme du congé parental qui réduit à deux mois et demi la présence de la mère auprès de son enfant. La détestation de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à de la galanterie – ce comble du machisme ! La demande de suppression du terme, discriminant paraît-il, de mademoiselle dans les formulaires administratifs…

Empêtré dans ses contradictions

Le féminisme irrigue la culture dominante et inspire les décisions politiques en empruntant à Karl Marx le concept de lutte des classes pour mettre en lumière un rapport de domination de l’homme sur la femme. Le féminisme a connu ses heures de gloire mais Gabrielle Cluzel lui prédit une fin toute proche. C’est qu’il s’empêtre dans ses contradictions, n’ayant plus d’autre finalité que sa propre survie. Des contradictions également dénoncées par Eugénie Bastié qui livre d’intéressantes observations sur les différentes chapelles qui coexistent tant bien que mal au sein du féminisme. Elle est bien loin l’époque où toutes les ennemies du « patriarcat occidental » défilaient sous la même bannière « Un enfant si je veux, quand je veux ».

Aujourd’hui, il est des féministes qui se battent pour la Gestation pour autrui (GPA) quand d’autres y voient la marchandisation honteuse du corps de la femme. Il est des féministes qui se battent pour que les femmes musulmanes puissent porter le voile ou le burkini si tel est leur choix tandis que d’autres y voient un signe insupportable de soumission… La libération de la femme voulue par Simone de Beauvoir et ses filles spirituelles est à elle-même un véritable paradoxe : une libération imposée aux femmes, priées de se défaire du carcan imposé par la société occidentale, de travailler, de ne pas être mère au détriment de leur travail, de consommer sans réfléchir les vêtements et cosmétiques vantés par la presse féminine, de voir dans l’industrie pornographique qui les présente comme des objets sexuels une avancée formidable contre le puritanisme porté par le christianisme et de s’offusquer qu’un homme puisse sous-entendre qu’elles sont faibles si d’aventure il leur tenait la porte ou portait leur valise.

Le féminisme à la française, porté par des femmes comme l’ex-ministre des droits des femmes Najat Vallaud-­Belkacem, est une constante et périlleuse acrobatie intellectuelle. Il se nourrit d’abord de l’idée que la femme ploie sous une domination masculine dont elle doit à tout prix se libérer et se faire déménageur s’il le faut pourvu ­qu’elle puisse prétendre être l’égale de l’homme. Le féminisme se nourrit ensuite de la théorie du Gender qui voudrait présenter comme insignifiante la différence biologique entre homme et femme pour que chaque individu se définisse comme il l’entend. Bref, être féministe aujourd’hui, c’est ­dire en ­même temps que féminin et masculin ne sont que constructions sociales et que la femme doit se hisser enfin à la place qui lui est due dans la société, c’est prétendre que la différence sexuelle n’existe pas tout en la brandissant pour dénoncer une ignoble domination de l’homme sur la femme.

Les femmes… oubliées

Mais le féminisme d’aujourd’hui, c’est surtout l’oubli des souffrances réelles des femmes, aussi bien dénoncé par Gabrielle Cluzel que par Eugénie Bastié. Quelles féministes ont élevé la voix pour défendre la cause d’Asia Bibi, cette mère de famille pakistanaise et chrétienne, condamnée à mort pour un prétendu blasphème ? Quelles féministes ont élevé la voix lorsque des scandales causés par la pilule de troisième génération ont éclaté, révélant ­qu’elle était à l’origine de plusieurs accidents vasculaires cérébraux ? Non, les féministes sont trop occupées à faire signer des pétitions contre l’usage du mot « mademoiselle » ou à créer des sites internet pour dénoncer les publicités machistes…

Être une vraie femme plutôt qu’une féministe, travailler à une humanité réconciliée et non pas opposée entre les deux sexes, oser dénoncer les vraies injustices que l’on fait subir aux femmes et ne pas être dupes d’un féminisme à bout de souffle : voilà l’ambition de Gabrielle Cluzel et Eugénie Bastié, deux auteurs qui ne feront certainement pas de scandale parce qu’on ne les appelle pas « auteure » et qui méritent d’être lues.

Gabrielle Cluzel, Adieu Simone !, Éditions du Centurion, 130 p., 11,90 €.

Eugénie Bastié, Adieu mademoiselle, Éditions du Cerf, 226 p., 19 €.

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