Jean Breton n’en pense pas moins | Cachez donc cette mort que je ne saurais voir

Publié le 01 Oct 2020
Jean Breton n'en pense pas moins | Cachez donc cette mort que je ne saurais voir L'Homme Nouveau

« Vivre libre ou mourir », disait Tom Morel. « Si je meurs, vengez-moi », répond La Rochejaquelein. « La mort plutôt que la souillure », préfèrent dire nos chers bretons, « à nos morts victorieux », conclut l’éloge funèbre du Rohan. Les mots de l’Histoire sont imbibés de l’idée de la mort, et en ce début d’automne où la nature s’y met aussi, quelle meilleure occasion qu’une épidémie tragique parsemée d’attentats pour songer à ce qui est la seule chose certaine de notre existence ? 

Il faut dire qu’on ne sait pas parler de la mort. On ne sait plus, mais comme l’humanité bavarde ne peut s’empêcher de parler, de graver, d’écrire ou de twitter, on pourra s’amuser à suivre la décadence de l’art funèbre, où s’introduisent périphrase, louvoiement et atermoiement. Tout le monde est touché, jusqu’à votre serviteur se faisant la réflexion qu’il choisissait un sujet bien peu vendeur… apportant ainsi de l’eau à son moulin. Pratique.

Perte de la transcendance, de l’idée de Salut… Ne soyons pas réducteurs, le repli de la chrétienté en France, n’y est pas pour grand-chose. Cela fait belle lurette que les sermons du lundi après-midi pataugent dans le registre du voyage pour ne plus avoir à dire « Madame se meurt, Madame est morte ». Exit le noir, les crânes, les veillées, qui avaient le bon goût d’élever le défunt quand on préfère le planquer. On triche, on met des photos, on parle d’Au-Delà, sans plus y croire beaucoup d’ailleurs. 

Dire que l’effroi des espaces infinis de la mort était avant un bon moyen de prédication et de conversion ! en rendant tabou ce sujet, l’Adversaire a bien joué. Lui qui n’a jamais rien compris à la mort, la peur, ça le connait : Plus personne n’ose penser à ce qu’il y a après l’accident de voiture, le lendemain de l’attentat, plus loin que les soins palliatifs. Les seuls à dénombrer les morts sont ceux qui veulent nous faire peur en parlant d’épidémie, de la polissonnisation de la société, ou des criminels à nonante kilomètre-heure.

Résultat, on ne sait pas mourir non plus. On le refuse, on le nie, et pas seulement en fin de vie. On le voit mieux récemment, mais ça n’est pas nouveau : on s’empêche de travailler pour éviter tout accident, on s’isole pour ne pas tomber malade, on déserte les villages pour accéder aux spécialistes de santé. Le vin ne réjouit plus le cœur de l’homme, et l’aseptisation des repas se reflète dans les conversations. On se prive de vivre pour essayer de survivre.

C’est encore un problème de langage. On confond tristesse et désespoir parce qu’on n’a plus la moindre définition potable de l’Espérance. On mélange la mort et le néant en oubliant qu’éternité et immortalité ne signifient pas la même chose. On déguise le deuil en dépression, on soigne l’émotion par rasades de cachetons, et on psychanalyse plutôt que de prier. 

Mais parlons-en bon sang ! comment s’y préparer si chaque fois que s’aborde le sujet il faut s’en excuser et tirer des bords littéraires longs comme un samedi à Lunéville ? et comment ne pas en avoir peur si on ne peut pas s’y préparer ? On range la mallette aux allégories, et on en parle en (vrais) chrétiens, en croyant à la résurrection, et pas qu’à celle du Christ, jusqu’à comprendre pourquoi saint Paul était l’homme le plus vivant et le moins morbide du monde quand il disait que mourir était pour lui un avantage. 

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