Fondation Raoul Follereau : « Notre mission va bien au-delà du traitement médical »

Publié le 21 Jan 2025
Fondation Raoul Follereau
La Journée mondiale des malades de la lèpre, créée par Raoul Follereau en 1954, aura lieu cette année les 24, 25 et 26 janvier. Depuis 1968, la Fondation Raoul Follereau dépiste et traite les personnes atteintes de la lèpre, et les accompagne dans leur réinsertion sociale et économique. Marie-Bénédicte Loze, directrice des Projets adjointe de la Fondation Raoul Follereau, a répondu à nos questions.

 

| Quels sont vos projets prioritaires pour 2025 ?

Pour cette année 2025, nous continuons à mener des actions de dépistage, de traitement et d’accompagnement des malades de la lèpre, tout en soutenant les soignants. En 2024, nous avons concentré nos efforts sur le district de Gagnoa, en Côte d’Ivoire, où nous avons identifié 175 nouveaux cas de lèpre, alors que seulement un petit nombre était initialement répertorié. Cette campagne a permis de dépister non seulement les malades visibles, mais aussi leur entourage proche, souvent porteur de la bactérie sans le savoir.

Cette année, nous souhaitons étendre ces initiatives à d’autres zones comme Daloa et Bouaké, toujours en Côte d’Ivoire, en partenariat avec le ministère de la Santé via le Programme national de lutte contre la lèpre. Notre approche consiste à cibler des zones où au moins un cas a été détecté, puis à dépister toute la population de ces localités.

Par ailleurs, nous accompagnons les malades dans leur réinsertion sociale et économique en soutenant des projets générateurs de revenus, essentiels pour leur redonner une vie digne.


| Quelles sont les urgences actuelles dans votre combat contre la lèpre ?

L’urgence principale est de dépister les cas le plus tôt possible. Trop souvent, les malades arrivent dans les centres de santé à un stade avancé, avec des handicaps déjà irréversibles, comme des déformations des mains ou des pieds. Ce diagnostic tardif est souvent lié à l’éloignement des populations des structures médicales ou à la stigmatisation qui entoure encore cette maladie.

Un autre défi majeur est la durée du traitement, qui peut aller de six mois à un an. Beaucoup de patients interrompent leur prise en charge, soit à cause des contraintes économiques, soit parce qu’ils vivent dans des zones difficiles d’accès. Les déplacements liés aux dérèglements climatiques, comme les inondations, rendent également le suivi complexe.

Nous avons aussi constaté des cas d’adolescents atteints, arrivés trop tard pour éviter des séquelles irréversibles. Ces situations rappellent l’importance de sensibiliser les familles et les communautés. L’enjeu est de garantir un suivi rigoureux et de ne perdre aucun malade de vue.


| Comment expliquez-vous que la lèpre reste un défi mondial, malgré les progrès de la médecine ?

La lèpre persiste pour plusieurs raisons. La bactérie responsable nécessite une exposition prolongée pour infecter une personne. Cela explique pourquoi la transmission se fait souvent au sein de l’entourage familial, où les contacts étroits sont fréquents. La longue période d’incubation, pouvant aller jusqu’à 10 ans, complique encore le dépistage.

Un autre défi est lié à la stigmatisation de la maladie. Beaucoup de malades n’osent pas consulter de peur d’être rejetés ou isolés. En conséquence, la maladie reste silencieuse et continue de se propager.

Par ailleurs, la durée des traitements est un obstacle. Lorsqu’un patient interrompt son traitement, il reste contagieux. Dans certains cas, une seule personne non diagnostiquée a pu transmettre la maladie à des dizaines d’autres sur plusieurs années.

Pour en finir avec la lèpre, il est essentiel de briser les chaînes de transmission en identifiant rapidement les cas dans les cercles familiaux. Le développement de traitements plus courts et d’un vaccin représente également une priorité pour les années à venir.


| Pourquoi avez-vous choisi de mettre en avant le Tchad dans votre campagne 2025 ?

Le Tchad est l’un des pays prioritaires pour la Fondation Raoul Follereau. La lèpre y reste très présente, et les conditions de vie difficiles aggravent les conséquences de la maladie. Par exemple, dans les zones reculées, de nombreuses personnes marchent pieds nus, ce qui, combiné à une perte de sensibilité des nerfs due à la maladie, favorise les blessures et les infections. Ces blessures si elles ne sont pas soignées, peuvent aboutir à des amputations.

Nous travaillons en étroite collaboration avec un médecin tchadien engagé et le ministère de la Santé. Nous avons également rencontré des cas emblématiques, comme celui de Gisèle, une jeune fille de 15 ans dont les mains et les pieds ont été déformés par la maladie, aggravant ses perspectives.

Malgré ces défis, le Tchad symbolise aussi l’espoir. Nous y avons vu des malades pris en charge rapidement, qui ont pu guérir sans séquelles. Cela montre que des solutions existent, mais elles nécessitent des moyens, de la sensibilisation et une mobilisation constante.


| Quelles sont les victoires de votre fondation depuis sa création en 1968 ?

La Fondation Raoul Follereau a accompli de nombreuses victoires, qu’il s’agisse de sauver des vies, de restaurer la dignité des malades ou de transformer des communautés. Chaque vie sauvée à temps est une victoire en soi, car cela évite non seulement des souffrances inutiles, mais aussi le rejet social souvent associé à la maladie.

En 2025, nous mettons particulièrement l’accent sur le soutien psychologique et la réinsertion sociale des anciens malades. Notre objectif est de les aider à retrouver l’estime d’eux-mêmes et une place au sein de leur famille et de leur communauté. Nous proposons des formations pour apprendre un métier et soutenons des projets générateurs de revenus, permettant aux anciens malades de reconstruire leur vie avec dignité.

Un exemple marquant est celui de nos actions au Bénin. Nous accompagnons des malades guéris dans leur retour à la vie sociale en travaillant avec leurs communautés pour lever les stigmates. Il est parfois aussi simple que de serrer la main d’un ancien malade ou de reconstruire sa maison pour initier un changement.

J’ai été témoin d’un village entier se mobilisant pour aider à rebâtir la maison d’un ancien malade. Cela n’aurait jamais été envisageable sans nos actions de sensibilisation et de solidarité. Ces gestes, aussi simples qu’ils paraissent, redonnent espoir et changent des vies.

Un autre exemple inspirant vient de Madagascar, avec Maurice, un ancien malade. Malgré les obstacles, il est devenu infirmier, une première dans sa famille où personne n’avait jamais obtenu le baccalauréat. Son parcours illustre à quel point il est possible de surmonter la stigmatisation et de transformer une tragédie personnelle en une vocation porteuse d’espoir.

Ces victoires, petites et grandes, montrent que notre mission va bien au-delà du traitement médical. Elle consiste à rendre aux malades et à leurs familles une dignité et une autonomie. Voir des sourires revenir sur leurs visages et des communautés se reconstruire autour de ces valeurs est pour nous une immense source de joie et de motivation pour continuer ce combat.

 

>> à lire également : Le liban est-il entré en pré-convalescence ?

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneInternational

Bras de fer entre Donald Trump et le pape François ?

Le cardinal Robert McElroy, 70 ans, hostile au nouveau président américain, a été nommé ce 6 janvier archevêque de Washington, tandis que Brian Burch, 48 ans, directeur de CatholicVote, qui s’est battu pour le retour de Donald Trump au pouvoir, devrait devenir le nouvel ambassadeur de la Maison Blanche auprès du Saint-Siège. Deux nominations contradictoires qui se répondent ?

+

trump François