Auteur d’une récente biographie de Jean Madiran, Yves Chiron livre dans ce dossier une étude inédite sur l’appréciation portée par le directeur de la revue Itinéraires (1956-1997) sur le philosophe Gustave Thibon. Un tel sujet suscite d’emblée un double étonnement. Y aurait-il en effet une raison particulière à connaître le jugement porté par Jean Madiran sur Gustave Thibon, alors que le premier publie pendant plusieurs années des articles du second ? Et quel est l’intérêt d’une telle étude aujourd’hui ? On peut en effet penser que, réunis dans les mêmes colonnes d’une revue intellectuelle qui, à plus d’un titre, fut également une revue de combat, les deux hommes partageaient, sinon la totalité, du moins l’essentiel d’une même vision des choses. L’étude effectuée par Yves Chiron, à partir des archives inédites de Jean Madiran, montre que la réalité, comme souvent, fut beaucoup plus complexe et nuancée, à la fois en ce qui concerne la collaboration de Thibon à Itinéraires et sur les points de rencontre ou de dissension entre les deux hommes. Au-delà même de son sujet, cette étude apporte également des précisions importantes sur l’histoire du catholicisme du XXe siècle qui ne sont pas sans résonance aujourd’hui. À ce titre, elle peut nourrir la réflexion et montrer à quel niveau d’exigence il faut parfois savoir s’élever. Un tel travail d’ordre historique permet de mieux saisir aussi les liens entre les intellectuels d’une même mouvance et, plus encore, de saisir les limites des uns et des autres.
Gustave Thibon, qui avait connu Louis Salleron en 1946, le considérait comme un « frère » et considérait son épouse, Marie-Thérèse Salleron, « comme une sainte » (1). Il n’aurait certainement pas qualifié de la même manière Jean Madiran qu’il n’a quasiment jamais rencontré. Et Jean Madiran, même s’il considérait Gustave Thibon comme « un très grand esprit » et s’il a publié, entre 1956 et 1992, quelque 75 de ses articles dans Itinéraires, ne le considérait pas comme un ami et il a progressivement constaté « une distance intellectuelle croissante » avec lui.
Des collaborateurs plus que des amis
Les lecteurs d’Itinéraires, en ses quarante et une années de parution (2), ont pu avoir l’illusion que les collaborateurs les plus réguliers de la revue formaient autour de Jean Madiran un groupe d’amis qui, outre leur accord intellectuel sur l’essentiel, avaient entre eux des relations régulières et amicales. En réalité,…