Jeunes Talents 2024 | « Domine non sum dignus »

Publié le 14 Juil 2024
jeunes talents 2024

© Sian Gao pour L'Homme Nouveau

Comme chaque année depuis 7 ans, L’Homme Nouveau a lancé son concours d’écriture Jeunes Talents 2024 entre avril et juin. Cette année, le thème était : « Après la guérison de son serviteur par Jésus, que devient le Centurion de l’Évangile ? »  
Nous publions ici les écrits que nous avons reçus. Les trois lauréats sont aussi publiés dans le numéro d’été (n° 1812), daté du 27 juillet.  
Retrouvez toutes les productions dans le dossier thématique Concours Jeunes Talents 2024.

 

Premier prix

« Domine non sum dignus »

 

Un texte de Sœur Marie-Liesse

 

Le calme qui régnait en cette chaude soirée d’été ne laissait pas deviner le drame épouvantable qui s’était déroulé quelques jours plus tôt. Assis à une terrasse, un vieillard contemplait à ses pieds la ville qu’on avait dite éternelle. Au loin, quelques nuages de fumée s’élevaient encore, rares vestiges de l’incendie dévastateur qui avait embrasé la cité des empereurs, emportant avec lui des milliers de citoyens et ravageant des quartiers entiers de la ville.

L’homme, voûté mais encore robuste, dirigea son regard vers la colline vaticane où gisait à présent le Prince des Apôtres, exécuté peu de temps auparavant par la folie sanguinaire de Néron. « Je ne suis pas digne de mourir comme mon maître. Je donne volontiers ma vie pour Notre Seigneur, mais ce serait pour moi un honneur trop grand de périr comme lui. » Telles avaient été les dernières paroles de Pierre avant qu’on le crucifie, tête en bas, plongeant ainsi définitivement les racines de l’Église en terre romaine.

« Je ne suis pas digne »… Ces mots revenaient sans cesse à la mémoire du vieillard, comme un refrain lancinant qui le ramenait plus de trente ans en arrière, alors qu’il n’était qu’un pauvre centurion inconnu de l’empire. Comment aurait-il pu imaginer alors qu’il deviendrait un des hommes les plus redoutés de César lui-même ? « Je ne suis pas digne… » Tels étaient les mots qu’il avait adressés à l’époque au jeune rabbi de Nazareth, tandis que le serviteur qu’il chérissait comme un fils était aux portes de la mort.

Dans la folie de son amour, il avait osé se tourner vers ce Juif en qui il avait reconnu un pouvoir plus grand que celui des hommes. Mais aussitôt que leurs regards s’étaient croisés, le centurion avait su qu’une vie nouvelle commençait pour lui. Sa décision avait été irrévocable : dès que sa mission à Capharnaüm aurait pris fin, lui aussi quitterait tout pour le suivre. 

Et il avait attendu avec une impatience renouvelée ce moment béni où il pourrait enfin remettre son casque et son glaive à Corneille, son supérieur immédiat en terre de Palestine, et s’adjoindre aux foules grandissantes qui suivaient celui qu’elles appelaient leur roi. Aussi, quelle n’avait pas été son émotion d’apprendre que Jésus avait été condamné à la croix et que l’espoir qu’il nourrissait en cet homme était désormais enseveli avec lui au tombeau. Il se souvenait de cette nuit d’angoisse où il avait galopé comme un fou jusqu’à Jérusalem mais où, arrivé trop tard, il n’avait trouvé que onze hommes abattus, écrasés de tristesse et de peur, n’ayant aucune idée de ce qui leur arriverait ensuite.

Il avait alors fait la connaissance d’un autre centurion, député à Jérusalem depuis quelques mois, un dénommé Longin, qui lui avait fait part des dernières heures de Jésus et du profond bouleversement qu’avait opéré en lui la mort de cet homme à qui il avait dû transpercer le côté. La noblesse qu’il avait lue dans le visage de ce crucifié l’avait fait tomber à genoux et reconnaître que, vraiment, cet homme était fils de Dieu. Avait alors commencé entre les deux soldats une belle amitié qui n’avait fait que croître jusqu’à ce jour. C’était d’ailleurs Longin qui était venu en trombe lui annoncer, le matin suivant, que les scellés sur le tombeau avaient été brisés, et que Jésus était revenu à la vie.

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« Obéissant donc à ce nouvel appel, il avait reçu des Douze l’imposition des mains et était devenu, à jamais, prêtre de Jésus-Christ. » © Sian Gao pour L’Homme Nouveau

Malgré sa foi, il avait fallu un peu de temps au centurion pour accepter d’entendre cette nouvelle insensée mais la rencontre avec le Ressuscité en personne, apparu à une foule d’environ cinq cents hommes, lui avait définitivement ôté toute espèce de doute, et l’avait confirmé dans son désir de ne plus vivre désormais que pour lui.

Veuf depuis quelques années, et sans enfant, il savait que rien ne le retenait dans sa vie passée, pas même son serviteur, Quintus, qui, avec son accord, avait déjà rejoint les disciples du Christ. Alors que son contrat avec l’armée approchait de son terme, il avait eu l’heureuse surprise d’apprendre que Corneille lui-même, avec toute sa famille, venait de recevoir le baptême des mains de Pierre en personne. Il s’était aussitôt rendu auprès du chef des Douze pour lui demander la même grâce, et avait ainsi confirmé la pleine appartenance des Gentils à l’Église du Christ. Il pouvait désormais revendiquer fièrement le titre de chrétien. 

