Combien vaut votre cerveau ? Dix euros et cinquante-neuf centimes par an. C’est le prix auquel vous le louez, si vous êtes un habitant d’une ville moyenne comme la sous-préfecture du Finistère. Pas glorieux pour les Bretons ? en Mayenne, ça serait moins d’un euro. Je m’explique : c’est, rapporté par tête de pipe, ce que rapportent à vos municipalités les publicités de rues, qui parent les abribus scolaires de jeunes femmes affriolantes, et les poubelles devant votre PMU favori de réclames pour une salle de sport.
Ne jetons pas la pierre aux publicitaires. Ils ne font que le métier rentable pour lequel ils sont engagés. Parce que ça marche. Chacun râle quand son programme télévisuel favori est interrompu par un clip suggérant qu’acheter un parfum nous dotera d’une villa et rajeunira subitement notre épouse ; chacun, à des degrés divers, méprise ces gêneurs qu’en sont les auteurs. Mais ça marche. Sans être expert en psychologie – cette science qui a remplacé l’empathie – je parierai le dernier Kinder Bueno qu’une publicité qui agace fait partie de celles dont on se souvient le plus.
Ne perdons pas de temps sur les ravages des couleurs vives sur l’imagination et la mémoire, sur des statistiques d’achat compulsif de sujets soumis à des stimulii calculés. Au résultat ! Si les publicitaires, hérauts du capitalisme, dépensent des millions pour tourner à Tahiti un film vantant un fromage Hollandais, c’est bien parce que c’est rentable.
Parlons plutôt de Liberté. La plupart des endroits où votre cerveau passe à la machine-à-faire-consommer sont des lieux que vous pourriez éviter. Pour l’Internet et la télévision par exemple, le marché est explicite : vous y accédez gratuitement, sous réserve d’accepter qu’une partie de vos facultés soit bradée à des honnêtes manipulateurs dont vous êtes la bonne poire.
La plupart des endroits, mais pas tous. Revenons à la rue : on ne m’a jamais demandé si je n’aurais pas préféré payer dix euros de plus d’impôt pour échapper à cette débauche défigurante. Ce faisant, puisqu’on parle d’agressions visuelles, c’est donc que l’État se dessaisit du monopole régalien de la violence, moyennant le financement de mobilier urbain (à la pérennité variable, cf. « sentiment d’insécurité »).
On me dira qu’on peut résilier son abonnement et se contenter du courrier (moyennant l’autocollant adéquat sur la boîte aux lettres). On me dira qu’on n’est pas obligé de lire les journaux ou regarder le petit écran. On me dira donc qu’on peut vivre sans prostituer son cortex, sous réserve de ne pas vivre en société ? J’aime les abbayes, mais je n’ai pas la vocation, j’ai quelle solution ?
Commençons par la rue. Exigeons de nos maires une augmentation considérable de la taxe de publicité, pour bannir slogans brameux prétendant que la vie est plus belle en voiture électrique ou avec de nouveaux vêtements. Nous qui pleurons la fermeture des bistrots, serions-nous incapables de reprendre le contrôle de nos cerveaux ?