Jeunes Talents 2024 | « Centurion, voici ta mère »

Publié le 15 Juil 2024
jeunes talents centurion voici ta mère

© Sian Gao pour L'Homme Nouveau

Comme chaque année depuis 7 ans, L’Homme Nouveau a lancé son concours d’écriture Jeunes Talents 2024 entre avril et juin. Cette année, le thème était : « Après la guérison de son serviteur par Jésus, que devient le Centurion de l’Évangile ? »  
Nous publions ici les écrits que nous avons reçus. Les trois lauréats sont aussi publiés dans le numéro d’été (n° 1812), daté du 27 juillet.  
Retrouvez toutes les productions dans le dossier thématique Concours Jeunes Talents 2024.

 

Deuxième prix

« Centurion, voici ta mère »

 

Un texte de Madeleine

 

Il était parti, sans même accepter le festin préparé pour lui. Et Titus ne pouvait penser qu’à lui. 

III 1 jeunes talents

« Pourtant, il restait assis sur sa couche, dans sa courte tunique de laine blanche. » © Sian Gao pour L’Homme Nouveau

L’aube se levait à peine, et déjà l’on percevait la rumeur du village, le tintement des clochettes au cou des chèvres, le babillage des femmes à la fontaine. D’ordinaire, le centurion Titus Marcus Manlius n’était pas un rêveur ; depuis longtemps l’Empire se serait effondré si ses provinces avaient été confiées à des poètes et ou à quelque fonctionnaire oisif dont l’administration romaine avait le secret…

Pourtant, il restait assis sur sa couche, dans sa courte tunique de laine blanche. Les souvenirs et les images lui revenaient par bribes : la maladie foudroyante de son serviteur, le plus fidèle ; la confiance un peu folle que lui avait inspirée ce rabbi venu de Nazareth, peut-être simplement parce qu’il était le seul qui parlât autrement que les sages et les savants qu’il avait lus qui prêchaient la résignation. Puis l’incroyable guérison. Pourtant le rabbi n’avait rien d’extraordinaire en apparence.

Le centurion se leva lourdement. Il devait assister ce matin à l’entraînement. En passant dans l’atrium, il vit courir à lui Barrabus, le serviteur guéri. À vrai dire, il était plus qu’un serviteur, bien plutôt l’intendant du domaine. Barrabus avait été son optio en Afrique, dans la dure campagne contre Tacfarinas. Inutile de dire que Barrabus était encore tout surpris de se retrouver vivant, et clamait à qui voulait l’entendre que le rabbi était un prophète des Juifs. Bientôt, le centurion en était sûr et le comprenait, il rejoindrait le rang des prosélytes et serait assidu à la synagogue.

Titus Manlius ne le suivrait pas. À vrai dire, il soupçonnait les rapports entre Yeshoua et les Juifs d’être plus complexes qu’en apparence. Il avait entendu le persiflage des chefs de la synagogue, et s’attendait à tout avec ce peuple raide en même temps que tortueux.

Après l’effervescence provoquée par la guérison, la vie reprit son cours. Titus avait beaucoup à faire, et n’avait guère le temps de penser. Pourtant, le soir, sur son lit, les yeux grands ouverts, il attendait le sommeil qui ne venait pas. Pourquoi le rabbi était-il parti si vite ? Il n’avait pas même prêché dans la synagogue comme à son habitude ; certes, il avait fait l’éloge de sa confiance et avait semblé lire au fond de son cœur de païen la droiture de sa conscience. Et maintenant, il l’avait laissé dans la nuit et l’obscurité.

Procula, sa femme, moins rationnelle, avait accueilli la guérison comme une faveur des dieux. Elle aimait ce rabbi, son humilité, ses appels à la perfection et à l’amour du prochain. Il était devenu son maître. Elle avait même fait un long voyage pour l’entendre encore parler. Le centurion l’avait encouragée, mais davantage qu’elle il mesurait l’épaisseur du mystère qui entourait encore ce Yeshoua. Pour Procula, c’était un sage, doté par quelque dieu de pouvoirs extraordinaires à cause de la sainteté de sa vie. Elle croyait en son pouvoir. Titus aussi, puisqu’il avait demandé la guérison de son serviteur, mais il y voyait un signe, un signe de quelle réalité ?

Quelques mois plus tard, même jusqu’à ces confins de la Judée, la rumeur était parvenue que le rabbi avait été arrêté et crucifié. Procula avait beaucoup pleuré, le serviteur, très affecté, avait demandé à Titus de lui accorder un voyage à Jérusalem pour savoir ce qu’il en était. Le centurion n’avait rien dit. La nuit se faisait plus obscure dans ses pensées, l’énigme menaçait de rester insoluble. Comment un thaumaturge pouvait-il périr comme un brigand ? Titus avait déjà vu des crucifiés : tant de souffrance lui avait fait détourner les yeux, lui, le légionnaire habitué aux horreurs des campagnes militaires. 