À partir de ce jour, il avait fait partie des frères qui accompagnaient les apôtres dans leurs voyages pour propager la Bonne Nouvelle et il avait vu avec bonheur le nom de Jésus gagner tout le Bassin méditerranéen. Lui qui avait eu pour mission de servir, par les armes, la paix romaine savait à présent que ce nom seul pouvait assurer, par l’amour, la véritable paix humaine et il s’emparait bien volontiers, pour cette nouvelle mission, du casque du Salut et de l’épée de la Parole que Paul recommandait dans ses lettres.

Mais Pierre lui avait fait comprendre que Jésus attendait de lui davantage encore et le collège des Apôtres lui avait demandé alors s’il accepterait de devenir ministre du Christ. Sa réaction avait été la même que jadis à Capharnaüm : « Je ne suis pas digne ! » Mais Jean lui avait alors répondu : « Aucun de nous ne l’était et ce n’est pas pour cela qu’il nous a choisis, bien au contraire. » Obéissant donc à ce nouvel appel, il avait reçu des Douze l’imposition des mains et était devenu, à jamais, prêtre de Jésus-Christ. Il se souvenait avec une émotion intense de la première fois où, par les mots mêmes de son Maître, il avait fait descendre sur la terre et avait tenu en ses mains Celui que, dix ans plus tôt, il s’était jugé indigne de recevoir sous son toit.      

Il avait ainsi œuvré des années durant aux côtés des Douze et avait vu l’Église se répandre, au souffle de l’Esprit, jusqu’aux extrémités de l’empire. Mais c’est dans le cœur de celui-ci que Pierre voulait graver le message du salut. Il avait compris en effet que si Rome devenait chrétienne, le monde entier suivrait, et il avait alors demandé à l’ancien centurion de l’accompagner dans ce voyage jusqu’à la capitale car ce dernier, originaire de Toscane, avait fréquenté dans sa jeunesse l’académie militaire de Rome avant d’être envoyé faire ses armes en Palestine où sa rencontre avec le Christ l’avait fait demeurer.

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« Le feu s’était déclaré dans les quartiers insalubres de la ville. » © Sian Gao pour L’Homme Nouveau

C’est donc très ému que le soldat du Christ, comme on l’appelait, avait accepté cette mission et qu’il avait abordé, quelques mois plus tôt, la côte italique. L’annonce de l’Évangile s’était déroulée sans encombres jusqu’à cette nuit d’épouvante où le feu s’était déclaré dans les quartiers insalubres de la ville. Néron, menacé par la colère qui grondait dans le peuple, s’était abattu sur l’Église naissante et c’est dans le sang que le Prince des Apôtres venait de sceller sa prédication. 

Se remémorant ainsi sa propre histoire, l’homme qui, ce soir là, contemplait de sa terrasse les ruines de Rome, ne pouvait s’empêcher de penser qu’en profondeur, un nouvel incendie se préparait. Après tout, le Christ lui-même avait déclaré être venu allumer un feu sur la terre et c’était désormais à eux, ses disciples, de le répandre. Et à lui personnellement, en premier lieu depuis que Pierre avait rejoint le Maître. S’arrachant à sa méditation, l’ancien soldat se leva pour prendre une plume et du parchemin sur lequel il écrivit à la hâte :

« À Quintus, mon fils bien-aimé, salut,

J’espère que cette lettre te trouvera en bonne santé, ainsi que tous les frères de l’Église de Jérusalem que je bénis de tout cœur. La nouvelle de l’incendie qui a ravagé Rome et celle de la mort de Pierre vous sont certainement déjà parvenues. Les conséquences en sont bien lourdes pour moi car les Anciens m’ont désigné pour prendre sa suite. Le poids de cette charge m’effraie mais je m’appuie sur Celui qui peut tout. Je ne me jugeais pas digne de le recevoir en ma demeure et voilà qu’il me confie à présent les clefs de la sienne…

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« Plus Néron s’acharne à nous faire taire, plus le nom de Notre Seigneur s’élève comme une clameur grandissante. © Sian Gao pour L’Homme Nouveau

La tâche ici est immense car le nombre des frères augmente chaque jour : plus Néron s’acharne à nous faire taire, plus le nom de Notre Seigneur s’élève comme une clameur grandissante. Nos vies sont dans les mains du Seigneur. Je ne sais si j’aurai le bonheur de te revoir ici-bas mais je sais que Pierre nous attend déjà pour la Vie qui ne finit pas. Alors, courage, fils bien-aimé : crois, espère, aime. Tout le reste est sans importance. 

Transmets mes amitiés à Longin. Je te bénis au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, moi qui suis, par sa grâce et pour le service de son Église, 

Lin, premier, et bien indigne, successeur de Pierre. »

Reposant alors sa plume, Lin tomba à genoux et fit monter vers le ciel cette courte prière, devenue le résumé de sa vie : « Seigneur, je ne suis pas digne, mais dis seulement une parole et ta volonté sera faite. »

 

Sœur Marie-Liesse

 

>> Dossier thématique Concours Jeunes Talents 2024

La Rédaction

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