La famille est-ce une notion obsolète ou dépassée ? Pascal Morinière, présidente des Associations familiales catholique (AFC) et médecin généraliste de formation, nous explique les défis des familles, le potentiel qu’elle représente dans un monde en perpétuelle mutation.
| Quelle est l’actualité pour les familles au cœur de la société ?
L’actualité est d’abord un énorme hiatus entre ce qui compte le plus pour chacun de nous et la prise en compte dans les programmes ou les déclarations des responsables politiques. La préoccupation nunémro une des Français est leur famille. C’est pour elle qu’ils se lèvent pour aller travailler le matin et à cause d’elle qu’ils se relèvent parfois la nuit lorsqu’un enfant est malade ou qu’ils sont inquiets pour l’un de ses membres. Sondage après sondage, nos concitoyens la placent en tête de leurs valeurs mais elle est étonnamment absente de la parole des décideurs, sauf lorsqu’elle dysfonctionne. L’actualité concerne ensuite les propositions de loi sur les soins palliatifs et sur la fin de vie. La fin de vie, les derniers moments sont des moments à la fois intimes et dramatiques de la vie des familles. La manière dont celle-ci survient à des conséquences majeures sur ceux qui restent et sur la période de deuil et de succession qui s’ouvre devant eux.
| Comment le nombre de mariages et de divorces évolue-t-il ?
Les mariages, en 2024, sont au plus haut depuis 10 ans et, depuis les années Covid, augmentent un peu chaque année. Quant au divorce, depuis la loi sur le divorce sans juge de 2016, les statistiques des divorces sont inconnues. La DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques) estime qu’il y aurait chaque année 425 000 séparations conjugales, qu’il s’agisse d’un mariage, d’un PACS ou d’un concubinage. Cela concernerait 379 000 enfants mineurs qui vivent le drame de la séparation de leurs parents. Les AFC encouragent à un soutien de l’union la plus stable, le mariage, par rapport aux autres régimes juridiques et à une préparation à la conjugalité en mairie.
| La baisse brutale des naissances est-elle le signe d’un désamour à l’égard de la famille et des enfants en France ?
Elle est d’abord le témoin de l’insuffisance de la politique familiale. Les Français ne sont pas malthusiens. Ils désirent des enfants mais sont loin d’en avoir autant qu’ils le souhaiteraient. Cela a même été chiffré : les Français désirent en moyenne 2,27 enfants mais n’en ont eu qu’1,62 en 2024. L’écart entre ces deux indicateurs se creuse témoignant du manque de soutien aux familles. Pour accueillir un enfant, il faut du temps et des moyens. La grande majorité des mères de famille ne peut pas se permettre de prendre un congé parental avec une indemnité de 448 euros pour un travail à temps plein. Et les modes de garde sont trop chers et insuffisants. On ne met pas au monde un enfant pour ses seules premières années. Chaque naissance fait baisser durablement le niveau de vie de la famille. La baisse du niveau de vie médian, après les aides, d’un couple avec enfants par rapport à un couple sans enfant est éloquente : 1 enfant fait baisser ce niveau de vie de 10%, 2 enfants de 15% et 3 enfants de 36%. Nous avons besoin d’une politique familiale ambitieuse et pérenne afin que les jeunes couples aient de la visibilité sur la vingtaine d’années à venir après une naissance.
| Pourquoi est-ce si important d’adopter une politique familiale en France ?
Depuis 1974, la France est en dessous du seuil de renouvellement des générations qui est de 2,1 enfants par femme. Elle ne maintient une démographie dynamique qu’en raison de l’immigration. Un pays devenu incapable durablement de renouveler sa population obère son avenir. Les enfants sont le futur d’une nation. La politique familiale est la politique de l’emploi, du logement, des modes de garde, des aides financières, du soutien à la conjugalité et à la paternité et maternité, qui devrait permettre à chaque foyer d’accueillir les enfants souhaités.
| Dans votre livre, vous évoquez des enfants ayant deux hommes ou deux femmes pour parent : s’agit-il d’un phénomène suffisamment répandu pour justifier une évolution de la définition du mot « famille » ?
Je rapporte la polémique de 2022 autour des dictionnaires Larousse et Robert qui ont été enjoints, par réseaux sociaux interposés, de modifier leurs définitions du mot famille pour y inclure les ménages avec deux adultes de même sexe. Or, les statistiques de 2021 du Haut Conseil à la Famille, l’Enfance et l’Age évaluent à 0,2% des 14 millions de mineurs le pourcentage de jeunes vivant dans un foyer dit « homoparental. Nous pouvons rapprocher ces chiffres de ceux de l’INSEE de 2020 qui montrent que 66% des jeunes mineurs vivent avec leurs deux parents de naissance, 25% avec un seul parent -la mère le plus souvent- et 9% avec un parent et un beau-parent. Il n’y a pas « différentes façons de faire famille », comme cela est répété à l’envi mais une façon extrêmement majoritaire, même si elle n’est pas toujours pérenne, qui ne justifie pas de modifier la définition de ce mot.
à lire également >> La société et les familles (1/4) : La famille, un capital humain