Un discours présidentiel de plus… La fréquence des évènements aimablement mis en lumière par les chaînes d’information en continu est très élevée, et chacun semble appeler une réaction, elle-même une polémique, des éditos assassins… souvent à cause d’une maladresse de langage : les séances de TP de l’ENA forment à accélérer la sortie d’un tweet plus que celle d’un dictionnaire. Quitte à parler, qui plus est en public, il faut utiliser les bons mots.
Le premier écueil d’un langage approximatif est que l’on se contente de saisir l’idée générale. Rigueur aux oubliettes, surgit le « enfin, tu vois ce que je veux dire », signe d’une carence de vocabulaire. Autant les mots ont un sens, autant la vision de « ce que je veux dire » est quand même plus floue : source d’incompréhension, de généralisation, de déformation.
Si une imprécision sur la météo est a priori sans conséquence, d’autres sujets sont plus délicats : les métiers techniques sont contraints à se réfugier dans un argot ésotérique pour éviter les accidents. Border l’écoute ne signifie pas étarquer la drisse, ça reste tirer sur une corde. La SNSM[1] connait beaucoup d’histoires tragiques qui commencent ainsi. Que dire alors de ce qui se décrit plus difficilement, l’abstraction, la transcendance ? Quand on dit que la Foi est une valeur et que la charité c’est l’aumône, que l’on ne s’étonne pas de voir en l’Église une ONG.
Ces mots pourtant si riches et si précis, désignant des réalités immatérielles que seule la raison peut nous rendre perceptibles, sont désormais, à force d’être utilisés par erreur, vidés de tout sens. On s’en détourne, et sans mot pour en parler, on refuse les notions afférentes. Apparait alors une nouvelle catégorie religieuse, ceux qui n’ont aucun avis car ils n’ont aucune idée de comment réfléchir aux vastes sujets qui portent habituellement près ou loin du Divin. Ça n’est ni de l’athéisme ni de l’agnosticisme, c’est juste une absence d’intérêt pour ce qui existe hors du vocabulaire.
La parole publique perd aussi de son poids. Si on se fiche éperdument des appels à l’unité de la nation, mélangés dans une joyeuse tambouille à base de République ou de Valeurs, on n’écoute le Prince que lorsqu’il est concret. Quand les discours se multiplient et se ressemblent tous, le cap donné à la politique devient fatalement erratique.
On ne saisit qu’approximativement le sens, mais on en retire un ressenti, que la compréhension fine du message pourrait orienter, expliquer ou atténuer. En l’absence de cette rationalité, l’émotion gouverne et nie les apports de la raison : l’émotion étant subjective, on perd la compréhension de la volonté de l’émetteur. L’émotion étant fugace, plus aucun engagement de long terme ne semble possible. L’émotion s’attachant au particulier plus qu’au général, aucune politique publique n’est appliquée sans que les exceptions ne viennent, par leur pathos savamment manipulé, détruire des règles de bon sens.
« Au commencement était le Verbe » : Créés à l’image de Dieu, nous avons cette faculté d’user du verbe. Mais pour prolonger l’imitation, nous devons nous aussi faire de notre parole une faculté créatrice, a minima par intention. C’est cela vivre en Vérité : c’est mettre notre parole en adéquation avec nos actes, le réel en phase avec nos mots.