Comme il est intriguant, voire effrayant, pour un laïc moyen de lire les ouvrages mystiques qui décrivent les différentes expériences de purification connues comme les nuits successives des sens, de l’esprit et de la foi. Bien supérieures aux simples difficultés de la vie quotidienne et même aux lourdes croix, ces nuits constituent, nous disent les saints, des étapes obligées dans la transformation des âmes d’élites qui, peu à peu, s’enflamment et se consument jusqu’à devenir de grands incendies divins.
À une époque où l’on s’évertue, malheureusement, à aplanir la vie chrétienne habituelle et les plus hauts sommets de la vie contemplative, on aime se faire croire qu’aisément tous peuvent partager l’aventure spirituelle de St-Jean de la Croix ou de Ste Catherine de Sienne.
La réalité est tout autre, évidemment. Les soucis mondains, les responsabilités professionnelles et familiales et toutes les autres conséquences du péché originel brouillent l’eau d’une âme qui peine à trouver le calme nécessaire à une oraison fructueuse. Pourtant, tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu et il semble que le la Très Sainte Trinité ait prévu, pour ces temps exceptionnels qui sont les nôtres, des grâces exceptionnelles qui disposent les fidèles à vivre des expériences spirituelles très profondes parce que très souffrantes.
Pendant cette heureuse nuit,
je suis sortie en ce lieu secret,
où personne ne me voyait,
et où je ne voyais rien,
sans autre guide et sans autre lumière
que celle qui luisait dans mon cœur.
St-Jean de la Croix
Vous voulez, comme St-Jean de la Croix, gravir l’échelle sublime menant tout droit vers le Soleil divin tout en restant dans le monde ? Et bien c’est tout simple. L’Église catholique vous offre aujourd’hui une nuit de l’esprit d’une profondeur abyssale.
Qui veut chercher à vivre sincèrement selon l’Évangile, à suivre l’enseignement de l’Église, à sauver son âme, à travailler au Règne social de Jésus-Christ pénètre de facto dans un tunnel ténébreux.
Rien de surprenant !
À priori, rien de surprenant. Laïcs, nous vivons dans le monde sans être du monde. Or, le monde hait la lumière. Vivre dans le monde, c’est nécessairement vivre dans les ténèbres. Il s’agit de l’expérience commune de tous les fidèles, de tous les temps. Mais, de tout temps, ces ténèbres étaient illuminées, plus ou moins, selon les époques et les circonstances, de la lumière de l’Église. Par nature contraire à l’obscurité, l’Église, porteur de la lumière du Christ, irradie et guide le fidèle, par la médiation de ses pasteurs, qui veut ouvrir les yeux.
Malheureusement, ces lumières se sont affaiblies. Non pas que la lumière, elle-même, soit plus faible, ce serait impossible. Mais les saints réverbères se sont encrassés de la suie du siècle. Au lieu de chasser la noirceur, ces lucifères réflètent plutôt le non-être au point d’en presque perdre leur essence. Le fidèle angoissé, appuyé sur ces pseudos lumières, est laissé à lui seul. Il ne voit rien, si ce n’est la lumière qui brille en son cœur.
Et son angoisse est étouffante. Il cherche à avancer vers le ciel et il doute de ses moyens. Il cherche à faire avancer ses enfants et connait leurs faiblesses. Il veut faire avancer sa cité avec lui et connait les déceptions et mensonges politiques. La nuit est totale. Il sait qu’à droite et à gauche, des gouffres sans fond, comblés de démons hideux, déguisés en guignols, qui l’invitent à se vautrer avec eux. Il regarde vers les lampadères. Il crie, il demande de l’aide… Rien… silence… Le fils demande à sa mère le chemin pour la cité céleste… Sa mère répond en l’invitant à profiter de la nuit…
Moment de désespoir déchirant. Tentation ultime de désespérance. Père, faites que ce calice passe loin de moi.
Le Fils aussi a été rejeté
Fugace moment de divinisation. Partager la nuit du Fils ! Lui aussi a été rejeté par ceux qui devaient pourtant, en premier lieu l’accueillir. Les Ténèbres ne L’ont pas reconnu. Le Christ n’a-t-il pas eu plus de soucis avec les prêtres et les autorités religieuses qu’avec les paiens. N’a-t-il pas été renié trois fois par celui qu’il avait choisi pour être le suprême ami ?
Qu’as-tu à désirer d’autres, petit chasseur de perles, que d’être méprisé par les pasteurs, prêtres et évêques parce que tu aimes Jésus ? Communie jusqu’à la lie au Mysterium iniquitatis si vraiment tu aimes le maître.
Parfois, une petite lumière vacille fragile dans la nuit. Un bon pasteur, rare trésor. Il détient une carte qui brille dans la nuit. Ô Tradition !
Puis se poursuit le pénible pèlerinage. À travers la nuit noire, un point lumineux qui, même inaccessible, pointe vers le port. Ô communion des Saints.
Puis encore les ténèbres. Dans les pires instants, quand les éblouissantes ténèbres des mauvais réverbères glacent l’esprit jusqu’à faire perdre la raison, un fil d’Ariane, glissant dans les doigts du fidèle. Puissants grains de Salut. Ô Tour d’Ivoire !
Ô nuit !
Ah Mère !
Ah larmes avalées !
Laïcs catholiques contemporains. Fidèle à la Tradition, ta nuit est t’obscure.