Intelligence artificielle : le cardinal Eijk exhorte l’Église à une prise de position

Publié le 27 Mai 2023
cardinal eijk

Le cardinal Eijk a récemment lancé un appel en faveur d’un positionnement officiel de l’Église concernant l’Intelligence Artificielle (IA). Reconnaissant les conséquences profondes de cette technologie émergente sur la société, le cardinal Eijk exhorte l’Église à s’engager activement dans le domaine de l’IA en fournissant une réflexion éthique et en établissant sa présence au sein de ce vaste domaine. Cette initiative marque une étape importante dans la quête d’une compréhension plus approfondie des implications morales de l’IA.

Le cardinal néerlandais a demandé en effet la prise de position officielle de l’Église quant aux IA, dans un entretien donné en mai au média CNA Deutsch.

Mgr Willem Eijk, archevêque d’Utrecht, a été créé cardinal par Benoît XVI en 2012. Médecin de formation, il avait déjà appelé l’Église à clarifier certains points de société. En 2022, il avait ainsi demandé la rédaction d’une encyclique sur le genre.

Il souligne aujourd’hui la nécessité d’examiner les effets de l’IA sur le lien social, et sur la perception de la personne humaine. L’Église doit prendre suffisamment de recul pour développer une réflexion de fond sur le sujet : « Il est difficile d’avoir une vue d’ensemble de tout ce que l’intelligence artificielle peut faire pour nous, car c’est encore un domaine peu connu. Mais les technologies de l’intelligence artificielle, comme les chatbots, peuvent aussi dire quelque chose sur les questions religieuses. » déclare-t-il au cours de l’entretien.

Le cardinal requiert aussi que l’Église soit davantage présente dans ce secteur. Il faut selon lui que les IA intègrent le fait religieux dans leurs bases de données : « La réponse du chatbot résulte d’un calcul d’intelligence artificielle. Cela signifie également que l’ajout de nombreuses informations religieuses aux chatbots peut affecter les réponses. Pour cette raison, nous devons essayer d’être présents dans le domaine de l’intelligence artificielle ».

Sur ce domaine-là, il n’est pas question pour lui de se laisser distancer : « Si nous attendons trop longtemps, d’autres auront introduit plus d’informations qui détermineront les réponses. Nous n’avons donc pas à attendre longtemps pour agir dans ce domaine. » Les réponses des IA en effet ne sont jamais neutres. Les textes qu’elles génèrent sont en réalité le fruit des présupposés qui leurs sont inculqués via les données qu’elles engrangent.

Ainsi par exemple, les IA reproduisent les biais cognitifs humains ; le forum en ligne the Future of Privacy a ainsi publié en 2017 un article[1] détaillant les difficultés causées par les divers biais algorithmique. De fait, pour une IA, il n’y a pas de différence entre un lien de corrélation et un lien de causalité, ni de prise en compte du hasard, puisqu’elle fonctionne à partir de statistiques : des statistiques biaisées entraîneront alors nécessairement une réponse biaisée. De là vient la nécessité en quelque sorte d’évangéliser les systèmes d’agents conversationnels, comme par exemple le célèbre Chat-GPT.

L’archevêque d’Utrecht a également souligné qu’« il est compréhensible d’avoir peur de son développement, car l’intelligence artificielle peut aussi avoir des conséquences très négatives pour notre société ». La question de l’IA n’affecte pas seulement l’utilisation de logiciels d’interaction, mais la question plus large de la « robotisation de notre société », et donc la perte du contact humain.

Le cardinal Eijk y voit le risque d’un nouveau transhumanisme, dans lequel les hommes peuvent être traités et perçus comme des machines. Par exemple, il rappelle que « nous avons déjà des maisons de repos où des robots livrent de la nourriture. La distribution de nourriture aux malades était aussi le moment du contact humain avec les malades, et cela s’est déjà perdu. »

Le cardinal Eijk rappelle donc la nécessité impérieuse pour l’Église d’être présente sur un sujet majeur comme celui de l’intelligence artificiel : « Cela peut changer radicalement notre société, et j’ai l’impression qu’il n’y a pas de prise de conscience, ni dans l’Église, ni dans la société, des changements profonds qui s’annoncent dans les années à venir. »  Si l’Église ne s’empare pas aujourd’hui de cette réflexion, d’autres ne vont-ils pas la mener pour elle, voire contre elle ?

Enfin, au-delà même de l’Église, les IA posent de nombreuses questions et réclament un urgent discernement sur leur utilisation. Le 29 mars dernier, 1123 grands dirigeants et experts du secteur des nouvelles technologies avaient demandé un moratoire de 6 mois sur les systèmes d’IA, mais cette demande est restée sans suite.

« Nous demandons à tous les laboratoires d’intelligence artificielle d’interrompre immédiatement, pour une durée d’au moins six mois, la formation de systèmes d’intelligence artificielle plus puissants que GPT-4 » écrivaient-ils en préambule de la lettre qu’ils ont co-signée. L’objectif visé est de se donner le temps pour une réflexion plus aboutie sur les risques, les implications et les conséquences des systèmes d’IA génératrices, plutôt que d’être emporté dans le tourbillon d’un développement exponentiel et incontrôlable.

[1] https://fpf.org/blog/unfairness-by-algorithm-distilling-the-harms-of-automated-decision-making/  Unfairness by algorithm, Future of Privacy forum, 2017

 

A lire également : Chat GPT : une invitation à mieux connaître l’intelligence

Guillemette Gruet

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