Avec le dimanche des Rameaux, l’Église inaugure la Semaine sainte, ou Grande Semaine, qui nous mènera jusqu’à la Croix et la Résurrection le jour de Pâques. Année après année, et jour après jour, cette semaine particulière nous dévoile les mystères de la Rédemption rendus sensibles par la liturgie.
Le mystère de la Croix se profile à l’horizon : il est trop grand pour que la langue humaine puisse le désigner par des termes convenables et lui donner un nom qui corresponde, même de loin, à sa sublimité. Il dépasse toute intelligence par son élévation et son ineffable majesté. C’est pourquoi l’Église a enchâssé le diamant du Sacrifice de la manière la plus splendide, en l’entourant de prières, de chants, de leçons et de cérémonies. C’est toute la liturgie autour du Trône de l’Agneau dans la Jérusalem céleste, annoncée par l’Apocalypse, que nous voyons s’accomplir sous nos yeux. Le Mystère des mystères s’accomplit éternellement pour rendre gloire à la Trinité tout entière : c’est le Ciel sur la terre.
C’est le secret de la liturgie, dans son mystère le plus profond, dans son génie le plus surnaturel, d’ouvrir une fenêtre sur le Ciel année après année, siècle après siècle, sans jamais épuiser son sujet mais en l’approchant toujours davantage par les trésors qu’elle a su articuler en s’appuyant sur l’Écriture sainte. Elle se renouvelle chaque année sans pour autant varier. Ce n’est évidemment pas qu’elle soit limitée puisqu’elle rend sensible le mystère, c’est plutôt notre regard, notre âme qui sont limités et trop étriqués pour saisir d’un coup d’œil tout ce qu’elle nous offre ; notre regard qui manque à la lumière disait poétiquement Gustave Thibon. Et la liturgie est intimement poétique.
Le cœur de l’année liturgique
La Semaine Sainte ou Grande Semaine constitue proprement le cœur de l’année liturgique. Le calendrier liturgique est la très exacte représentation de l’histoire de la Rédemption : préparation, Incarnation, vie cachée, Passion, mort et Résurrection, Ascension, Pentecôte, vie de l’Église à travers ses saints. Nous sommes assurément dans le temps après la Pentecôte depuis 2000 ans ; c’est celui de l’Église et des sacrements, il durera jusqu’au retour glorieux de Notre-Seigneur. Et pourtant chaque année, l’Église nous permet de vivre ce cycle parfait.
Le calendrier annuel se superpose chaque année à la grande trajectoire historique qui conduit l’humanité de la Création à la Rédemption. Dans ce cycle annuel se déploie la Grande Semaine qui nous fait revivre les jours les plus saints de toute notre histoire dans un double objectif : louer Dieu qui a voulu notre rédemption, et accroître notre sanctification au terme de ce temps quadragésimal au cours duquel l’Église a accompagné les fidèles dans leur conversion et le renouvellement de leur vie spirituelle.
« La sainte Liturgie abonde en mystères, en ces jours où l’Église célèbre les anniversaires de tant de merveilleux évènements » (dom Guéranger) ; les prières et les chants les plus saints, les plus vénérables, pleins à la fois de force et d’onction, sont unis dans un ordre incomparable les uns aux autres, ainsi qu’avec les actes et les cérémonies les mieux appropriés et les plus significatifs, de manière à former un ensemble d’une rare beauté, comme un vêtement qui protège le Sacrifice, comme une parure qui orne et embellit.
Un Carême visuel
Ces rites sacrés sont une mine inépuisable d’instruction et d’édification. Quand nous méditerions toute notre vie sur les mystères de la Semaine Sainte, notre esprit et notre cœur y trouveraient toujours de nouveaux trésors et de nouvelles beautés.
En cette Grande Semaine, la liturgie lève donc le voile sur les mystères centraux de la Foi. Paradoxalement c’est en partie en usant de voiles qu’elle révèle à notre intelligence, par le truchement de nos sens, ces vérités profondément surnaturelles.
Depuis une semaine toutes les représentations de nos églises (et de nos maisons ?), statues, croix, tableaux, reliquaires sont recouverts de violet pour nous inviter à nous concentrer plus intérieurement sur la Passion qui approche. Cet usage de voiler les images est une pratique très ancienne en Occident. Il fut une époque où l’on voilait entièrement le chœur afin de le dissimuler aux yeux des fidèles et cette pratique d’un « Carême visuel » a longtemps perduré à Paris comme aussi en Allemagne où elle subsiste encore par endroits.
C’est d’ailleurs un subterfuge usuel de la liturgie. Ce qui se déroule dans l’action sacrée de la liturgie n’est pas immédiatement compréhensible — elle n’y prétend nullement ! — mais est cependant immédiatement aimable. Dom Gérard remarquait que plus une « réalité est spirituelle, moins elle est saisissable par le raisonnement. C’est pourquoi Bible, Mystique et Liturgie parlent surtout par images. » C’est pourquoi aussi les rites font un large usage de voiles : voile huméral du sous-diacre, voile de calice, voile du tabernacle, voile du ciboire… le latin et l’orientation d’une certaine manière sont aussi des voiles.
St Thomas d’Aquin le chante dans l’admirable Adoro Te : « Sur la Croix se cachait la seule Déité, ici se cache aussi l’Humanité ». À Paris, jusqu’à la fin du XIXe siècle, le grand voile qui cachait le maître-autel était affalé au cours du chant de la Passion de saint Luc, le Mercredi saint, lorsque résonnaient ces paroles : « Le soleil fut obscurci, et le voile du temple se déchira par le milieu. »
Mais en dépit de ces voiles, du ton tragique des mélodies grégoriennes (en particulier dans l’office des Ténèbres de ces jours saints), de la gravité de l’heure et du souvenir de la Passion, déjà pointe l’éclatante joie pascale comme les bourgeons que l’on perçoit en ces jours annonciateurs du printemps semblent nous murmurer : Haec dies quam fecit Dóminus : exsultémus, et lætémur in ea ! *
* Voici le jour que fit le Seigneur : exultons et réjouissons-nous en lui.
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