Jean Breton n’en pense pas moins | Refuser les règles

Publié le 25 Oct 2021
Jean Breton n'en pense pas moins | Refuser les règles L'Homme Nouveau

On ne peut plus rien dire à la télé : les règles l’ont cernée. La réalité est islamophobe, les statistiques sont patriarcales, les faits divers une incitation à la haine. Depuis un demi-siècle, c’est acté : tout constat public hors progressisme officiel doit être précautionneusement entouré d’une couche de vaseline oratoire, saupoudrée de paratonnerres à amalgame. On fait gaffe à ce qu’on dit, on évite de risquer la stigmatisation, on ne vise aucune personne, aucun groupe, aucune pensée. C’est le politiquement correct, le nouveau jeu à la mode dans l’espace public, un peu semblable au Taboo©, où on doit faire deviner un mot sans le dire.

Ce jeu était auparavant une coutume informelle, mais il s’est professionnalisé. Il n’est plus un magma de non-dit, un état d’esprit ; il a ses règles, publiées au Journal Officiel, ses arbitres de touche que sont les associations Plévenesques, ses cartons rouges distribués par le CSA et menant en prison.

Nous, dans les tribunes, voyons les joueurs – hommes publics au sens large – tenter de conserver le ballon entre les lignes blanches. Quelques-uns prétendent se moquer de l’arbitre ou critiquer ses décisions, mais ça n’est que pour être en gros plan sur l’écran géant du stade, ou parce qu’ils ont glissé. Jouer avec les règles ne fait que les renforcer. Les dérapages, contrôlés ou non, cassent plus de voitures que de glace.

Bien sûr, en off, nos braves politiciens ne tiennent pas le même langage. Comme si le rugby à la maison tolérait plus d’en-avant que les matches internationaux. Le fond ne nous intéresse pas ici. Ils avouent simplement qu’ils parlent pour plaire non à leurs seuls électeurs, mais aussi à leurs censeurs. Que si ça ne tenait qu’à eux… 

Que dire d’un sport où public et joueurs s’accordent pour refuser les règles ? Si la censure du politiquement correcte reste d’actualité, c’est bien qu’elle est imposée entre l’émetteur et le récepteur, apparemment tous deux dédouanés ! On pense évidemment aux médias, premiers à apprendre au public que telle phrase anodine est en réalité un scandaleux dérapage. Mais ne plaçons pas trop haut leur idéologie. Subventionnés à outrance, ils restent en recherche de rentabilité. Si l’extrémisme s’achetait, nos télévisions seraient emplies de farfelu plutôt que de convenu. 

Les règles viennent de la justice, elles sont respectées par les joueurs car elles sont efficaces et appliquées, et elles ne sont pas contestées par le public – les électeurs, qui pourraient choisir ce qu’ils regardent ! – car les médias trouvent rentable de mettre au pilori un joueur récalcitrant plutôt que de faire des analyses de fond sur les améliorations possibles du jeu. Le tout fonctionne : on tourne en rond. 

Avec une situation aussi verrouillée, il va être de plus en plus compliqué de dire ce qu’on pense : l’arbitre n’aime pas être désavoué. Ces temps-ci, il s’intéresse aux derniers espaces de liberté de parole, aux chaînes YouTube et aux forums, aux discussions privées et aux journaux provinciaux. La FIFA s’immisce dans les cours d’école.

On ne change pas son compteur sans couper le courant, on ne modifie pas l’armature au milieu du morceau. Il est trop tard, en campagne électorale, pour critiquer le CSA qui décompte notre temps de parole. Remettre en question ses règles, ne serait-ce qu’en parler, ça nécessite de sacrifier un débat, un passage à l’antenne, pour prononcer une phrase choquante – sortir des règles – et expliquer à son contempteur horrifié pourquoi le jeu serait plus beau s’il avait eu le droit de le faire – pourquoi la démocratie serait plus grecque, s’il avait eu le droit dire ça.

 

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