Quand j’ai crié vers le Seigneur il a écouté ma voix pour me délivrer de ceux qui
m’assiègent. Il les a humiliés, lui qui est avant les siècles et demeure éternellement.
Décharge-toi de tes soucis sur le Seigneur et lui-même prendra soin de toi.
Ô Dieu exauce ma prière et ne méprise pas ma supplication, regarde-moi et exauce-moi.
(Psaume 54, 17, 18, 19, 20, 23, 2)
Thème spirituel : la confiance, l’abandon envers Dieu
Ce chant d’entrée est tiré du psaume 54. Un beau psaume contemplatif qui contient de nombreuses perles par exemple le verset 7 : « Qui me donnera les ailes de la colombe que je puisse m’envoler et aller me reposer, fuir au loin et demeurer dans la solitude. » Le psalmiste est dans une situation assez dramatique. Il a été traqué par les méchants qui habitent la cité, il a même été trahi par un ami très cher. Et dans ce contexte d’abandon et de détresse, il se tourne vers le Seigneur, son seul espoir, sa seule assurance. C’est un psaume de confiance dans une situation humaine très pénible et même dangereuse. L’Église a fait sienne cette prière. L’Église d’aujourd’hui peut la redire, elle qui vit des situations analogues. Ne peut-on pas voir dans la trahison de l’ami l’apostasie des nations qui ont été chrétiennes et qui ne le sont plus ? Ou notre propre pays qui rejette toujours plus Dieu dans les sphères invisibles de la société comme pour l’étouffer ou au moins ne plus être dérangé par lui ? Le compositeur de ce chant d’entrée a fait de plusieurs versets de psaume un assemblage cohérent mais qui comporte des omissions par rapport au texte original. Sa mémoire l’aurait-elle trahi ? Il faut se méfier de ce genre de jugement, car les anciens avaient une mémoire souvent beaucoup plus développée que la nôtre. Alors était-ce intentionnel ? Il y a des chances, même si l’on peut estimer qu’il a omis quelques belles expressions :
Véspere et mane et merídie narrábo et annuntiábo. (Le soir, le matin, à midi, je chanterai, je publierai tes louanges)
Rédimet in pace ánimam meam. (Il rachètera mon âme dans la paix)
Quoiqu’il en soit, ce chant d’entrée, tel qu’il nous est parvenu, exprime sobrement en noblement l’idée principale de la confiance en l’intervention divine. Et ainsi la prière nous rejoint, nous redonne courage, nous emporte vers ce Dieu qui est et qui ne sera jamais, éternellement jamais déstabilisé par les agissements pervers des hommes. Il est notre abri, notre Providence, il veille sur nous comme une mère sur ses petits, qui les nourrit et sait ce qui est bon pour eux. C’est un fait avéré par toute l’histoire de la sainteté : plus on laisse faire le Seigneur dans sa vie et plus il est mis en demeure de s’occuper de nous, et plus il le fait avec une magnificence qui n’appartient qu’à lui.
Une vie donnée à Dieu c’est une vie heureuse, merveilleuse, peut-être très éprouvée mais dont Dieu peut se servir comme il lui plaît. Alors l’âme est libre. Au contraire, si on se garde soi-même, tout nous devient un obstacle, tout nous dérange et on est malheureux. Un chant comme celui-ci est une invitation à la sainteté, et aussi au bonheur. Et la mélodie va nous le redire à sa façon.
Commentaire musical
Un 3ème mode bien caractérisé
Ce chant d’entrée est composé de trois phrases musicales. Du point de vue de la modalité, on est en présence d’un 3ème mode assez bien caractérisé, reconnaissable dès l’intonation qui procède de la tonique Mi à la dominante Do en un beau jaillissement. La mélodie s’élève avec vivacité vers les hauteurs, c’est le sens de la prière qui monte au ciel. Le mot Dómine, Seigneur, est ainsi placé de façon expressive au sommet de cette première phrase. D’où on va redescendre, une fois la prière exaucée. Ce premier membre de phrase s’achève sur une cadence en Sol, donc par emprunt au 8ème mode qui est le mode de la plénitude et de la certitude. « J’ai crié vers le Seigneur et il m’a exaucé ». On peut noter la tristropha de exáudivit, cette note sur le Do qui donne de la complaisance à la certitude de l’âme. La mention des ennemis, dans le deuxième membre, avec retenue sur la cadence de Mi, est traitée de façon beaucoup plus sobre, en contraste avec la richesse mélodique du début. Leur action perverse est désignée comme en passant, par l’âme qui ne s’attarde pas à contempler le mal, la geste divine est autrement intéressante, et le début de la deuxième phrase le montre bien.
Humiliávit : il s’agit bien encore des ennemis, mais surtout de la façon dont le Seigneur s’est occupé d’eux. Il les a humiliés. Ce verbe qui exprime l’abaissement des orgueilleux est au contraire exprimé par une élévation mélodique très suggestive (Ré). La chute des grands est souvent spectaculaire et fait beaucoup de bruit. Elle révèle finalement la vraie grandeur qui est celle de Dieu, une grandeur qui ne connaît pas d’éclipse. Et la suite du chant exprime cela de façon magnifique. « Qui est ante saécula ». Les deux distropha de est et de saécula, très fermes, sur la dominante Do, se répondent. L’être de Dieu est éternel.
Et manet, là aussi, c’est tout plein d’une grande fermeté. Il y a de la noblesse sur ce verbe qui est placé tout entier sur le Do et le Ré, au sommet. La force de Dieu, l’être de Dieu est inaccessible aux menées des hommes qui se débattent et se battent sur la terre. Et pourtant Dieu n’est pas insensible à ses enfants, la troisième phrase va le souligner de façon délicieuse.
Tout s’allège
L’atmosphère de cette troisième phrase est très différente de ce qui a précédé et c’est une des grâces du 3ème mode de pouvoir jouer ainsi sur les contrastes. Ici la mélodie s’allège. On reprend un bon mouvement. Le texte est une invitation à la confiance Le psalmiste, et à travers lui l’Église, invite l’âme à jeter son fardeau, son souci, dans le Seigneur, ce Seigneur dont on vient d’affirmer l’immuabilité, la solidité, la permanence dans le bien. Alors la fluidité des neumes traduit bien cette insouciance qui résulte de l’acte d’abandon envers lui. Il faut donner ce jacta cogitátum tuum in Dómino en accelerando, notamment sur le court passage syllabique de cogitátum tuum. Le motif mélodique sur Dómino ressemble à un bel épanouissement floral, très léger, très gracieux, très aérien. Enfin, sur et ipse te enútriet, la mélodie redevient puissante, large et ferme. C’est l’assurance du secours divin, ce secours qui prend les traits pourtant d’une mère qui nourrit son petit. Mais qu’y-a-t-il de plus fort que la tendresse du sein maternel pour le petit d’homme qui se laisse ainsi porter par l’amour ? Le texte et la mélodie s’harmonisent admirablement pour manifester qu’envers l’âme qui s’abandonne, Dieu est à la fois père et mère. Dans ce passage deux mots sont soulignés : le petit te qui prend une importance étonnante. C’est l’objet de la tendresse divine (même développement dans le graduel Jacta). Et le second mot c’est enútriet, c’est à dire le verbe qui exprime l’action divine. Il y a beaucoup de complaisance sur ce mot. Les ennemis évoqués au début de la pièce sont loin, ils sont oubliés. Il n’y a plus que l’âme et son Dieu, et cet échange amoureux de confiance et de tendresse dans lequel le chant se termine. C’est une fois encore plus que du grand art, c’est la prière de l’Église tout simplement.
Pour écouter cet introit :