Alors que la société actuelle a perdu ses racines et que les familles sont éclatées, la filiation telle que décrite dans la Bible est vidée de son sens. Dans l’Antiquité, la personne existe par son lien avec la famille, y compris les ancêtres. La dimension de filiation se dessine et se maintient alors par l’éducation et le respect. Elle préfigure la relation entre le Père et le Fils, et entre Dieu et les hommes.
Dans le monde du Proche-Orient ancien auquel appartient la Bible, le bien commun de la famille prévaut toujours sur le bien particulier de chacun de ses membres, et la vie terrestre d’un individu dépasse rarement le cadre de sa famille. Un homme délié n’a plus d’existence sociale et tombe inévitablement au pouvoir d’une autorité qui lui restitue un statut dans le corps collectif, mais comme esclave, conçu comme un mal moindre que l’errance. Les lois sur l’obligation de racheter un membre captif de la famille (Lv 25, 48-49), fondement de la théologie de la rédemption, trouvent là leur sens. L’être biblique a ainsi un sens tout à la fois physique, psychologique, moral, spirituel de l’appartenance à son groupe.
Le principe de toute vie en société
La relation père-fils constitue dès lors le principe de toute la vie en société et sa qualité, un baromètre de son état général. Les histoires racontées dans la Bible, avec leurs descriptions extraordinairement réalistes de la complexité des relations humaines qui se tissent sur plusieurs générations, projettent une vive lumière sur le problème de la paternité et la filiation. De nombreux récits bibliques ont pour enjeu des conflits entre pères et fils : Abraham avec Ismaël et Isaac ; Isaac avec Ésaü et Jacob ; Jacob, ses douze fils et petits-fils ; David avec Adonias et Absalom… Ces exemples illustrent de façon très vivante de quelle la manière dont les conséquences du péché se cristallisent dans la relation père-fils. Le choix du nom que les parents donnent à leur enfant est souvent déterminé par leur propre expérience présente du moment : l’enfant est enfermé dans la projection de ses parents sur lui. « Abram » signifie « le père est exalté », en référence à son père, fier d’avoir un fils, et « Saraï » signifie « ma princesse », avec sa connotation affectueuse et le suffixe possessif qui en dit toute l’ambiguïté. En modifiant le son nom, Dieu sort la personne de ce conditionnement étroit pour l’ouvrir à sa vocation divine.…