La désignation de l’agresseur par notre État laïc

Publié le 15 Sep 2015
La désignation de l’agresseur par notre État laïc L'Homme Nouveau

L’amalgame idéologique entre les terroristes islamistes et les défenseurs de la vie dissimule mal une énième tentative pour dissimuler le très réel danger islamiste au moyen d’un ennemi commun fictif qui mettrait en danger le laïcisme rebaptisé laïcité. Une parade que contredisent les faits comme l’attaque récente du Thalys.

Au cours de l’été, de nouveaux attentats ainsi que les suites de l’affaire Vincent Lambert ont nourri les grands titres de l’actualité. Le choix du CHU de Reims de ne pas décider l’arrêt des soins de Vincent Lambert a suscité quelques sorties médiatiques qui, dans le contexte actuel de répétition des attentats, éclairent la manière dont nos « élites » définissent les défis politiques contemporains.

Dans un éditorial du 23 juillet dernier, Laurent Joffrin, directeur de la publication du journal Libération, écrivait qu’« on est prompt à brandir la laïcité pour dénoncer certaines pratiques extrêmes de l’islam (et souvent, en fait, pour mettre en cause l’islam dans son ensemble). Voilà un cas où l’intégrisme d’origine chrétienne a réussi, par une forme de terrorisme verbal, à piétiner les principes laïcs. Cette atteinte à la République mérite, pour le moins, une égale dénonciation ». Cet éditorial a provoqué de vives réactions, qui n’ont cependant pas été partagées par la grande presse, loin de là. D’autres ont surenchéri, n’hésitant pas à comparer les défenseurs de Vincent Lambert aux talibans !

Coupeurs de tête et défenseurs de la vie

Nous ne revenons pas sur la légitime indignation causée par l’égale réprobation de Laurent Joffrin à l’égard de ceux qui luttent pour qu’un innocent ne soit pas tué et de ceux qui tuent injustement par des attentats terroristes, tandis que la mise à mort conforme à la loi républicaine d’un handicapé est élevée au rang d’acte juste. Dans la droite lignée de ce que nous écrivions dans L’Homme Nouveau du 4 juillet dernier, interrogeons-nous plutôt sur les raisons de cette interprétation médiatique, qui ne fut pas isolée. Aux yeux de certains journalistes, qu’y a-t-il donc de commun entre les islamistes coupeurs de tête et les défenseurs de la vie des innocents, et pourquoi faut-il systématiser cette assimilation ?

À travers le cas d’espèce de l’affaire Vincent Lambert, nous observons la volonté inébranlable de certains médias d’interpréter les évènements par le prisme d’une grille de lecture, celle du combat de la République contre l’intégrisme forcément religieux, incluant les vrais terroristes et ceux qui s’ignorent. Pour cela, il importe tout d’abord d’employer le même vocabulaire pour désigner un ennemi virtuel multiforme qui revêt aussi bien l’étiquette musulmane que l’étiquette chrétienne. Il convient ensuite d’éviter toute appréciation doctrinale des principes religieux et politiques de l’Islam.

Face à l’hydre intégriste, se dressent fière et altière la République et ses vertueux principes. Ainsi, l’action des défenseurs de Vincent Lambert est selon Laurent Joffrin « une atteinte à la République », rien que ça ! Le journaliste accuse ces personnes de « piétiner les principes laïcs ». Sincèrement, avec la meilleure volonté du monde, nous n’arrivons pas à discerner en quoi les principes laïcs sont concernés, alors que la défense de la vie de Vincent Lambert s’appuie sur le droit et la justice. Mais encore une fois, il s’agit de tirer profit de tout évènement dont on travestit les faits, pour inculquer l’idée que le grand défi politique contemporain oppose la République à l’intégrisme source du terrorisme. L’intégrisme se caractérise donc par la simple affirmation d’une transcendance, radicalement opposée à l’immanence républicaine.

Deux poids deux mesures

Naturellement, il est aisé de comparer une telle interprétation avec la manière dont fut médiatiquement traité l’attentat contre Charlie Hebdo, désigné comme une agression contre la liberté d’expression (que l’on sait à géométrie très variable), symbole de la France républicaine, au risque de réduire la culture et l’esprit français aux caricatures de Mahomet et à Charlie Hebdo, aux yeux du monde musulman. On omet soigneusement de tisser les liens pourtant évidents avec l’ensemble des autres attentats aux cibles fort différentes, commis dans le monde entier, par des hommes qui se réclament des mêmes principes religieux et qui appartiennent aux mêmes mouvements.

