François Mitterrand, l’apostat

Publié le 18 Jan 2016
François Mitterrand, l'apostat L'Homme Nouveau

Alors que certains lui rendent hommage à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, en quoi François Mitterrand peut-il être un sujet de réflexion en ce début d’année ? Né il y a précisément cent ans, l’année de Verdun, dans une famille catholique et patriotique, il appartient à la génération qui a vécu la Seconde Guerre et a participé à la formation du nouveau monde qui en est issu. On peut dès lors considérer sa vie et sa personne comme une figure de la destinée de la France au XXe siècle.

De nombreux biographes ou journalistes se plaisent à pointer du doigt la complexité de François Mitterrand pour ne pas dire son opacité. La longévité et la sinuosité de sa vie politique (il a été ministre à 30 ans) en ont fait l’incarnation de l’équivoque, voire même du mystère.

Soucieux de son image

Lui-même avec un soin constant s’est attaché à brouiller les pistes et à se sculpter un personnage historique. Or comme le dit avec sévérité mais je crois justesse Paul Yonnet dans le probablement meilleur livre qui lui ait été consacré (1) : « Mitterrand n’est ni un créatif ni un croyant ni un visionnaire ; il épouse son siècle, s’y glisse comme une anguille ou s’y accroche et le parasite. Il ne le devance ni ne lui imprime une forte marque. » Ainsi il fut maréchaliste au début de la guerre, puis résistant à partir de 1943 tout en gardant des liens avec Vichy. Élu député par les voix de la droite en 1946, il siège au centre gauche. Onze fois ministre sous la IVe République, il est comme beaucoup pour le maintien de l’Algérie dans l’Union française et s’y emploie comme ministre de l’Intérieur et de la Justice. Son antigaullisme, peut-être la seule constante de sa vie publique, nourrit son refus des institutions de la Ve République, dont il usera avec délectation plus tard quitte à en changer l’esprit. Plusieurs fois donné pour mort politiquement (après le faux attentat de l’Observatoire et Mai 68), il rebondit pour finir par se faire élire chef d’un parti dont il n’était pas membre ! Enfin, élu grâce au soutien des communistes sur un programme de rupture avec le capitalisme, il est l’artisan majeur de la libéralisation économique des années quatre-vingt et des transferts de souveraineté au profit de l’Europe.

En quoi Mitterrand est-il révélateur de la crise de civilisation que notre pays traverse et en quoi peut-il nous éclairer a posteriori sur les moyens personnels et collectifs pour la traverser ? Jean-Pierre Chevènement a reçu cette confidence de Mitterrand en avril 1979 : « La France ne peut plus, hélas, à notre époque que passer à travers les gouttes ». Ce que la France avait réalisé en 14-18 représentait l’ultime mobilisation de ses énergies mais la réalité de son déclassement démographique (2) et de son épuisement moral ne pouvait être plus longtemps occultée. Voilà ce que les années trente et le désastre de 1940 signifient. Cette conscience que la France n’est plus une grande puissance est le fil conducteur de l’attitude politique de Mitterrand. Il s’agit dès lors de composer, de s’adapter, de « sauver les meubles » en effectuant cette « transsubstantiation » des nations dans l’Union européenne. C’est ce que son ancien ministre appelle son « pari pascalien » : « À côté de la misère des nations telle que les deux guerres mondiales l’avaient révélée, l’Europe apparaissait comme Dieu chez Pascal, “une infinité de vie infiniment humaine à gagner”. Il conforta la téléologie de l’Europe : une finalité supérieure dispense de s’interroger sur les maux qu’elle fait endurer pour y parvenir. L’Europe est aux nations ce que l’infini est au fini. » (3) Il y a bien sûr une raison politicienne à cette conversion tardive de Mitterrand à l’Europe supranationale : trouver un substitut à l’échec du socialisme. Il y a aussi en réponse à la peur de la réunification de l’Allemagne, la tentative de l’arrimer et de la contenir dans une union européenne.

Mais ce deuil de la destinée singulière de la France est surtout la manifestation d’une perte du sens de sa vocation. Alors que Mitterrand connaissait parfaitement Michelet, Péguy, Barrès, alors qu’il avait un sens indéniable de la « France racinée », il n’a pas été fidèle à ce que cette tradition indiquait. Or comme le disait De Gaulle à Philippe Barrès (fils du précédent, ayant rallié Londres en 1940) : « Pour un peuple, la plus sûre étoile dans la tempête, c’est la fidélité à sa vocation. » (4)

Oublieux de l’âme de la France

Pour regarder la France ainsi, il faut être doué de réalisme spirituel voire surnaturel. Or Mitterrand tout attaché à la construction de sa stature individuelle, toute à son ambition politicienne, capable pour ce faire des mensonges les plus éhontés, a perdu ce qui dans sa formation initiale aurait pu lui permettre de considérer l’âme de la France. Homme de grande culture française, il avait cependant perdu ce qui permet d’en saisir le cœur, la foi catholique. Il ne m’appartient pas d’entrer dans l’intimité de son itinéraire spirituel mais il convient de constater que Mitterrand est le symbole de l’apostasie d’une frange importante des classes moyennes françaises. Son amoralisme et son cynisme légendaires sont le signe du refus agnostique de recevoir le réel et sa propre vie comme un don de Dieu auquel il faudra répondre. Pour éviter que la France ne devienne toujours davantage une grande « paroisse morte » décrite par Bernanos dans Monsieur Ouine, il est urgent de retrouver le chemin du Cœur divin où sa vocation est in­scrite.

1. François Mitterrand le Phénix, Éd. de Fallois, 2003, p. 42.
2. Il ne faut pas oublier que l’effondrement démographique (dû au malthusianisme) de la France au XIXe siècle est une des causes majeures de son déclassement. Ainsi en 1750 la France, « Chine de l’Europe » comptait 24 millions d’habitants alors que le Royaume-Uni n’en comptait que 10 et la Russie 18. Voir sur ce sujet central Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupâquier (sous la direction de), Histoire des populations de l’Europe. II, La Révolution démographique, 1750-1914, Fayard, 648 p., 35 €.
3. Jean-Pierre Chevènement, La France est-elle finie ?, p. 52, Fayard, 320 p., 19,30 €.
4. Charles de Gaulle, Plon, 1944, p. 232.

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