Après la sidération provoquée par la décapitation du professeur Samuel Paty et l’assassinat des fidèles dans la cathédrale de Nice, la question de la compatibilité de l’islam avec la République laïque se pose une nouvelle fois. Nous avons recueilli l’avis de l’islamologue Marie-Thérèse Urvoy sur le sujet, pour laquelle quelques rappels sur les fondamentaux de l’islam s’imposent.
Deux semaines avant l’assassinat de Samuel Paty par un musulman tchétchène, Emmanuel Macron prononçait un discours fustigeant le « séparatisme islamiste ». Êtes-vous d’accord avec cette expression ?
Les deux termes « séparatisme » et « islamiste » sont erronés : le Président ignore ce qu’est l’islam et ce qu’est être musulman. Les musulmans, conglomérés en Umma (communauté des croyants), lorsqu’ils sont hors du « Domaine de l’islam », ne cherchent pas à se séparer mais à se substituer au pouvoir. Le poids démographique de cette communauté est proportionnel au volume de ses revendications et au taux de faiblesse et de laxisme des nations d’accueil. Les musulmans sont « islamistes » lorsqu’ils obéissent à l’intégralité de leurs fondamentaux, lesquels sont les mêmes pour tous. Les grands-parents des jeunes musulmans radicalisés aujourd’hui, ne posaient pas de problèmes aux sociétés d’accueil. Leur islam était ramené au domaine privé, sans revendications propres à un culte. Ils pouvaient même donner des prénoms locaux qui indiquaient leur volonté d’assimilation, laquelle était ainsi facilitée. Les choses se sont détériorées à la faveur des mesures et des lois décrétées par nos politiciens depuis plus de quarante ans. Ils provoquèrent une inflation démographique artificielle. Ces dirigeants ignoraient, et ignorent encore que la Umma, c’est les musulmans que regroupe la même loi, et qui poursuivent les mêmes objectifs de solidarité strictement interne de société fermée, ainsi que de triomphe à long terme dont ils ont attendu la réalisation avec un sentiment de supériorité. Cette Umma ne peut tolérer une domination non islamique sur les croyants (les seuls musulmans) qui la constituent. C’est une épreuve (mihna) invivable, à abréger par tous les moyens. De plus, des injonctions coraniques à ne prendre ni juif ni chrétien comme affilié (V, 51) ou comme confident (III, 118), associées à la pratique de la guerre religieuse, ont créé chez les premiers musulmans une solidarité communautaire et un esprit élitiste qui se transmet de génération en génération. Cela participera au marquage des frontières d’un nouveau modèle de société qui se ferme en autosuffisance. Avec une communauté ombrageuse, jalouse de sa foi, y entrer c’est se conformer à l’ordre divin et appartenir à la meilleure communauté qu’Allah ait fait surgir pour les hommes (III, 110). En sortir est trahir la communauté et régresser en idéal religieux ; la mise à mort d’un apostat est donc déclarée licite. La Umma, en réflexe totalement sectaire, réagit chaque fois qu’elle juge utile ou possible pour faire valoir ses droits, lesquels coïncident avec les droits de Dieu. De nos jours encore, en terre d’infidélité, les croyants de la Umma invoqueront avec force ces « droits de Dieu » qu’ils ont la charge de défendre sur la terre entière. Ils produiront un document en 1970, en imitation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, intitulée Droits de l’homme en islam, qui récuse tout fondement non islamique pour ces droits. Le Coran déclare que la pire des choses est d’éprouver un musulman dans sa foi pour l’en écarter ou pour limiter son exercice ; ainsi, toute action nécessaire pour lever ces épreuves est légitimée. Aussi toute critique du dispositif est-elle considérée comme une agression à l’encontre de la Umma. L’auteur pakistanais contemporain Mawdûdî définira la fonction de la Umma en commentant ainsi la formule concernant les dhimmîs, « alors qu’ils sont humiliés » (IX, 29) : « c’est-à-dire qu’en temps de paix ils ne soient pas des grands de ce monde, car un tel état est réservé aux seuls musulmans du fait qu’ils remplissent la fonction de vicaires de Dieu. » Ici, Mawdûdî ne fait qu’exprimer la conviction qui habite la conscience religieuse de tout membre pieux de la Umma. Tous ses membres ne sont pas fondamentalistes comme Mawdûdî mais il demeurera toujours ce sentiment d’appartenance à cette élite sacralisée. Il en est de même pour tout musulman croyant ; la différence sera dans l’intensité, non dans la nature. La formule de ?Iyâd Benachour est intemporelle : « chaque musulman en cache un autre, plus musulman encore » (Aux fondements de l’orthodoxie sunnite, PUF, p. 257.).
La suite de l’entretien dans le numéro 1722 du 7 novembre