On ne présente plus Jean Sévillia, auteur de nombreux livres qui ont remporté de grands succès, chroniqueur au Figaro Magazine et au Figaro Histoire, ainsi qu’à L’Homme Nouveau. C’est en homme libre que cet historien et journaliste analyse les mécanismes de la désinformation et de la déconstruction. Nous nous sommes souvenus qu’il était notamment l’auteur d’un ouvrage à relire aujourd’hui, Le Terrorisme intellectuel (Perrin).
Malika Sorel a salué récemment en vous, sur le FigaroLive, l’analyste qui permet de comprendre ce qui se déroule sous nos yeux actuellement. Sommes-nous bien effectivement dans une situation de terrorisme intellectuel ?
Il y a quelques mois, un refrain courait sur certains sites et dans certains journaux : la gauche a échoué dans tous les domaines et, dans la guerre culturelle qui se déroule aujourd’hui, c’est la droite qui a gagné la bataille des idées puisqu’elle impose ses thèmes. Or je constate que nous assistons au spectacle exactement inverse. Que ce soit lors de la primaire de la droite où le système poussait la candidature d’Alain Juppé, un homme de droite aimé par la gauche, ou lors de la campagne présidentielle du premier tour où ce même système a poussé Emmanuel Macron et s’est employé à démolir la candidature de François Fillon, quoi qu’on pense de ce dernier par ailleurs, puis actuellement dans la campagne de l’entre-deux-tours où le système, toujours lui, considère par principe le vote Marine Le Pen comme illégitime, quoi qu’on pense de celle-ci également, on s’aperçoit que la mécanique du terrorisme intellectuel bat son plein.
Un terrorisme intellectuel dont les références puisent dans la pensée de gauche : il convient d’être moderne, ouvert, tolérant, partisan d’une société multiculturelle et adepte d’un monde fluide débarrassé des préjugés du passé. C’est ce qu’Emmanuel Macron nomme le « progressisme ». Or toute la classe politique et médiatique partage cette vision ou s’y soumet par lâcheté ou par crainte des représailles. Les rares récalcitrants prennent le risque d’être politiquement et socialement ostracisés.
Comment s’incarne aujourd’hui cette mise en musique de ce que vous avez appelé le « terrorisme intellectuel » ?
Selon les procédés que j’ai décrits dans mon livre portant ce titre : diabolisation, amalgame, indignation sélective. Hélas, il n’y a rien de nouveau. Je ne suis pas particulièrement « fillonniste », mais il faut reconnaitre que la campagne menée pendant trois mois contre le candidat des Républicains a joué sur toutes les cordes du terrorisme intellectuel. Voilà un homme de tradition politique modérée, dont on savait qu’il était issu d’un milieu chrétien mais qui ne s’était jamais signalé comme un catholique très affirmé, ne participant même pas aux Manifs pour tous en 2013, et qui a été transformé, l’espace d’une campagne présidentielle, en militant de la droite dure, catholique quasiment intégriste, quintessence de l’esprit réactionnaire. On rêve ! Contre Marine Le Pen, depuis qu’elle est au second tour, ce sont tous les classiques de l’antiracisme et de l’antifascisme qui ont servi pendant vingt-cinq ans contre son père qui sont ressortis du placard. Et en face de cela, Emmanuel Macron est paré de toutes les vertus – brio, inventivité, dynamisme – alors même que ses idées sont floues puisqu’il est capable de dire tout et son contraire. La façon dont le système médiatique aura créé le personnage Macron restera un cas d’école.
Les élections ne semblent pas le moment le plus favorable pour sortir de cette pression. Mais, peut-on espérer, la fièvre retombée, voir la situation évoluer vers une libération des esprits ?
Les élections sont même le moment le moins favorable pour faire retomber la pression et les passions ! Je suis navré de voir le ton monter sur les réseaux sociaux entre des amis que j’estime au même degré mais qui ont fait des choix électoraux différents. Qu’ils n’oublient pas ce que nous rappelait tout récemment Mgr Rey : « Un catholique n’est pas un militant embrigadé ». Dans la société en général, la lutte contre les idées toutes faites et le terrorisme intellectuel est un combat long, incessant, qui passe par un travail critique poursuivi selon les méthodes éprouvées de la réflexion de fond et pas seulement par des tweets de 140 signes ou des liens balancés à l’envi sur Facebook, liens menant à des textes que les internautes croulant sous les sollicitations n’ont même pas le temps de lire. À ma place, je me suis attaché à cette entreprise de formation des intelligences à long terme, et j’ai été très heureux que Malika Sorel, une femme dont j’admire le courage – il faut lire ses ouvrages, spécialement le dernier, Décomposition française, paru chez Fayard en 2015 – rende hommage à mes livres qui ont joué un rôle pionnier, notamment Le Terrorisme intellectuel et Historiquement correct.
Pour aller plus loin :
Le Terrorisme intellectuel de Jean Sévillia
Historiquement correct de Jean Sévillia
Historiquement incorrect de Jean Sévillia
Moralement correct de Jean Sévillia
Écrits de combat de Jean Sévillia