Ainsi allait la vie. On avait pleuré, mais Yeshoua serait remplacé par d’autres préoccupations, plus immédiates et plus concrètes. Titus avait ravalé son chagrin. Peut-être avait-il cru à une chimère. Il n’y avait que la force qui comptât, qu’un seul but à sa vie, la gloire de Rome.

III 2 jeunes talents

« La femme semblait recoudre une vieille étoffe que la vie avait fait céder. » © Sian Gao pour L’Homme Nouveau

Un soir s’était arrêté au village une petite caravane. L’événement ne méritait pas que Titus se déplace. Néanmoins Barrabus l’avait attiré à l’écart : « En regardant s’installer la caravane, j’ai aperçu une femme.  Elle ressemble tant au rabbi qui m’a guéri. Peut-être est-elle une parente. » Intrigué, Titus l’avait suivi jusqu’au campement ; ils eurent quelque peine à retrouver la femme qu’ils cherchaient.

En soulevant le coin de la tente, Titus vit qu’elle n’était pas seule. Elle était accompagnée d’un jeune homme, qui aurait eu l’âge d’être son fils. La femme semblait recoudre une vieille étoffe que la vie avait fait céder. Elle ne leva pas d’abord les yeux, et Titus ne vit qu’un visage à moitié caché dans les plis d’un voile. Surpris, le jeune homme s’était levé. Une lueur de peur même passa dans ses yeux quand il remarqua les insignes distinctifs du centurion, et il esquissa un geste de protection envers la femme encore assise. « Yohanan, dit une voix douce, qu’y a-t-il ? je suis sûre que ces gens ne nous veulent pas de mal.

Elle avait un peu relevé la tête et posait désormais sur les deux visiteurs un regard à la fois intense et surpris. Titus fut frappé de sa ressemblance avec le rabbi. C’était le même visage, un peu plus ridé, d’une rare régularité en même temps que typiquement juif. Le centurion resta un instant interdit, comme s’il sentait sur lui un regard venu du passé. Yohanan se reprit et leur fit signe de s’asseoir, tandis que la femme posait à côté d’elle son ouvrage le plus tranquillement du monde. « L’Éternel soit loué », murmura Barrabus en guise de salutation. « Saint est son nom », lui répondit la femme à mi-voix.

Un silence qu’elle ne semblait pas trouver le moins du monde gênant s’ensuivit. « Serait-ce possible, osa Titus, que nous ayons connu un de vos parents ; un homme était venu ici, qui nous a fait beaucoup de bien. Nous n’avons pas pu oublier son visage et vous lui ressemblez. » La femme esquissa un sourire et murmura : « Bien peu l’on vraiment connu. » « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’on pas reçu », poursuivit Yohanan.

« Nous ne sommes pas les siens, répliqua Barrabus, tu le vois, nous sommes des Romains. Il a dit à mon centurion qu’il avait plus de foi que tous les hommes en Israël. » La femme lui sourit : « Je sais, mon Fils m’avait parlé de toi » ; et elle poursuivit, presque timidement, dans un souffle : « C’est pour toi qu’il est mort. » Titus resta muet. De quoi parlait cette femme ? Le rabbi avait été victime de ces fourbes de pharisiens, c’est tout. Certes, il avait rendu la vie à son serviteur, mais la chose n’avait pas semblé lui coûter.

La femme le regardait toujours et Titus sut qu’elle disait vrai, sans comprendre, sans voir, sans sentir. « Tu as beaucoup à apprendre, centurion, reprit la femme, mais l’essentiel, mon Fils te l’a déjà enseigné, il n’y aura plus d’obscurité pour toi. » Subitement, Titus se sentit défaillir, il se leva péniblement et sans un mot quitta la tente, sous les yeux étonnés de Barrabus.

« Myriam, la lumière est parfois trop vive pour l’esprit », souffla Jean. « Celui-là a trop connu la nuit et a trop désiré la lumière pour que mon Fils ne l’éclaire pas violemment. Il reviendra. » « Mais, répliqua Jean, Mère – la femme tressaillit imperceptiblement – Éphèse est encore loin, il nous faut partir demain. »

« Je dois être aux affaires de mon Fils. Ne te trouble pas, sa conversion sera simple comme celle d’un enfant. Il a le cœur moins hésitant que Nicodème, plus constant que Zachée, moins nerveux que la Madeleine. » Elle soupira légèrement, leva ses yeux sur Yohanan et lui sourit : « Oui, comme celle d’un enfant, un de mes enfants. »

 

Madeleine

 

>> Dossier thématique Concours Jeunes Talents 2024

 

La Rédaction

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