Jihâd/Croisades : même combat ?

Publié le 29 Août 2016
Jihâd/Croisades : même combat ? L'Homme Nouveau

En ces temps d’attentats terroristes un curieux amalgame continue de circuler entre le jihâd islamiste et ladite « guerre sainte » des chrétiens. Cependant les Évangiles n’appellent pas à la guerre sainte à l’opposé du Coran où abondent des sourates ordonnant l’expansion de l’Islam par le meurtre des infidèles et la conquête des territoires non-musulmans.

Malgré la répétition des attentats islamistes, il devient lassant d’entendre dire que l’islam n’est en rien responsable et qu’en matière de « violence religieuse » (c’est bien flou), l’Église catholique aurait prouvé dans son histoire qu’elle est aussi capable du pire. Le jihâd musulman équivaudrait à la guerre sainte des chrétiens. Cependant, une analyse rationnelle doit comparer ce qui est comparable, en l’occurrence prioritairement ce que disent les textes considérés comme révélés – d’un côté le Coran, de l’autre le Nouveau Testament – ainsi que la position de la doctrine théologique et juridique. Ensuite il convient d’examiner la portée des actes guerriers. Dans quelle mesure sont-ils des moyens de salut, conséquence logique du supposé caractère « saint » du combat mené ?

De nombreuses sourates du Coran incitent clairement à la lutte armée et au meurtre à l’égard des infidèles, souvent qualifiés d’« associateurs » (c’est-à-dire polythéistes, ce que sont les chrétiens aux yeux des musulmans). « Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils se repentent, s’ils s’acquittent de la prière (la Salat), s’ils font l’aumône (la Zakat), laissez-les libres – Allah est celui qui pardonne, il est miséricordieux » (9, 5) [1]. Par ailleurs, le Coran invite prioritairement les musulmans à conquérir les territoires non-musulmans (Dar al-Harb) et non à convertir les personnes. « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah » (8, 39). L’islam ne connaît ni la distinction entre le temporel et le spirituel ni la différenciation entre le droit naturel et la Révélation. La guerre est le principal vecteur d’expansion de l’Islam et le Coran comprend quarante et une occurrences du mot jihâd (l’« effort dans la voie d’Allah »), qui revêt le double sens du combat contre le mal intérieur (comme pour les chrétiens) et la lutte pour l’expansion de l’Islam.

Les Évangiles ne comportent aucun texte de cette nature. Il n’y a rien de tel non plus dans la doctrine catholique, auquel on prête bien facilement l’usage de la locution « guerre sainte », pourtant totalement absente dans la doctrine canonique et théologique à l’époque des croisades, comme l’a bien montré l’historien médiéviste Jacques Paviot. L’expression n’existait pas parce que le concept n’existait pas. L’engagement dans la croisade fit l’objet de débats entre les intellectuels de l’époque (2) et la justification de l’entreprise s’appuya sur un cadre théorique préexistant et non créé pour l’occasion, la théorie romaine (cicéronienne) de la guerre juste, reprise et christianisée par saint Ambroise et saint Augustin dans l’Antiquité tardive.

Une juste guerre

Il en découle tout d’abord que cette entreprise fut conçue comme une guerre de défense de la chrétienté contre la pression politique de l’Islam (3) et qu’en conséquence, il s’agissait d’un choix militaire jugé rationnellement opportun, conforme au droit naturel, et non d’une obligation religieuse tirée de la Révélation. Ce mobile constituait la cause juste, à laquelle devaient s’ajouter deux autres conditions, l’autorité du prince (en l’occurrence l’originalité résulte de l’initiative papale) et l’intention droite, cette dernière excluant par exemple la cruauté, la sauvagerie, le désir de domination et la tromperie, ce qui veut dire que tous les moyens n’étaient pas permis (4).

