Les choses vont mal ? les Français sont excédés ? Excédés par leur surcharge fiscale, qui les prive du fruit légitime de leur travail ? Excédés par la violence, qui les prive de leur droit à la sécurité, laquelle est supposément garantie par l’État et être la cause première de son existence ? Excédés par la profusion épidémique de la législation, qui les harcèle dans tous les recoins de leur vie publique et privée, pour leur dicter ce qu’ils doivent faire et ne pas faire, dire et ne pas dire, manger ou boire, ne pas manger et ne pas boire, penser et ne pas penser ? Excédés par une immigration massive qui menace leur culture, leur civilisation et leur existence même, et leur sécurité encore ? Excédés par les scandales dont les dirigeants de leur pays les abreuvent ? Excédés par l’hypocrisie pseudo-démocratique dont leurs politiciens se gargarisent pour la leur vanter, comme s’ils vendaient des crèmes solaires ? Excédés par l’observation de progrès qui ne se réalisent que dans le délitement de la morale publique et privée ?
Qu’à cela ne tienne ! la cause n’en est pas dans les dirigeants, qui ne se prétendent éphémèrement instruits de quelque chose, larmes aux yeux, qu’au soir d’un cuisant revers électoral. La cause en est toujours dans les autres. Les autres, entendons par là : « nous », puisque cette distinction funeste est imposée par le système lui-même, fracturé entre les « politiciens », d’un côté, et ce qu’ils appellent eux-mêmes, d’un autre, comme s’ils n’en étaient pas : la « société civile ». On serait tenté de dire la « société si vile », puisqu’elle désigne ces gaulois crétins, vous savez, qui n’entendent rien des lumières qui leur sont pourtant généreusement dispensées.
Aussi les Dispensateurs de lumière en reviennent-ils toujours à la même analyse : si les choses vont mal, ce n’est pas qu’ils les rendent telles, ce n’est pas qu’ils y instillent leurs poisons. Au contraire, ils se proposent continument à les guérir, et Dieu sait s’ils mettent du cœur à pondre, et à pondre encore textes sur textes pour donner forme à la Cité idéale. N’a-t-on pas déjà offert au vulgaire le culte de soi bardé de droits, et l’émancipation du divin, et la libération sexuelle ? Ne lui propose-t-on pas chaque jour d’aller plus avant, de s’affranchir de la nature et du risque ? Ne lui donne-t-on pas quotidiennement de s’engraisser et de jouir ? Ne lui offre-t-on pas de surcroît, s’il en reste encore, de se libérer du sens commun lui-même, afin de rendre ludiques, ou artistiques, le flot de délires qui peut jaillir de son cœur ? L’éducation nationale et les médias ne concourent-ils pas, avec le plus grand dévouement, à le libérer à cette fin de toutes les hontes, de tous les « tabous » hérités d’âges théologiques, magiques, aujourd’hui révolus ? Ne le dorlote-t-on pas assez de la veille constante des banques, des services sociaux, des assurances et des tentacules affectueuses de l’administration ?
Non, si la Lumière ne descend pas, c’est que le vulgaire y fait obstacle. Il ne comprend pas, et c’est pourquoi d’ailleurs il est vulgaire. « Vulgus », en latin, c’est bien le peuple, non ? Ce peuple n’est pas à la lumière ce que la matière est à la forme vitale ; cette conception serait trop traditionnelle. Il est plutôt cette ombre gênante qui empêche le soleil de nourrir la terre nouvelle de ses rayons. Mais la Lumière est bon prince, si je puis dire, aussi est-elle pédagogue. Ce qu’il faut, c’est mieux expliquer, toujours. Mieux expliquer ? Non, en vérité, les progrès nous ont fait dépasser ce stade. Le vulgaire ne peut rien comprendre. Ce dont il a besoin, c’est qu’on le séduise. On l’a nourri dans la consommation, on a fait lentement glisser son cerveau désarmé au plus profond de ses entrailles. Aussi est-ce à son ventre et à son bas-ventre qu’il faut s’adresser. La politique ayant disparu, le discours des élites, pendant qu’elles règnent au-dessus du marais, et ceci parfois au sens propre, s’est fait marchand, à l’imitation de tant de discours. Désormais, on vend du Macron, comme on a vendu du Hollande ou du Sarkozy. La clé du succès, par conséquent – c’est du moins ce qui est cru, étonnante naïveté d’esprits gagnés à l’esprit du marché et du trottoir – c’est la « communication », nom que l’on donne aux services publicitaires, à l’usage des crétins, pour leur vendre ces produits.
C’est pourquoi la presse nous explique aujourd’hui que l’Élysée, qui va mal – entendez : qui n’est pas compris – « va réorganiser sa communication avec à sa tête Sylvain Fort, un fidèle » (Sud-Ouest, 06-09-2018). Telle est la réponse de Jupiter à ses tourments du jour et aux nôtres, à la lassitude encore patiente des Français, à la désaffection de ses ministres, aux casseroles bruyantes qui le suivent : « la com’ », la sainte liturgie de la Com’, si pratiquée en tous lieux.
La leçon que l’on en peut tirer est que si les Français sont jugés stupides, il faut œuvrer à ce qu’ils le deviennent davantage encore. Cet étrange “miroir des princes” que constitue la pratique politique des démocraties modernes, et de la nôtre en particulier, reflète cette singulière idée qu’en démocratie il faut un charlatan pour gouverner des imbéciles.
Tout cela, pour qui a pu nourrir quelque jour du respect pour la politique, est pathétique. Tout cela, en quoi la moindre lueur de redressement moral paraît tout à fait éteinte, remplit de dégoût.