Ce montage politique comprend la définition de la cible, la désignation de l’adversaire et l’énoncé des biens à défendre. La qualification de l’acte est centrale, puisqu’elle détermine ce que vise l’ennemi, ce qu’il veut détruire, par conséquent ce que nous devons défendre. En effet, la définition de l’ennemi par la qualification de la cible cherche à imprimer dans les esprits ce que nous sommes et ce qui nous lie les uns aux autres. Puisque les frères Kouachi s’en sont pris à la liberté d’expression et que les défenseurs de Vincent Lambert ont piétiné la laïcité, nous en concluons bien évidemment que l’Occident n’est pas en guerre contre des forces s’inspirant de l’Islam et que bien sûr, les principes issus de la Révolution française, socles de la République, sont les cibles uniques des menées intégristes des talibans de tous bords, parmi lesquels se rangent les défenseurs de la vie des plus faibles.

Certes, les choses ne sont pas toujours énoncées avec autant de conviction et de clarté, mais il n’empêche qu’il s’agit bien là d’une sorte de vulgate, plus ou moins répandue, plutôt plus que moins d’ailleurs, d’un discours éculé qui révèle le refus idéologique de saisir la réalité. Il est à parier que de telles lectures tordues des évènements perdurent, y compris là où on ne s’y attend pas trop, comme dans l’affaire Vincent Lambert.

Lorsqu’un peuple subit une agression, le combat a minima politique commence par la désignation de l’agresseur. Aujourd’hui, trois forces sont en présence : la modernité idéologique et ploutocra­tique, l’Islam, enfin l’Occident chrétien et gréco-romain. La première nommée use et abuse de sophismes pour assimiler et confondre les deux autres forces en présence, afin de s’adjuger la qualité de cible unique d’un « terrorisme » intégriste. Cette stratégie a aussi pour objectif de dissimuler le danger islamiste. On se demande toutefois dans quelle mesure ce déni de réalité trompe la population française sur la situation réelle du pays.

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneSociétéLettre Reconstruire

L’Église face au socialisme (II)

Lettre Reconstruire n°35 (avril 2024) | Dans la série de ses études synthétiques sur les idéologies modernes, Carlos Sacheri aborde le socialisme et le jugement de l’Église sur cette réaction aux injustices sociales nées du libéralisme économique. Il présente ici les points communs à toutes les idéologies socialistes.

+

socialisme
SociétéLectures

L’inégalité, un outil de civilisation ?

Entretien | Juriste et historien, Jean-Louis Harouel s’attaque dans un livre récemment paru au mythe de l’égalité. Il postule que cette « passion laide » contemporaine, destructrice de la famille, entre autres, ne sert en rien les intérêts d’une population, en montrant que seule l’inégalité, créatrice de richesses, encourage la production et par là-même augmente le niveau de vie et conditionne le progrès moral et scientifique. Entretien avec Jean-Louis Harouel sur son livre Les Mensonges de l’égalité. Ce mal qui ronge la France et l’Occident.

+

égalité mythe
SociétéEglise de France

Pandémie : un avant-goût de la restriction des libertés fondamentales ?

Entretien | Le colloque « Pandémie, Droit et Cultes » s’est tenu à Paris en mars 2022. Ses actes rappellent qu’entre 2020 et 2022, les prérogatives de l’État ont été augmentées de manière extraordinaire au détriment des libertés essentielles, dans un renversement complet de la hiérarchie des biens. Une situation dangereuse qui pourrait bien se reproduire sous des prétextes variés. Entretien avec Guillaume Drago, co-organisateur du colloque et professeur de droit public à l’université de Paris-Panthéon-Assas.

+

pandémie liberté de culte
SociétéBioéthique

Fraternité et euthanasie : un débat sciemment faussé

Faisant droit aux revendications anciennes et répétées de certaines associations, le président Macron vient d’annoncer une loi sur l’euthanasie. Mais en usant d’un registre lexical détourné qui évoque l'« aide à mourir », l’autonomie de l’individu, les « conditions strictes » et la « fraternité »... Toutes expressions trahissent le sophisme, l’influence des officines francs-maçonnes, la solution miraculeuse aux déficits et surtout la crainte d’un vrai débat.

+

fraternité euthanasie