S’il s’était agi réellement d’une « guerre sainte », elle aurait été une cause de sainteté. Or, si des saints ont prêché la croisade (saint Bernard) ou y ont participé (saint Louis), l’Église ne les a pas canonisés pour cette seule raison. La mort au combat en Terre sainte n’attribuait pas au guerrier la couronne du martyre. Même en criant « Dieu le veult », aucun soldat chrétien ne pouvait nourrir l’espoir d’entrer directement au Paradis sans accusation de ses fautes, en se jetant sauvagement sur les musulmans pour en trucider quelques-uns avant de succomber sous le nombre. Nous suivons Jacques Paviot lorsqu’il analyse la croisade comme une guerre juste, papale et méritoire (5). La réalité diffère radicalement dans l’islam, puisqu’une sourate du Coran dit : « Que ceux qui troquent la vie présente contre la vie future combattent donc dans le sentier d’Allah. Nous accorderons une récompense sans limite à celui qui combat dans le chemin de Dieu, qu’il soit tué ou qu’il soit victorieux » (4, 74).

Ainsi, les violences injustes commises par des catholiques résultent du péché des hommes malgré la doctrine de l’Église tandis que des sourates du Coran justifient les actes terroristes, ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les musulmans jugent bon d’agir de cette manière, bien évidemment.

Curieusement, c’est à partir du XVIe siècle qu’en Europe le recours à l’expression « guerre sainte » s’est développé dans le contexte des conflits entre catholiques et protestants, pour différencier ces derniers des croisades. Mais la popularisation de la locution date surtout des siècles suivants, y compris… par les hommes des Lumières ! Par la suite, son usage s’est répandu dans un contexte de déchristianisation, dans les milieux catholiques comme dans les milieux athées, ces derniers qualifiant parfois la lutte pour les principes révolutionnaires ou républicains de guerre sainte. Victor Basch, le très à gauche vice-président de la Ligue des droits de l’homme, écrivait au début de la guerre de 14 que « cette guerre est la lutte des peuples libres désireux de se libérer contre le militarisme, contre l’impérialisme, (…). C’est ainsi que cette guerre atroce peut devenir une guerre sainte ».

En la matière, les catholiques n’ont de leçon à recevoir de personne.

1. Traduction Denise Masson, La Pléiade, 1967.

2. Voir l’ouvrage de Martin Aurell, Des chrétiens contre les croisades (XIIe-XIIIe siècles), Fayard, 416 p., 24 €.

3. À quoi s’ajoute la libération des Lieux saints.

4. Voir saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-IIae, Q. 40, articles 1 et 3.

5. L’Église accordait des indulgences dans certaines conditions aux croisés qui étaient aussi des pèlerins.

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneEgliseSynode sur la synodalité

La synodalité dans la tourmente

Le cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode des évêques depuis 2019, se confiait le mois dernier sur le synode et les intentions du Pape pour ce dernier. Il s'est notamment exprimé sur les couples homosexuels et le diaconat féminin, rappelant l'attachement du pape François à la théologie du peuple.

+

synod
A la uneEgliseLiturgie

Pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle, en vue du redressement de l’Église

Jean-Pierre Maugendre, Directeur général de Renaissance catholique, propose une campagne internationale pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle. Malgré la déchristianisation croissante de la société et la crise de l'Église, il rappelle que celle-ci peut renaître par le biais de la liturgie traditionnelle, dont la sûreté doctrinale et la transcendance ont sanctifié ceux qui nous ont précédés pendant des siècles, et contribuent encore à de nombreuses conversions. À condition de lui redonner une liberté pleine et entière, et non pas seulement une tolérance restrictive. 

+

liturgie traditionnelle
ChroniquesEgliseLiturgie

La Pause liturgique : Sanctus 5, Messe Magnæ Deus potentiæ (Mémoires des Saints)

Ce Sanctus du 4e mode a quelque chose de mystique et de majestueux, dans sa simplicité. Il alterne heureusement les formules neumatiques et les passages syllabiques, les progressions par degrés conjoints et les intervalles de tierce, de quarte ou même de quinte, les élans vers l’aigu et les détentes vers le grave. Ce Sanctus a la particularité de n’être représenté que par une seule source manuscrite, allemande, datée de la toute fin du XIIe siècle.

+

sanctus
A la uneEgliseLiturgie

Confirmation : La chrismation chez les Orientaux (3/3)

Dossier : « Quelle place faut-il donner à la confirmation ? » 3/3 | Le sacrement de confirmation est conféré d’une façon bien différente dans les rites orientaux où il est n’est pas séparé du baptême. La cérémonie, proche de ce qui se faisait en Occident aux premiers siècles, revêt donc une forme spécifique et est accompagnée de prières faisant abondamment référence au baptême du Christ.

+

chrismation confirmation